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--POURIM

LA CONDUITE EXEMPLAIRE DE MORDEAI

"Et Mordehaï ne se pliera pas et ne se prosternera pas" (Esther, III,
3): le Rouleau d'Esther nous relate le célèbre épisode
au cours duquel
Mordehaï, qui se tenait quotidiennement à l'entrée du
palais royal,
refusait systématiquement de se prosterner au passage du cruel
Aman, le Premier ministre de l'Empire perse.

Nos Sages s'interrogent sur la légitimité de la conduite
somme toute
assez téméraire de Mordehaï face à Aman: comment,
lui qui était
considéré comme le premier leader de la communauté
juive de Perse,
pouvait-il mettre en danger la vie de ses coréligionnaires en
adoptant, face
au deuxième personnage du royaume, une attitude aussi arrogante,
susceptible en tout cas d'exacerber la haine antisémite ?

L'un d'eux, Rabbi David Ben Zimra - dit "le Radbaz" - va Jusqu'à se
demander si cet entêtement de Mordehaï n'est pas justement
à l'origine du
tragique décret d'extermination signé par Aman.

On peut comprendre que ce geste de soumisison que constitue toute
revérence à un "grand" du royaume ne soit pas des plus
agréables, mais
n'est-ce pas le rôle d'un responsable de savoir à certains
moments précis
plier l'échine afin de sauver des vies humaines ?

Il est vrai que selon nos Sages, Aman s'état lui-même
"divinisé", ou
tout au moins portait autour du cou un pendentif idolâtre ! Et certains
commentateurs affirment que Mordehaï refusait de se prosterner devant lui
car il aurait alors commis un acte d'adoration idolâtre
catégoriquement
interdit par la Tora. Mais là encore, Mordehaï aurait
peut-être pu esquiver
ce problème en choisissant un autre itinéraire ou un autre
endroit pour
siéger.

Or une lecture plus approfondie de la Meguila nous révèle que
l'affrontement entre Mordehaï et Aman n'était pas accidentel.
En effet,
toute la communauté juive locale savait que Mordehaï agissait
de la sorte,
et les notables juifs avaient déjà, à plusieurs
reprises, tenté de le raisonner
et de le faire prendre conscience des dangers qui pesaient sur toute la
communauté en raison de cette attittude. Mais rien n'y faisait ! Car
chaque
jour, Mordehaï ne se prosternait pas devant Aman, dont la colère
ne faisait
que croître C'est pourquoi le verset cité en exergue utilise
le futur - un
temps qui pourrait de prime abord surprendre. Or les grammairiens
expliquent qu'il s'agit là d'un futur fréquentatif qui a pour
but de marquer
une action répétée.

Nos Sages compliquent encore le problème en nous racontant qu'Aman
avait tenté une approche plus bienveillante à l'égard
de Mordehaï en le
saluant d'un presque cordial "shalom" ! Comme Mordehaï ne
répondait pas
à cette étonnante marque de "courtoisie", Aman lui demanda
alors si ce
n'était pourtant pas l'usage chez les Juifs de se saluer de la
sorte. Sans se
laisser impressionner, Mordehaï lui aurait alors répondu qu'il
ne pouvait y
avoir de paix - de "shalom" justement - pour les méchants. On imagine
qu'Aman n'a pas dû apprécier le compliment !

Dans son ouvrage sur la Meguila d'Esther intitulé Or Hadash, le
Maharal de Prague explique qu'il ne s'agissait pas là d'une incartade
marginale, mais d'une question de principe: faut-il céder a la
cruauté, ou
bien convient-il au contraire d'adopter une attitude fière et résolue ?

Rabbi Shimon Bar Yohaï avait répondu à ce dilemme: devant la
méchanceté, estime-t-il, il est même permis d'arborer
une attitude
provocante (voir Traité talmudique Berakhot, p. 7 b). Cette
réponse est
évidemment très révélatrice de la
personnalité même de Rabbi Shimon Bar
Yohaï. On sait que ce fut un grand résistant contre
l'occupation romaine.
D'ailleurs, jugeant son attitude insupportable, les envahisseurs romains le
condamnèrent à mort, et il fut contraint de se cacher. Selon
le Midrash
Esther Rabba (VIl, 9), c'est cette même thèse que Mordehaï
a faite sienne.

Face à Aman, Mordehaï usait justement de cette force et de cette
détermination. Or cela ne doit pas nous surprendre puisqu'il
était lui-même
un descendant de Benjamin, le seul des enfants de Jacob qui ne
s'était pas
prosterné devant Esaü lors de la fameuse rencontre entre les
deux frères,
lors du retour de Jacob en terre d'Israël, après son long exil
chez son oncle
Laban puisqu'il n'était pas encore né. Selon le Midrash, ceci
est lié au fait
que Benjamin est le seul des enfants de Jacob à être né
en Israël, et n'a
donc pas de mentalité de faiblesse.

Cette dimension - être intimement lié à Eretz
Israël - est indispensable
pour celui qui entend tenir tête à la cruauté ! S'il
arrive que les
contingences de l'exil exigent parfois que l'on doive s'humilier face aux
étrangers et aux "gentils" qui nous gouvemaient, en Eretz Israël au
contraire, un peuple libre doit adopter une politique libre !

Nos Sages sont revenus en détail sur la célèbre
rencontre au cours de
laquelle Jacob s'était prosterné devant Esaü: ils
comprennent fort bien son
attitude et vont même jusqu'à la justifier. Cependant, cette
compréhension
n'est pas départie d'une certaine critique comme il est
écrit: "Puisque tu
t'es prosterné huit fois devant Esaü, il y aura huit rois de la
descendance
d'Esaü qui régneront avant qu'il n y ait un roi pour
Israël'. En effet, pour
espérer voir s'édifier un royaume ou un Etat
indépendant, il est nécessaire
de posséder au départ un certain esprit de liberté et
d'indépendance.

Dans son commentaire sur cette critique des Sages à l'égard
de Jacob,
Nahmanide voit là un précédent historique: n'est-ce
pas en signant des
traités de paix humiliants avec Rome à l'époque
hasmonéenne que le
peuple d'Israël a plus tard provoqué lui-même sa
déchéance ?

Mordehaï avait quant à lui compris qu'il ne fallait pas
céder ! En
reculant devant les premières pressions, on va de concession en
concession, et de recul en recul. Par contre, si l'on reste ferme, il est
évident que l'on paye un certain prix sur le moment, mais on
évite un
désastre dans l'avenir.

Mordehaï connaissait parfaitement les personnages impliqués dans les
intrigues du royaume: il savait par exemple que le roi de Perse,
Assuérus,
etait un homme cruel et sans scrupule. N'avait-il pas mis à mort sa femme
Vashti à cause de son refus de se présenter de manière
indécente devant
ses hôtes ? N'avait-il pas exigé et contraint toutes les
jeunes filles de son
royaume à se présenter devant lui, avant de choisir celle qui
finalement lui
conviendrait ? Quant à la cruauté d'Aman, elle
dépassait celle de son
souverain ! C'est pourquoi Mordehaï décida de s'opposer le plus
fermement possible au tyran qu'il était.

Un roman uchronique raconte l'histoire d'un jeune Juif qui aurait
assassiné Hitler bien avant que ne débute la Shoa. Ce geste
est condamné
dans ces termes par les notables de la communauté juive: "Mais enfin, cet
Hitler n'a fait aucun mal aux Juifs ! Ce ne sont que des paroles de haine !
Et on ne tue pas quelqu'un pour des paroles !"

Mordehaï comprenait qu'Aman désirait briser peu à peu
l'esprit de
fierté et d'indépendance que le peuple d'Israël avait
maintenu même en
exil .

Mais on objectera qu'il est évidemment toujours positif de conserver
son esprit d'indépendance et de fierté nationale, encore
faudrait-il être
capable de résister à ses ennemis. Il arrive que l'on n'ait
parfois pas d'autre
choix ! Or dans notre cas, il s'avère que Mordehaï était
parfaitement
conscient du potentiel et des qualités de son peuple, et son
attitude était
donc parfaitement fondée.

En fait, apres qu'Aman fut confondu, Assuérus n'a pas aboli le
décret
d'extermination réclamé auparavant par son Premier ministre:
il l'a
seulement associé à un autre décret qui permettait aux
Juifs de se
défendre. Il s'avéra que le courage des Juifs eut raison de
la cruauté des
Perses: "Venahafokh hou" - il y eut un renversement de situation ! Une
fois de plus fut vérifiée l'évidence que le peuple
d'Israël n'est pas une
nation faible et craintive, mais forte. Peut-être les Juifs se croyaient
cependant moins courageux et puissants qu'ils ne l'étaient ?
Peut-être
avaient-ils une trop forte tendance à se dévaloriser aux yeux
des autres
peuples, et sans doute étaient-ils de facto tombés dans cet
état de faiblesse
générale et de renoncement  Tout cela ne ferait que confirmer
le vieux
proverbe juif: "Celui qui se fait brebis, le loup le dévore".

Mais en fait, le peuple d'Israël était doté d'un courage
hors du commun,
et c'est ce courage profondément enraciné dans l'âme de
la nation qui a
justement surgi chez Mordehaï au moment de combattre les forces du mal
représentées par Aman. A partir de là, tout devient
plus clair: ce n'est pas
l'attitude "arrogante" de Mordehaï qui a suscité le
décret d'extermination,
mais c'est bien au contraire la faiblesse de l'ensemble du peuple
paralysé
dans son état diasporique. Il convient même d'affirmer que
c'est bien la
témérité de Mordehaï qui a sauvé les Juifs !

Ce point est particulièrement illustré par nos Sages: "Lorsque
le décret
parut, Mordehaï sut ce qui s'était passé: 'Et
Mordehaï- déchira ses
vêtements' ..." (Esther, IV, 1) Bien sûr que Mordehaï
"savait" ! N'était-il
pas apparament la cause profonde de ce développement ? Sur ce point,
Rachi explique que Mordehaï savait, de source divine, que tout cela se
produisait parce que les Juifs s'étaient prosternés devant la
statue de
Nabuchodonozor, et qu'ils avaient plus tard joui du festin donné par
Assuérus. Il est d'ailleurs possible que cette statue n'ait pas
été une idole et
que l'on ait pu trouver une excuse à leur comportement, mais il
était
assurément signe de couardise. De même, la participahon des
Juifs au
festin d'Assuérus était une preuve manifeste de faiblesse et
de soumission,
et ce, même si, comme le précise la Meguila d'Esther, "la
boisson était
conforme [aux règles alimentaires] de la religion juive]" (Esther, 1,
8) et
le repas était strictement cachère.
Le problème venait surtout du fait que les Juifs étaient
quasiment tous
présents au festin, et qu'ils en avaient largement et publiquement
profité,
s'engageant ainsi insidieusement dans la voie d'une extermination.

Et c'est donc l'homme du courage, I'inébranlable Mordehaï, qui a su
réveiller les forces enfouies de son peuple en vue
d'accélérer le salut de
tous !

De nos jours également, ne sommes-nous pas appelés à
prendre cette
conduite comme exemple et à en tirer les enseignements les plus
pertinents
pour savoir faire face aux événements contemporains ?