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JETRO

UNIVERSALISME ET PARTICULARISME

Contradicteur systématique du Sage dans le livre du Kouzari écrit
par Rabbi Yéhouda Halévi, le roi des Kazars marque son
étonnement - que nous ne pouvons que partager - sur une question
centrale: pourquoi la Tora, qui est la vérité absolue,
a-t-elle éte
transmise à une seule nation et pas à l'humanité tout
entière ?

Les nations de la terre n'auraient-elles pas pu tirer un profit
bénéfique
de la richesse spirituelle contenue dans les récits bibliques ?

Rabbi Yehouda Halévi répond à cette interrogation en
affirmant que
pour être apte à recevoir une lumière, il faut disposer
d'un réceptacle
susceptible de la capter. De même qu'il est superflu d'enseigner la
musique
à quelqu'un totalement dépourvu de sens musical, de
même le créateur ne
saurait transmettre la Tora à un peuple insuffisamment
homogène ni apte à
la comprendre ou à la respecter. C'est que la Tora est à la
fois une science
et aussi une conception du monde correspondant à la nature profonde de
l'être humain.

On rapporte ainsi que les Patriarches respectaient la Tora avant même
de l'avoir reçue car elle était déjà
profondément ancrée dans leur intériorité:
il leur suffisait d'une simple introspection pour qu'elle se
révèle en tant que
mouvement naturel de leur personnalité.

Qui plus est, confier la Tora à un "réceptacle" non
approprié aurait
même pu causer quelque dommage: comme si une nourrice donnait une
nourriture d'adulte à un nourrisson ! On connaît ce fameux
midrash selon
lequel Dieu a successivement proposé la Tora à plusieurs
nations qui l'ont
toutes refusée, chacune à cause d'un commandement particulier
hétérogène
à leur psychisme national. Ainsi, Esaü - le fondateur
emblématique du
monde occidental - ne fut-il pas capable d'accepter le précepte moral
élémentaire "Tu ne tueras point" car le meurtre faisait
partie de sa nature
intrinsèque comme il est écrit à son propos: "Et tu
vivras par le glaive".

Les enfants d'Ismaël ont refusé quant à eux la loi du
Sinaï à cause du
commandement "Tu ne voleras point", comme il est écrit à propos
d'Ismaël: "Sa main est sur tout bien".

Enfin, les descendants d'Amon et de Moab ont refusé la Tora à
cause
de l'injonction interdisant l'adultère. Comment aurait-il pu en être
autrement puisqu'eux-mêmes sont issus de l'union incestueuse de Lot avec
ses deux filles.

Evidemment, ce midrash ne doit pas être pris à la lettre: il
s'agit plutôt
d'une profonde élucidation de
l'hétérogénité de la Tora par rapport à
la
nature de certains êtres humains.

Dans ce contexte, doit-on affirmer que les autres nations sont privées de
la "félicité éternelle" rendue possible grâce
à la sagesse toraique
uniquement parce qu'elles ont rejeté le code de conduite
dicté au Sinaï ?

Loin de là ! La Tora n'est pas le seul mode de vie possible pour tous ces
peuples. Ainsi dans son livre "Haïkarim" (Les Principes), rabbi Yossef
Albo se demande s'il pouvait exister plusieurs religions parallèles,
toutes
"vraies" simultanément, et en quelque sorte concomitantes. Et de
répondre
que tout dépend des différences entre lesdites religions: si la pierre
d'achoppement d'un débat interconfessionnel est la divergence sur le
fondement de la foi, I'une de ces confessions sera forcément dans
l'erreur.
Il serait en effet impossible qu'il puisse exister à la fois un seul
dieu, et par
ailleurs trois divinités !

Mais si ces religions se différencient au niveau des "directives
opérationnelles", elles peuvent être simultanément
vraies: car à des êtres
différents, il convient de donner des instructions pratiques
différentes ! La
Tora elle-même fait une distinciton entre les commandements concemant
les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, les Cohen et les
Lévy.

Le principe est simple: différencier n'est pas séparer. S'il
en est ainsi,
existe-t-il une autre religion "vraie" hormis le judaisme ? Rabbi Yossef
Albo répond positivement: c'est la religion noahide qui inclut sept
principes fondamentaux - I'interdiction de l'idolâtrie, du
blasphème, du
meurtre, de l'inceste, du vol; I'obligation de mettre sur pied un système
juridique, et l'interdichon de manger un membre d'un animal encore vivant
("Ever min Hakhaï").

La religion noahide est universelle: et c'est justement par son
intemmédiaire que les nations de la terre peuvent parvenir à
la "félicité
éternelle" (appelée "Olam Haba" ou "monde qui vient" dans la
tradition
juive).

Ainsi, les Hassidé Oumot ha-Olam - les "gens fervents parmi les
nations" - les Tsadike Oumot ha-Olam - les "justes parmi les nations -
ont accès au monde futur. On peut d'ailleurs remarquer que le midrash
cité
précédemment relève que l'humanité n'est
malheureusement pas encore
respectueuse des préceptes noahides, lesquels constituent en fin de
compte
les fondements moraux de la vie humaine.

De surcroît, à titre individuel, certains membres des nations
du monde
peuvent rejoindre le peuple d'Israël et en devenir partie
intégrante au
moyen de la conversion. Très peu en rapport avec toutes les formes trop
bien connues, depuis si longtemps, de prosélytisme, ce processus
serait en
fait comparable à une "greffe" qui transformerait la branche en une
partie
intégrante de l'arbre.

Le converti deviendrait quasiment un membre à part entière de la
communauté d'Israël, et ce n'est pas par hasard que notre section
shabbatique qui évoque le don de la Tora au mont Sinaï, porte
précisément
le nom de Jétro. Beau-père de Moïse, mais surtout l'un
des plus célèbres
convertis de notre histoire, Jétro est arrivé à la
conclusion que la vérité
suprême se trouvait dans le judaïsme, non sans avoir auparavant
approfondi chacune des religions et étudié chaque
système de pensée:
"Maintenant, je sais que Dieu est le plus grand de tous les dieux" (Exode,
XVIII, I l). Et nos Sages de dire: "Si cette phrase avait été
prononcée par
une autre personne, elle aurait valu à son auteur les critiques ironiques
du monde entier. Mais Jétro était un grand penseur, un
chercheur et un
philosophe illustre, et c'est pourquoi il savait de quoi il parlait et il a pu
faire intégralement partie du peuple juif en connaissance de cause".

C'est pourquoi, disent encore nos Sages, il n'existait nulle forme
d'idolâtrie dans le monde, que Jétro n'ait point connue et
n'ait point servie
(voir Mehilta). Cette "conversion" de Jétro ne fut donc pas un brusque
changement, mais plutôt l'aboutissement d'une longue recherche:
"Maintenant je sais . je le connaissais [Dieu] dans le passé; et
maintenant je le connais encore plus !" (ibid.).

Pour Jétro, ce cheminement ne fut pas sans difficultés: il
avait été banni
par son entourage à tel point qu'il ne pouvait plus accéder
au puits et
abreuver son troupeau. Ses filles devaient s'acquitter de cette tâche,
donnant ainsi l'occasion aux bergers de Midian de leur faire chaque fois
offense (Exode, Il, 16, et voir Rachi apud). Or Moïse avait un ardent
désir
et une aspiration profonde pour rapprocher le plus d'individus vers la
lumière.

C'est d'ailleurs cette propension généreuse de Moïse
qui, au moment de
la Sortie d'Egypte, donna lieu à l'aventure du "Erev rav" - "le grand
mélange", comme il est écrit: "Un grand mélange monta
avec eux [les
enfants d'Israël] au cours de la sortie d 'Egypte" (Exode, XII, 3 8).
Et Rachi
d'expliquer: "Un grand mélange de nations et de convertis". Il ne
s'agissait pas alors de convertis sincères, mais de gens qui avaient
été
éblouis par l'éclat extérieur du peuple hébreu,
suite notamment aux
miracles liés aux dix plaies subies par l'Egypte.

"La population se rassembla contre Aaron" (Exode, XXI, 1).
D'après nos Sages, ce verset explique que c'est bien les gens du Erev rav
qui furent responsables de l'épisode du veau d'or: "Et Dieu lui en fait
reproche car ton peuple a péché: il n'est pas stipulé
lci 'le' peuple, mais
'ton' peuple. C'est le grand mélange que tu as accepté de
toi-même ! Tu
l 'as converti, mais tu ne m 'as pas consulté et tu as dit : 'Il est
bon que des
convertis se rapprochent de la présence divine'. Et ce sont eux qui ont
péché et entrainé les autres au péché !"
Ce qui fait qu'en fin de compte, le
peuple d'Israël n'est pas pur: il inclut également les
descendants du grand
mélange .

De nos jours, personne ne peut être certain qu'il ne possède
pas en lui
d'anciens liens avec ce grand mélange. Quels seraient, d'après
la tradition,
les signes distinctifs de ce genre de personnes ? Le Gaon de Vilna les
classe quant à lui, en cinq catégories, toutes parties
intégrantes de ce grand
mélange dans le peuple d'israël: les querelleurs et les
médisants; les
jouisseurs; les hypocrites; ceux qui cherchent les honneurs; ceux qui
cherchent l'argent D'après le Gaon de Vilna, les querelleurs sont
définis
comme "les pires", et ils sont d'ailleurs appelés Amalécites.
Or le Mashiah,
fils de David, ne viendra pas avant qu'ils aient disparu de la terre.
Voilà
pourquoi chaque querelle qui ne se ferait pas "au nom du ciel" (Leshem
shamaïm) trouve sa source dans le grand mélange: ce sont ses membres
qui décident de la loi et qui s'attribuent cette courorme (Even
Chelema ch.11)

Lorsque nous nous trouvons en face de querelleurs, de gens qui
suscitent des disputes intestines au sein du peuple juif - même si ce sont
des gens de grande envergure - nous devons nous attrister de constater que
malheureusement, ils subissent là l'influence de ce grand
mélange qui
"travaille" en eux à leur insu.

Mais il ne faut pas désesperer: toutes ces lacunes
disparaîtront et, en
vue de la délivrance finale, le peuple d'Israël se
réunifiera dans une grande
harmonie.