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--MICHPATIM

LA LOI, LA VERITE ET LA REALITE

Le célèbre adage selon lequel "il faut rendre à Dieu ce
qui appartient à
Dieu, et rendre à César ce qui est à César"
n'est en rien conforme à
l'esprit du judaïsme.

La Tora considère en effet que ce qui appartient à
César appartient en
fait, de manière absolue, à Dieu. En d'autres termes, le royaume de
l'Eternel n'est pas seulement dans les cieux, mais également sur terre.

C'est que la lumière divine n'a pas seulement pour vocation
d'apparaître
dans la profondeur des âmes et dans l'éclat de la foi, mais
également dans
les lois régissant la vie quotidienne des hommes, voire même -
pourquoi
pas ? - dans les transactions financières les plus délicates.

Ainsi, ne devons-nous pas être étonnés de trouver dans
notre section
hebdomadaire une profusion exceptionnelle de lois censées
régir les
relations interpersonnelles et codifier la vie sociale et commerciale, et qui
nous fournissent en fait une véritable "jurisprudence divine". Et ce
n'est pas
un hasard non plus si, le lendemain même du don de la Tora au mont
Sinaï, Moïse se trouve occupé non pas à enseigner
les sublimes vérités de
la foi, mais plutôt à régler des problèmes fort
prosaïques, de type financier
ou liés directement à tous les aspects de la vie quotidienne
des êtres
humains .

"Ce fut au lendemain. Moïse s'assit pour rendre la justice au peuple,
et Ie peuple se tenait debout autour de Moïse,
du matin jusqu'au soir"
(Exode, XVIII, 13) Le leader spirituel d'Israël, sorti d'Egypte, rendait
donc la justice ! Et pour lui, rendre la justice de manière objective, en
tendant sans cesse vers la vérité, était une
responsabilité considérable. A
tel point d'ailleurs qu'il lui semblait impossible de confier cette
tâche à
d'autres - et ce, jusqu'à ce que Jétro, son beau-père,
lui fasse part plus tard
de ses célèbres conseils de "décentralisation".

Mais pour rendre cette justice en toute vérité, il ne suffit
pas de
connaître la loi dans ses moindres détails. Une autre
condition s'impose
également: en effet, nos Sages considèrent le juge comme un
être
quasiment associé à l'¦uvre divine de la Création. Ils
affirment ainsi que
les juges qui rendent un jugement "Emet lé amito" - "vrai de vrai" - sont
associés à Dieu dans l'¦uvre de la Création
(Traité talmudique Sanhédrin,
p. 7/a).

Evidemment, les commentaires du Talmud ne sauraient laisser passer
cette formulation redondante "vrai de vrai". Voilà pourquoi les
Tossafistes
(commentateurs disciples de Rachi) interprètent cette expression de
manière laconique: "[elle est employée] pour exclure [la
possibilité d'] un
jugement tronqué" (Traite Baba Batra, p. 8/b). Mais qu'est-ce exactement
qu'un jugement tronqué, "Din méroumè" en hébreu ?

Exemple: les parties en présence dans un litige font
comparaître des
témoins qui doivent être longuement examinés par les
juges. Ces derniers
peuvent très bien parvenir à la conclusion que leurs
dépositions sont
fallacieuses et qu'il s'agit là d'un faux témoignage. Il peut
également arriver
qu'on ait à faire à une situation intermédiaire assez "gênante" dans laquelle,
forts de leur expérience passée, les juges ressentent avec
une absolue
certitude que ces témoins-là sont bel et bien des menteurs,
sans toutefois
parvenir a le prouver de manière incontestable.

Dans ce cas, les juges se trouvent confrontés à un dilemme:
devront-ils
faire confiance à leur "intime conviction" et donc rendre invalides les
dépositions de ces témoins, ou bien devront-ils ne pas tenir
compte de
cette intuition savante et ne s'en remettre qu'aux propos de ces témoins,
conformément au formalisme de la loi.

Car respecter la loi à la lettre, revient, dans ce cas complexe,
à opter
pour la seconde solution. Et s'il s'avère plus tard - toujours
d'après le texte
formel de la Tora écrite - qu'une erreur judiciaire a
été commise, ce seront
les témoins qu'on désignera ensuite comme directement
responsables, et
pas les juges. Or le Talmud - notre "loi orale " - s'élève
vivement contre
cette dernière possibilité: il s'agit là selon lui d'un
"jugement tronqué". Car
d'après les Sages, les juges disposent en fait d'une autre
alternative: s'ils en
arrivent au terrible dilemme évoqué
précédemment, ils doivent se démettre
de ce dossier et aiguiller les témoins vers d'autres juges plus
habiles et plus
perspicaces, susceptibles quant à eux de démontrer qu'il
s'agit de faux
témoins.

A la lumière de cette analyse, nous pouvons mieux comprendre le
double sens de l'expression "vrai de vrai" Dans le cas d'un jugement
tronqué, le verdict est "vrai", mais pas "vrai de vrai". Il est
"vrai" car il a
été rendu en stricte comformité avec la loi, mais il
n'est pas "vrai de vrai"
car il est fondé sur une méconnaissance foncière de la
réalité.

Or pour être "vrai de vrai", tout jugement doit à la fois
avoir pour base
une connaissance véritable de la loi et aussi une
appréciation complète et
véritable de la réalité ! C'est ce qui explique
l'expression de nos Sages
relative à l'examen des témoins: "Et tu rechercheras et tu
examineras, et
tu poseras les questions de façon excellente el précise. Et
voici la chose:
la chose est vraie et exacte ['émet vénahon']"
(Deutéronome, xm, 15).

Cependant, une chose peut-elle être "vraie" sans être "exacte"
? Oui,
répondent nos Sages qui expliquent également la redondance 'tu
rechercheras et tu examineras". Ainsi nous affirment-ils: "Tu examineras
les témoins et tu rechercheras dans la Tora". Il faut à la
fois saisir
exactement ce qu'est la réalité en interrogeant avec
précision les témoins,
mais il faut également chercher ce qu'est la vérité
des lois énoncées par la
Tora.

Dans ce sens, le Gaon de Vilna s'interroge sur la double expression
employée par le texte biblique à propos de l'mterdicbon de
"chokhad ' (les
pots-de-vin" parfois proposés aux juges par les parties dans une
affaire):
"Car les pots-de-vin rendent aveugles les yeux des Sages et rendent
aveugles les yeux des intelligents". En effet, pour juger, il faut à
la fois être
sage et connaître la Tora, mais il faut aussi être intelligent
et connaître la
réalité !

De même, I'exigence imposée aux juges de tirer des conclusions
claires
se trouve répétée à deux reprises à
propos du verset: "Maison de David,
c'est ainsi que Dieu a parlé: rendez justice le matin, et sauvez
l'homme à
qui on a fait violence de son oppresseur !" A propos de ce verset, nos
Sages posent la question: rend-on uniquement des jugements le matin, et
non toute la journée ? Ce à quoi ils répondent: "Si la chose est claire
comme le matin, dites-le, sinon ne le dites point !" (Traité talmudique
Sanhédrin, p. 7b). En effet, toute sentence doit être
absolument claire
"comme un clair matin". "Dis à la sagesse . 'tu es ma soeur' . .". Cette
deuxième expression est discutée de la même
manière par le Talmud
(Sanhédrin, ibid.) qui énonce en conclusion: "Si la chose est
claire
comme l'interdit qui t'empêche d'épouser ta propre soeur,
dis-le; sinon
ne le dis point !"

Là encore, les choses doivent être limpides, et il est mdispensable
d'obtenir les deux types de "clarté". D'après le Gaon de Viina
(dans son
commentaire sur Mishlé XXII, 12), la première doit venir
comfirmer que ta
connaissance de la loi est suffisamment approfondie pour te permettre de
pouvoir statuer avec une absolue certitude - comparable à
l'évidence qui
nous oblige à ne pas nous marier avec notre soeur; la seconde doit nous
assurer que tu dois absolument connaître et appréhender la
réalité - de
même que le matin qui se lève permet de voir le paysage dans
ses infimes
détails .

Le Gaon de Vilna nous explique donc qu'il est nécessaire pour le juge
de maîtriser une double science. D'abord, il faut être expert
dans la Tora
et ensuite, il faut être un érudit des réalités
terrestres pour être apte à
chaque fois de décider si les témoins disent vrai (voir aussi
le Gaon de
Vilna dans son commentaire sur le Cantique des Cantiques III, 8).

Dans un autre ordre d'ldée, on pourrait à présent
mieux saisir les
fameuses directives du rav Kook relatives aux chemins à emprunter pour
ramener notre géneration vers la Tora.

Exposant à son disciple, le rav Harlap, la nécessité
d'une reformulation
moderne des sentiers du repentir - lesquels seront plus tard abordés et
compilés dans son célèbre ouvrage Orot ha-Teshouva (Les
Lueurs du
Repentir), il lui expliquera que cette formulation est incontournable face
aux nouvelles réalités: "Celul qui voudra tracer de nouvelles
voies
concernant la teshouva, mais qui ne prêtera guère attention aux
lumières
de la résurrection nationale en terre d'Israël qui jaillissent
sur nous, ne
saurait atteindre la véritable vérité" (Lettres 378).

Evidemment, aujourd'hui encore, c'est toujours du même "repentir" qu'il
s'agit, mais sa concrétisation doit se moduler d'après les
nouvelles réalités
qu'affronte notre génération: celle d'un peuple en pleine
résurrection !

Car Israël n'est déjà plus dans les profondes
ténèbres de l'exil. La
lumière commence à jaillir à Sion, ce qui oblige
à une reformulation et une
reorganisation des modalités du retour à la Tora. Un enseignant
traditionnel qui tenterait, à la mode antique, de convaincre ses
disciples de
se plier au respect des commandements, parlerait assurément un langage
de vérité, mais pas de "vérité vraie": il ne
serait pas "branché" sur la
nouvelle réalité du Retour des exilés à Sion.