----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ TAZRIA-METSORA LA MEDISANCE, MALADIE DE NOTRE SIECLE Ces deux sections de la Tora lues simultanément traitent d'un même thème: le "Metsora", I'individu frappé d'une maladie que l'on assimile généralement à la lèpre mais qui, d'après nos Sages, aurait une origine psychosomatique: elle serait en fait liée à un comportement moral et résulterait de la médisance. Cette conception est confirmée par une lecture différente du terme Metsora qui peut être considéré comme une contraction de l'hébreu "Motsi ra" celui qui fait sortir le mal ou celui qui dit du mal d'autrui. Pour dire du mal d'autrui il faut auparavant avoir pensé à cette médisance, dans son for intérieur. Il existe donc dans l'esprit du médisant une place propice à cette mauvaise parole. En effet, il n'est pas seulement interdit de tenir des propos dénigrant autrui, mais aussi de penser injustement du mal de son prochain. Au retour de l'exil de Babylone consécutif à la destruction du Premier Temple, un groupe de Juifs demanda au prophète Zacharie s'il était nécessaire de continuer à jeûner et à prendre le deuil le 9 av. Le prophète leur répondit qu'ils étaient dispensés de ces obligations puisque les jeûnes n'ont qu'un but expiatoire: de retour à Sion, ils devaient essayer non pas de traiter les symptômes de la maladie mais plutôt de l'enrayer, d'en venir à bout. Or, la destruction des Temples et l'exil ont été provoqués par la détérioration de l'ordre social et la dégradation des relations entre différents groupes du peuple juif Zacharie leur déclara donc qu'il fallait avant tout appliquer le verset: "Emet leshalom ehavou", "aimez la vérité et la paix" qu'il leur expliqua en ces termes: "Ne pensez point de mal l'un de l'autre" (Zacharie, VII, 7). De telles pensées seraient donc aussi graves que des propos médisants. Cette idée développée par le prophète ne constitue pas à proprement parler une nouveauté. Il s'agit en fait du rappel de certaines directives contenues dans la Tora: "Tu jugeras ton prochain selon la justice". En d'autres termes: il faut faire pencher la balance du côté des mérites et pas du côté des défauts. Lorsque la conduite d'autrui peut donner lieu à une double interprétation, nous avons le devoir de choisir l'explication la plus favorable. Il faut s'habituer à être optimiste et à voir le bon côté des choses et des êtres. Il faut apprendre à ne pas se fonder sur des exceptions pour bâtir des règles générales, surtout lorsqu'il s'agit de la personne humaine. Celui qui ne pense pas de mal de son prochain et qui juge de façon positive le comportement d'autrui, ne dénigrera pas ses frères. Lorsque le c¦ur de l'homme est nourri de haine, celle-ci finit par exploser dans les relations interpersonnelles et a se traduire par des propos offensants. Le célèbre ouvrage Hafetz Haïm est précisément consacré aux lois interdisant la médisance Dans son introduction, I'auteur, Rabbi Méir Hacohen de Radin, plus connu sous l'appellation de Hafetz Haïm, rappelle les malheurs teribles causés par le "Lashon Hara" au cours de l'histoire juive: depuis la vente de Joseph par ses frères et jusqu'à la destruction du Second Temple provoquée par la haine gratuite entre Juifs. Il assimile donc la haine gratuite à la médisance. Celle-ci prend une nouvelle dimension plus grave, plus préoccupante encore lorsque l'on rappelle la définition que nos Sages ont donnée de l'être humain: selon Rabbi Yéhouda Halévi, I'homme est avant tout un être qui parle, "adam hamedaber" (Kouzari, I, 35). La parole est le propre de l'homme. Evidemment, I'homme pense mais ce qui le caractérise, c'est la parole et avant tout la bonne parole, la parole constructive. Si au contraire, la parole est utilisée à mauvais escient, il faut comprendre qu'il ne s'agit pas d'un défaut marginal dans la personnalité mais bien d'un problème central et vital. L'homme est un être parlant, et s'il ne parle pas comme il se doit, son statut d'homme s'en trouve dimmué. La "mauvaise parole" révèle donc extérieurement une profonde dislocation de la personnalité. Cela nous ramène au "Metsora" Si la personnalité de l'homme est diminuée par la médisance, il n'est pas surprenant que la maladie qui se manifeste se dévoile de manière psychosomatique: les murs de sa maison pourrissent, la peau du coupable part en lambeaux, de même que ses vêtements. Pour être certain que son mauvais exemple n'aura pas d'influence sur le reste de la communauté, on met le fautif au ban de la société, et on l'exclut totalement jusqu'à ce que sa plaie soit cicatrisée et que le prêtre, véritable guérisseur de l'âme lui ait donné un traitement adéquat. Dans ce contexte, il est particulièrement important de souligner que l'interdiction de médisance ne s'applique pas seulement aux relations entre individus mais qu'elle s'étend aussi aux rapports entre les partis et factions de notre collectivité nationale. C'est ce que le rav Kook appelle "Toral Eretz Israël", la Tora de la Terre d'Israël. Semblable en tout point à notre Tora initiale, cette conception transpose au niveau collectif ce qui a été fixé à propos de l'individu (Orot ha-Tora, ch XIII). Voilà plus de cent ans que la société juive se reconstruit en Terre d'Israël Il est plus que jamais indispensable d'élargir aujourd'hui l'enseignement du Hafetz Haïm concernant la médisance, à l'ensemble de la communauté. Cet enseignement contribuera à bannir tout courant prônant le recours à la violence entre Juifs, voire même la violence verbale, et à assainir les relations entre les différents groupes, partis politiques ou courants de pensée. Il faut aller plus loin et profiter du rassemblement du peuple juif pour renforcer l'amitié et l'amour entre les différentes composantes de la société Nous devons nous efforcer de faire pencher la balance du côté des mérites: ne pas garder rancune, ne pas tenir de propos vexants, bref bannir les paroles negatives de notre langage. Pourquoi insister sur ce point ? Tout simplement parce que nombreux sont ceux qui dans leur vie privée sont extrêmement délicats et attentifs à leur prochain: ils veillent à ne pas prononcer le moindre propos déplacé et se montrent toujours d'une exquise politesse. Par contre, lorsqu'il s'agit de relations entre partis, entre gauche et droite, religieux et laïcs, orthodoxes et sionistes, ces mêmes personnes se permettent parfols les plus grands écarts de langage. Se considérant tous comme les garants de la vertu, les porte-parole de la vérité, ils trouvent leur attitude parfaitement légitime et affirment qu'en pareil cas, la fin justifie les moyens. C'est précisément là que réside l'erreur contre laquelle le rav Kook nous avait mis en garde: les bonnes intentions n'excusent en rien les fautes de langage et les propos d'une immoralité foncière. Le psaume 34 le souligne d'ailleurs fort bien: "Quel est l'homme qui veut la vie ('Hehafetz Haïm') ? ... Celui qui garde sa langue du mal". Or, la gravité de la médisance est aussi proportionnelle au nombre des personnes qui l'entendent. L'importance de l'auditoire a une sorte d'effet démultiplicateur Cette remarque s'applique tout particulièrement aux hommes politiques qui, pour se justifier ou justifier leur programme, se croient obligés de critiquer leurs adversaires en public Maïmonide donne une dimension supplémentaire à la faute de médisance puisqu'il parle de "Baalei Lashon Hara", les "experts" en médisance (Hilkhot déot, ch. VII). De tels "experts" ne commettent pas cette faute par accident, ils en font leur principale activité et se livrent à la médisance de façon si systématique que cette pratique finit par devenir une dimension de leur comportement. Ce terme est linguistiquement comparable à celui de "Baal Teshouva", le "maître de la Teshouva" qui ne se contente pas d'un progrès limité mais qui progresse de façon continue et permanente vers la connaissance de Dieu et du bien. Dans le monde moderne, les médias sont devenus le principal vecteur de ce "lashon hara": ils rapportent avec complaisance les propos insultants qu'échangent régulièrement certains hommes politiques. Mais les auditeurs prennent ainsi une part de responsabilité dans la faute commise. Mais celui qui répercute les paroles délictueuses et les porte à la connaissance de milliers de personnes arrive au paroxysme d'horreur. Pour se défendre, les médias ont pris l'habitude de brandir le drapeau de la "liberté d'expression et du droit du public à savoir". Ce serait, selon eux, I'un des apanages de la démocratie. Reste à savoir ce que cette médisance d'ensemble apporte à la démocratie. Car comme l'a souligné un penseur politique, il n'est pas nécessaire que la démocratie se suicide pour prouver sa vitalité. J'ai un jour demandé à un joumaliste pratiquant pourquoi sa rubrique était remplie de médisance. C'est, m'a-t-il répondu, parce que nos lecteurs aiment lire ce genre d'informations. Si mon public préférait lire Maïmonide, je n'aurais eu aucun problème pour remplir de ses oeuvres les pages de mon joumal. Celui qui lit du "Lashon hara" est donc lui aussi fautif. Comment faire face à cette médisance omniprésente ? En respectant l'un des sages principes de Hillel: "Ne fais pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas gue l'on te fasse". C'est en nous comportant de la sorte que nous réussirons à éviter de nombreuses erreurs.