----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ JETRO UNIVERSALISME ET PARTICULARISME Contradicteur systématique du Sage dans le livre du Kouzari écrit par Rabbi Yéhouda Halévi, le roi des Kazars marque son étonnement - que nous ne pouvons que partager - sur une question centrale: pourquoi la Tora, qui est la vérité absolue, a-t-elle éte transmise à une seule nation et pas à l'humanité tout entière ? Les nations de la terre n'auraient-elles pas pu tirer un profit bénéfique de la richesse spirituelle contenue dans les récits bibliques ? Rabbi Yehouda Halévi répond à cette interrogation en affirmant que pour être apte à recevoir une lumière, il faut disposer d'un réceptacle susceptible de la capter. De même qu'il est superflu d'enseigner la musique à quelqu'un totalement dépourvu de sens musical, de même le créateur ne saurait transmettre la Tora à un peuple insuffisamment homogène ni apte à la comprendre ou à la respecter. C'est que la Tora est à la fois une science et aussi une conception du monde correspondant à la nature profonde de l'être humain. On rapporte ainsi que les Patriarches respectaient la Tora avant même de l'avoir reçue car elle était déjà profondément ancrée dans leur intériorité: il leur suffisait d'une simple introspection pour qu'elle se révèle en tant que mouvement naturel de leur personnalité. Qui plus est, confier la Tora à un "réceptacle" non approprié aurait même pu causer quelque dommage: comme si une nourrice donnait une nourriture d'adulte à un nourrisson ! On connaît ce fameux midrash selon lequel Dieu a successivement proposé la Tora à plusieurs nations qui l'ont toutes refusée, chacune à cause d'un commandement particulier hétérogène à leur psychisme national. Ainsi, Esaü - le fondateur emblématique du monde occidental - ne fut-il pas capable d'accepter le précepte moral élémentaire "Tu ne tueras point" car le meurtre faisait partie de sa nature intrinsèque comme il est écrit à son propos: "Et tu vivras par le glaive". Les enfants d'Ismaël ont refusé quant à eux la loi du Sinaï à cause du commandement "Tu ne voleras point", comme il est écrit à propos d'Ismaël: "Sa main est sur tout bien". Enfin, les descendants d'Amon et de Moab ont refusé la Tora à cause de l'injonction interdisant l'adultère. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu'eux-mêmes sont issus de l'union incestueuse de Lot avec ses deux filles. Evidemment, ce midrash ne doit pas être pris à la lettre: il s'agit plutôt d'une profonde élucidation de l'hétérogénité de la Tora par rapport à la nature de certains êtres humains. Dans ce contexte, doit-on affirmer que les autres nations sont privées de la "félicité éternelle" rendue possible grâce à la sagesse toraique uniquement parce qu'elles ont rejeté le code de conduite dicté au Sinaï ? Loin de là ! La Tora n'est pas le seul mode de vie possible pour tous ces peuples. Ainsi dans son livre "Haïkarim" (Les Principes), rabbi Yossef Albo se demande s'il pouvait exister plusieurs religions parallèles, toutes "vraies" simultanément, et en quelque sorte concomitantes. Et de répondre que tout dépend des différences entre lesdites religions: si la pierre d'achoppement d'un débat interconfessionnel est la divergence sur le fondement de la foi, I'une de ces confessions sera forcément dans l'erreur. Il serait en effet impossible qu'il puisse exister à la fois un seul dieu, et par ailleurs trois divinités ! Mais si ces religions se différencient au niveau des "directives opérationnelles", elles peuvent être simultanément vraies: car à des êtres différents, il convient de donner des instructions pratiques différentes ! La Tora elle-même fait une distinciton entre les commandements concemant les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, les Cohen et les Lévy. Le principe est simple: différencier n'est pas séparer. S'il en est ainsi, existe-t-il une autre religion "vraie" hormis le judaisme ? Rabbi Yossef Albo répond positivement: c'est la religion noahide qui inclut sept principes fondamentaux - I'interdiction de l'idolâtrie, du blasphème, du meurtre, de l'inceste, du vol; I'obligation de mettre sur pied un système juridique, et l'interdichon de manger un membre d'un animal encore vivant ("Ever min Hakhaï"). La religion noahide est universelle: et c'est justement par son intemmédiaire que les nations de la terre peuvent parvenir à la "félicité éternelle" (appelée "Olam Haba" ou "monde qui vient" dans la tradition juive). Ainsi, les Hassidé Oumot ha-Olam - les "gens fervents parmi les nations" - les Tsadike Oumot ha-Olam - les "justes parmi les nations - ont accès au monde futur. On peut d'ailleurs remarquer que le midrash cité précédemment relève que l'humanité n'est malheureusement pas encore respectueuse des préceptes noahides, lesquels constituent en fin de compte les fondements moraux de la vie humaine. De surcroît, à titre individuel, certains membres des nations du monde peuvent rejoindre le peuple d'Israël et en devenir partie intégrante au moyen de la conversion. Très peu en rapport avec toutes les formes trop bien connues, depuis si longtemps, de prosélytisme, ce processus serait en fait comparable à une "greffe" qui transformerait la branche en une partie intégrante de l'arbre. Le converti deviendrait quasiment un membre à part entière de la communauté d'Israël, et ce n'est pas par hasard que notre section shabbatique qui évoque le don de la Tora au mont Sinaï, porte précisément le nom de Jétro. Beau-père de Moïse, mais surtout l'un des plus célèbres convertis de notre histoire, Jétro est arrivé à la conclusion que la vérité suprême se trouvait dans le judaïsme, non sans avoir auparavant approfondi chacune des religions et étudié chaque système de pensée: "Maintenant, je sais que Dieu est le plus grand de tous les dieux" (Exode, XVIII, I l). Et nos Sages de dire: "Si cette phrase avait été prononcée par une autre personne, elle aurait valu à son auteur les critiques ironiques du monde entier. Mais Jétro était un grand penseur, un chercheur et un philosophe illustre, et c'est pourquoi il savait de quoi il parlait et il a pu faire intégralement partie du peuple juif en connaissance de cause". C'est pourquoi, disent encore nos Sages, il n'existait nulle forme d'idolâtrie dans le monde, que Jétro n'ait point connue et n'ait point servie (voir Mehilta). Cette "conversion" de Jétro ne fut donc pas un brusque changement, mais plutôt l'aboutissement d'une longue recherche: "Maintenant je sais . je le connaissais [Dieu] dans le passé; et maintenant je le connais encore plus !" (ibid.). Pour Jétro, ce cheminement ne fut pas sans difficultés: il avait été banni par son entourage à tel point qu'il ne pouvait plus accéder au puits et abreuver son troupeau. Ses filles devaient s'acquitter de cette tâche, donnant ainsi l'occasion aux bergers de Midian de leur faire chaque fois offense (Exode, Il, 16, et voir Rachi apud). Or Moïse avait un ardent désir et une aspiration profonde pour rapprocher le plus d'individus vers la lumière. C'est d'ailleurs cette propension généreuse de Moïse qui, au moment de la Sortie d'Egypte, donna lieu à l'aventure du "Erev rav" - "le grand mélange", comme il est écrit: "Un grand mélange monta avec eux [les enfants d'Israël] au cours de la sortie d 'Egypte" (Exode, XII, 3 8). Et Rachi d'expliquer: "Un grand mélange de nations et de convertis". Il ne s'agissait pas alors de convertis sincères, mais de gens qui avaient été éblouis par l'éclat extérieur du peuple hébreu, suite notamment aux miracles liés aux dix plaies subies par l'Egypte. "La population se rassembla contre Aaron" (Exode, XXI, 1). D'après nos Sages, ce verset explique que c'est bien les gens du Erev rav qui furent responsables de l'épisode du veau d'or: "Et Dieu lui en fait reproche car ton peuple a péché: il n'est pas stipulé lci 'le' peuple, mais 'ton' peuple. C'est le grand mélange que tu as accepté de toi-même ! Tu l 'as converti, mais tu ne m 'as pas consulté et tu as dit : 'Il est bon que des convertis se rapprochent de la présence divine'. Et ce sont eux qui ont péché et entrainé les autres au péché !" Ce qui fait qu'en fin de compte, le peuple d'Israël n'est pas pur: il inclut également les descendants du grand mélange . De nos jours, personne ne peut être certain qu'il ne possède pas en lui d'anciens liens avec ce grand mélange. Quels seraient, d'après la tradition, les signes distinctifs de ce genre de personnes ? Le Gaon de Vilna les classe quant à lui, en cinq catégories, toutes parties intégrantes de ce grand mélange dans le peuple d'israël: les querelleurs et les médisants; les jouisseurs; les hypocrites; ceux qui cherchent les honneurs; ceux qui cherchent l'argent D'après le Gaon de Vilna, les querelleurs sont définis comme "les pires", et ils sont d'ailleurs appelés Amalécites. Or le Mashiah, fils de David, ne viendra pas avant qu'ils aient disparu de la terre. Voilà pourquoi chaque querelle qui ne se ferait pas "au nom du ciel" (Leshem shamaïm) trouve sa source dans le grand mélange: ce sont ses membres qui décident de la loi et qui s'attribuent cette courorme (Even Chelema ch.11) Lorsque nous nous trouvons en face de querelleurs, de gens qui suscitent des disputes intestines au sein du peuple juif - même si ce sont des gens de grande envergure - nous devons nous attrister de constater que malheureusement, ils subissent là l'influence de ce grand mélange qui "travaille" en eux à leur insu. Mais il ne faut pas désesperer: toutes ces lacunes disparaîtront et, en vue de la délivrance finale, le peuple d'Israël se réunifiera dans une grande harmonie.