----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ SIMHAT TORA LA TORA N'EST-CE PAS LA JOIE ? La fête de Simhat Tora marque pour nos générations à la fois la clôture et le recommencement de la lecture annuelle des cinq livres du Pentateuque. Le peuple juif y trouve une occasion particulière pour manifester sa joie d'être le possesseur de l'inestimable héritage que représente la Tora ! Tous les commentateurs remarquent que le caractère si particulier de Simhat Tora, forgé au fil des siècles, n'est pas mentionné explicitement dans le texte biblique. En fait, cette fête est appelée, d'après la Tora, "Shemini Atséret": elle ne représente que la clôture, au huitième jour, des festivités de Souccot. D'ailleurs, Souccot et Simhat Tora sont dénommées "zeman simhaténou"-"le temps de notre joie". Certes, les trois "fêtes de pèlerinage" du calendrier hébraïque sont pour nous l'occasion de réjouissances particulières, mais Souccot et Simhat Tora constituent par excellence les festivités de la joie. Dans ce contexte, on peut considérer Simhat Tora comme une solennité qui reste intrinsèquement liée aux célébrations de Souccot, tout en possédant un cachet spécifique. Apparemment, cette "joie" que nous avons pour prescription d'extérioriser lors des fêtes de Souccot et de Simhat Tora, contraste singulièrement avec l'atmosphère de recueillement quelque peu sévère que l'on a vécu juste avant, lors des austères journées de Rosh Hashaoa et de Kippour. Ainsi, cinq jours à peine séparent-ils le sommet d'élévation spirituel qu'est Kippour, de la réjouissance totale qui explose à Souccot! Nous pourrions même avour tendance à considérer cette transition quelque peu rapide, comme un brusque passage d'un monde à l'autre. Cependant, pour certains de nos Sages, comme le Rabbi de Gour (dans son ouvrage "Sefat Emet") ou le Rav Kook (dans son livre "Orot ha- Teshouva"), cette proximité possède une signification plus profonde. En effet, les "Journées austères" qui incluent également les "Dix jours de penitence" et l'ensemble du dernier mois de l'année - celui d'Eloul, traditionnellement consacré au retour à Dieu - forment une période incontournable pour la purification et la réhabilitation de l'âme juive. Or, par le remforcement du pôle spirituel, ce processus d'élévation entraine irrémédiablement un certain éloignement par rapport aux repères du monde de la matière, ceux de notre monde d'ici-bas. A force de vouloir aller à la rencontre de l'Eternel pour nous faire pardonner nos égarements, nous pourrons, pendant cette période de repentir, quitter ce monde pour pénétrer dans les sphères de la spiritualité. Pour illustrer cette interprétation, le Rav Kook utilise une parabole: nous pouvons être comparés à des "malades" qui auraient subi un choc électrique, lequel aurait certes chassé leur mal, mais en affaiblissant par ailleurs leur organisme ! C'est la raison pour laquelle nous devons, après cette "thérapie radicale", revenir à la vie quotidienne et rejoindre le monde qui reste le nôtre. Il faut bien comprendre que même si l'univers de la spiritualité est bien un modèle de perfection pour notre âme, il nous est impossible de faire abstraction de ce monde-ci: il ne s'agit en aucun cas de refuser la vie qui nous a été accordée ici-bas par Dieu, mais seulement de vouloir la purifier. Et c'est pourquoi, à peine avons-nous terminé d'expier nos fautes devant l'Eternel et de reconnaitre, dans la plus parfaite abnégation, la royauté divine lors de la prière de Neila clôturant Yom Kippour, nous nous précipitons dehors pour construire une petite cabane, bien matérielle celle- là ! Renforcés par le travail spirituel de ces journées austères, nous parvenons à sanctifier cette habitation provisoire, ainsi que le fameux "bouquet des quatre espèces", que Dieu nous demande d'agiter, afin de nous réconcilier avec la vie dans toute sa plénitude. En effet, le renouveau de notre attachement à Dieu n'a pas pour fonction de nous détacher de la vie, mais bien au contraire d'illuminer notre quotidien, comme il est ecrit "Et vous, qui êtes attachés à Dieu, demeurez tous vivants aujourd'hui" (Deutéronome, IV, 4). Car on peut - et l'on doit - rester profondément attaché à Dieu, tout en restant "bien vivant" ! Seuls certains individus d'exception, considérant ces deux pôles de l'existence comme inconcilables, choisissent de se détacher au maximum du monde qui nous entoure. Evitant systématiquement de la contrarier, la Tora ne va nullement à l'encontre de la nature humaine: elle n'a pas le désir d'aliéner le monde d'ici-bas, en lui imposant artificiellement un autre monde qui le déchirerait cruellement ! Au contraire, elle vient aider l'être humain à dévoiler son propre monde intérieur dans toute sa splendeur, sa pureté et son élévation. C'est pourquoi nous ne devons pas être surpris par le commandement qui nous demande de servir Dieu dans la joie: "Parce que vous n'avez pas servi Dieu avec joie et bon coeur, vous servirez vos ennemis ... dans l'affliction' (Deutéronome, XXVIII, 47). Maïmonide interprète d'ailleurs ce verset en disant qu"'il ne suffit pas de 'servir Dieu' mais il faut observer Ses commandements dans la joie" ("Lois sur la soucca et le loulav", VIII, 15). L'observance des mitsvot ne peut se faire dans la tristesse, mais dans une joie intérieure la plus profonde. Certes, il existe des commandements dont le respect est particulièrement difficile, mais le "Maguid Michné", le commentaire du Rambam, précise que la joie procurée par une simple bonne action - cette joie de faire le bien et d'accomplir la volonté du Créateur - estompe toutes ces difficultés et transforme le dur effort de la mitsva en un monde de délices . Certes, notre vision du monde n'est pas celle d'Epicure, qui considérait que la finalité de l'existence humaine était de jouir pour le seul plaisir. Pour la Tora, la finalité de notre présence sur terre est de faire le bien: nous ne recherchons ni le plaisir, ni le bonheur, mais le Bien ! Pourtant, ces deux registres ne sont pas contradictoires. C'est en effet le même Dieu qui, par Sa bonté a créé le monde. A l'origine, cet univers était composé du seul Jardin d'Eden qui fut profané par la faute humaine. Et c'est le même Dieu qui a créé la responsabilité humaine et la moralité. Il ne peut donc y avoir d'antinomie entre ces deux dimensions de l'être. Les commandements de la Tora conviennent à l'identité profonde de l'homme juif, de même que le message universel des lois morales est conforme à la nature profonde de l'être humain en général. Lorsque l'homme juif accomplit une mitsva, il se rencontre lui-même et dévoile sa nature la plus authentique, car toute mitsva fait partie du "naturel" de l'homme juif ! Dans son introduction succinte au "Traité des Principes", dite "Huit Chapitres", Maïmonide précise que la Tora nous demande seulement d'être "naturel". C'est vrai, il nous faut parfois constater que cette nature originelle a été déformée par certaines réalités de la vie quotidienne; il nous faut donc vivre un processus de révélation et d'immanence divine pour redécouvrir quelle est notre nature. Jean-Jacques Rousseau lui-même affirmait avec sagesse - mais non sans un certain pessimisme - que tout ce qui est parfaitement créé par le Maître de l'univers, finit par se dégrader entre les mains de l'homme. Et Rabbi Yéhouda Halévi, quant à lui, conseillait aux hommes qui recherchent le naturel, de le chercher d'abord dans le divin ! Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la valeur numérique du mot "nature" (en hébreu: ha-Téba) est la même que celle du nom divin "Elohim" (le Nom de Dieu, lors de la Création) à savoir 86. Nous devons comprerdre qu'avant d'avoir été ecrite sur un parchemin avec de l'encre, la Tora a d'abord été gravée au plus profond de notre nature humaine. A la limite, nous serions à même de pouvoir redécouvrir, ou plutôt réinventer la Tora en écoutant le discours de notre âme. C'est précisément ce qu'ont fait nos patriarches Abraham, Itzhak et Jacob, qui respectaient l'ensemble des commandements avant d'en avoir reçu l'ordre divin: nous serions tentés de dire que c'était "la plume de leur âme qui les avait inscrits sur les parchemins de leur existence". Bien évidemment fort éloigné de ce degré de sainteté de nos trois patriarches, notre propre naturel est enfoui sous une montagne de déchets, et il nous faut impérativement un guide susceptible de nous incliquer quelle est cette véritable nature qui est la nôtre. C'est pourquoi la journée de Simhat Tora, point central du cycle annuel de lecture de la Tora est pour nous débordante de joie sincère et profonde: c'est un jour où nous donnons libre cours au bonheur profond de l'être qui a réussi à dominer les plaisirs passagers. C'est aussi l'expérience que l'homme traverse lorsqu'il se rencontre avec lui-même et lorsqu'il parvient, au coeur même de son être, à insérer des aspects qui lui faisaient défaut jusque-là. Certes. comme le disent nos Sages, la Tora constitue un "joug", dans la mesure où elle empêche toute dépravation de l'âme et tout libertinage de l'être. Certes, elle nous fait pénétrer dans un monde de rigueur morale. Mais elle est également la clé qui nous ouvre un univers de joie et de bonheur véritables ! La contrariété intérieure qu'il peut parfois nous arriver d'éprouver dans l'accomplissement des commandements, ne témoigne en rien d'un défaut inhérent a notre âme ou d'une hétérogenéité foncière entre l'homme d'Israël et la Tora: c'est tout simplement une étape dans un nécessaire apprentissage - lequel exige une certaine dose de patience de la part de chaque individu. C'est de cette même patience dont nous devons aussi nous armer, en ce qui concerne le retour du peuple d'Israël vers sa Tora. Or cet effort n'est en rien contradictoire avec la joie et le bonheur - la paresse n'étant quant à elle qu'assez rarement synonyme de bonheur. La pratique de la Tora nécessite, il est vrai, une mobilisation générale de toute la personnalité de l'être, mais elle lui procure aussi ume joie profonde - celle d'avoir réussi son oeuvre. Et cette joie-là n'est pas passagère: une expérience permanente de plénitude et de bonheur traverse continuellement l'âme humaine. C'est pourquoi nous sommes foncièrement optimistes et convaincus qu'en fin de compte, I'humanité retrouvera sa droiture originelle qui est, en fait, sa véritable nature. L'homme redeviendra tel que Dieu l'a créé: droit et intègre ! De la même manière, nous sommes également certains que l'ensemble du peuple juif retrouvera la voie de la Tora et sa foi en Dieu: ne dit-on pas que si l'on chasse le naturel, il revient au galop ?