----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ ROSH HASHANA (I) LE SHOFAR OU LE REVEIL DE L'AME D'après nos Sages, le commandement spécifique de la journée de Rosh Hashana est celui des sonneries du Shofar. Quels sont donc les sens attachés aux sons de cette corne de bélier, dans laquelle nous soufflons si solennellement dans les synagogues a l'occasion des deux premiers jours de la nouvelle année dn calendrier hébraïque ? Maïmonide affirme qu'il s'agit là d'une Guezera hakatouv, un décret divin, innaccessible à toute compréhension humaine. D'après la Tora, la réflexion rationnelle et l'intelligence ne sont en effet pas les seuls instruments mis à notre disposition pour tenter d'appréhender la réalité. Il existe des fonctions qui se situent en dessous de l'intelligence - par exemple l'imagination, la volonté ou le sentiment - et il en est d'autres se trouvant au-dessus de cette intelligence, comme l'esprit divin (en hébreu: Rouah haKodesh). Il ne faut donc guère s'étonner s'il existe des notions que l'être humain ne puisse pas saisir rationnellement dans toute leur profondeur. L'une des fonctions pour y parvenir est le Remez, le sens allusif, qui selon Maïmonide suscite notre curiosité et nous éveille au sens moral. Ainsi, les sonneries du Shofar renferment-elles de nombreux sens dont il est évident que la plupart ne sont pas perceptibles par l'intelligence humaine. Face à cette question, il peut exister deux déviations, dangereuses toutes les deux, qui constituent en quelque sorte deux attitudes extrémistes et fallacieuses. D'après la première, I'homme aurait les facultés nécessaires pour tout comprendre. Ce qui revient à dire, par exemple selon la theorie d'Aristote, que seul l'intelligible est réel: ce que l'homme ne peut comprendre n'existerait pas. L'autre déviation consiste à penser que l'on ne peut rien approfondir et que tout est mystère. Or il est certain que les commandements de la Tora font appel à nos facultés de compréhension, comme il est écrit: "Ta 'mitsva' [précepte] est très large et immense". Mais d'un autre côté, il existe dans une certaine mesure une zone frontière entre ce qui est perceptible par l'intelligence, et ce qui se trouve au-delà d'elle. Maïmonide consacre une partie importante de son Livre des Egarés à ce qu'il appelle les "Taamé ha-Mitsvot" (Les motivations des préceptes), et explique que l'être humain ne peut prétendre comprendre et assimiler l'intégralité des commamdements, et particulièrement les commandements les plus ardus - comme celui des cendres purificatrices de la vache rousse. De la même manière, il n'est pas très aisé de saisir aisément toutes les significations du précepte qui consiste à s'emparer d'une corne de bélier pour y souffler à plusieurs reprises, et selon des durées et des intonations différentes . La seule interprétabon rationnelle, explique encore Maïmonide, consiste à dire que le Shofar réveille l'âme humaine. Pendant toute l'année, I'être humain mène en effet un train de vie "infernal" qui ne lui laisse pas le loisir de se pencher posément sur le sens de son existence. Or à Rosh Hashana, le Shofar vient nous extirper de cette torpeur: grâce à ses sons si impressionnants et si purs, il ébranle notre personme et notre sensibilité. "Le Shofar peut-il retentir dans la ville sans que le peuple ne soit pris de tremblements ?" remarque le prophète. Ce curieux instrument qui semble venir du fond des âges, suscite en effet un réveil au plus profond de l'être humain et le force à secouer sa nature foncièrement bonne. Certaines théories ont prétendu que l'éducation idéale consistait à imposer et calquer sur l'individu un comportement qui lui est fondamentalement extérieur. C'était la conception en vigueur dans le monde occidental jusqu'il y a deux cents ans. Ce n'est qu'il y a deux siècles que quelques penseurs révolutionnaires, comme Jean-Jacques Rousseau, ont démontré que cette approche était erronée: I'éducation ne devrait pas avoir pour objectif de forcer l'homme à accepter des qualités et des penchants qu'il ne possède pas par nature. Au contraire, I'éduquer consiste à le libérer de ses mauvais instincts et de son côté négatif et de permettre à son intérionté de s'épanouir. Lorsque l'homme apparaîtra dans son aspect le plus pur, son éducation aura réussi. C'est là une conception optimiste selon laquelle l'être humain est intrinsèquement bon, alors que c'est bel et bien la société, le monde organisé et la vie quotidienne qui endommagent son âme. Cette conception est conforme à celle de la Tora: "Dieu créa l'homme 'tov meod' [impeccablement, parfaitement]", proclame la Bible dans les premiers chapitres de la Genèse. Il faut donc parfois aider l'être humain à se libérer de l'emprise de certaines influences néfastes. C'est pourquoi, disait Rousseau, toute chose est bonne au moment où elle sort de la main du Créateur, alors qu'elle se détériore une fois parvenue dans la main de l'homme. Voilà pourquoi la véritable éducation de l'enfant consiste à lui faire découvrir sa nature propre. Mais attention ! Il ne s'agit pas là d'une simple méthode pédagogique, sans doute assez attrayante en apparence pour l'éducation scolaire moderne. Cette analyse va beaucoup plus loin: elle remet totalement en cause toute la doctrine chrétienne ancienne qui considérait les enfants comme des suppôts du Diable uniquement parce qu'à leur jeune âge il n'avaient d'autres activités que celles de dormir et de manger. L'idée directrice de ces conceptions chrétiennes surannées consistaient à inculquer aux enfants exclusivement des "bonnes choses", afin d'exorciser leurs "tendances sataniques" naturelles. Remarquons d'ailleurs que cette méthode ne s'appliquait qu'aux individus du genre masculin les jeunes filles étant déjà condamnées des leur naissance à une satanisation permanente et définitive. Une déviation qui explique pourquoi certains de ces chrétiens, fort respectueux de cette tradition voyaient d'un très mauvais oeil le mariage, ne s'y soumettant que pour perpétuer la descendance de leur commumauté. A l'opposé, la Tora explique clairement que l'homme possède une âme pure: "L'âme que Tu m 'as donnée est pure", dit-on au matin dans la prière du réveil. Pour la Bible hébraïque, I'homme a été créé "à l'image de Dieu" et l'Ecclésiaste vient nous préciser que "Dieu a créé l'homme droit" - alors que c'est seulement l'existence terrestre qui entame cette certitude. Cela ne signifie évidemment pas qu'il faille donc délaisser l'existence terrestre et sociale: ne sommes-nous pas ici-bas pour sanctifier le Nom de Dieu - une entreprise nettement plus complexe que la mission des anges, lesquels se "bornent" quant à eux à sanctifier le Créateur dans les cieux (aunsi qu'il est mentionné dans le texte de la Kedoucha de la Amida, la prière des Dix-huit bénédictions) ? En fait, le son du Shofar vient nous réveiller et nous rappeler qui nous sommes réellement, quels objectifs élevés sont les nôtres dans ce monde-ci et combien notre nature profonde recèle de richesses enfouies. D'ailleurs ce cor est lui-même un instrurnent "naturel", certainement le plus naturel qui puisse exister, puisqu'il est simplement fait d'une corne de bélier ! Pour Maïmonide, les sonneries du Shofar restent donc au-delà de la compréhension humaine, mais elles font naître en nous un espoir: celui que leurs sons stridents ou graves, dénudés ou brisés, parfois même sanglotants, puissse réveiller authentiquement nos facultés secrètes. Mais, au-delà de cette explication de Maïmonide, nous pouvons tenter de pousser l'interprétation plus loin en rappelant aussi que le Shofar est souvent mentionné dans le texte biblique comme étant utilisé à des fins de guerre . Il est bien sûr toujours nettement plus heureux de régler des différends entre nations ou Etats en discutant et en négociant. Mais il existe parfois des situations qui ne laissent guère le choix et l'on est contraint de partir en guerre. Pour la Tora, c'est une Mitsva de partir en guerre lorsque Israël fait face à une menace susceptible de remettre en cause son existence même ! Or, lorsque le peuple d'Israël se mobilise et "sort" en guerre, il se doit de sonner le Shofar pour, là encore, éveiller les énergies et les motivations les plus nobles des combattants. Le fait est qu'à Rosh Hashana également, nous partons "en guerre": une guerre contre les pulsions instinctives négatives qui demeurent en nous! Or, comme nous le savons, il n'est guère aisé de remporter cette campagne. Ne sommes-nous pas, comme le commun des mortels, fortement soumis à nos pulsions ? L'exercice à bon escient de la liberté constitue un talent divin mais qu'il convient de développer et de structurer comme n'importe quel talent. Ainsi, le virtuose du piano doit-il s'entramer constamment pour intrepréter avec grâce et maestria son morceau. Il en est de même pour la guerre quand la vie même d'Israël est en danger. Nous l'avons dit, à Rosh Hashana, I'homme qui tente de retrouver sa nature profonde doit combattre aussi et entamer un combat. C'est alors, dit Maïmonide, que le Shofar l'aide à rencontrer et à saisir son intériorité. Dans l'un de ses ouvrages (Orot ha-Kodesh - "Les Lumières du Sacré''), le Rav Kook consacre une vingtaine de chapitres a ces sujets et les regroupe sous un titre général fort évocateur: "La découverte de la personnallé et la guerre intérieure". Et encore n'est-ce là que l'un des nombreux enseignements que l'on peut commenter autour de ce précepte si profond et si spécifique des sonneries du Shofar.