-----------------------------------------------------------------
-------------
																					©Tout droits réservés

							Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël

											Communauté On-Line : WWW.COL.FR
----------------------------------------------------------------------------
--HOUKAT (II)

UNE ETRANGE ROUSSEUR

"L 'Eternel parla à Moïse et à Aaron en disant: 'Ceci
est un statut de la
loi qu'a prescrit l'Eternel en disant: Parle aux Enfants d'Israël et dis-
leur de te choisir une vache rousse, parfaite, sans aucun défaut et qui
n'ait pas encore porté le joug ... Alors, on brûlera la vache
sous ses
yeux: sa peau, sa chair et son sang, on les brulera avec sa fiente' ... "
(Nombres, XIX, 1-5).

Nos Sages les plus prestigieux se sont penchés sur le cas assez
surprenant de "la vache rousse" et de ses cendres qui rendent purs les
impurs, et impurs les purs. Ce sujet a toujours fait l'objet des plus intenses
discussions et enflammé de nombreux débats talmudiques. Comment en
effet interpréter un tel commandement, et expliquer ce qui de prime abord
peut apparaître à ce point paradoxal ?

De tous temps, les hérétiques au sein même du peuple
d'Israël, tout
comme chez les non juifs, ont fait référence à ce
précepte pour se moquer
de notre religion et de son enseignement. On raconte même qu'un
idolâtre
avait posé la question suivante à Rabban Yohanan Ben Zakkai,
le président
du Sanhédrin - le grand tribunal rabbinique, Cour suprême de
l'époque:
"Ce cérémonial que vous détaillez si bien a tout
simplement l'air de n'être
rien d'autre que de la pure sorcellerie ! Vous prenez une vache, vous la
brûlez, vous pilez ses cendres et lorsque quelqu'un est impur, vous
aspergez quelques gouttes et, d'un seul coup, il devient pur !" (Midrash
Rabba, Bamidbar, alinéa 19).

Et effectivement, même auprès des plus fervents parmi les
croyants, ce
genre de commandement suscite l'une des interrogations les plus
pertinentes: "Avons-nous le devoir de chercher à tout comprendre de la
signification profonde des commandements dont l'Eternel nous a gratifiés
sur le mont Sinaï ?"

Peut-être existerait-il des préceptes dont le sens
véritable échappe
totalement à notre entendement humain, alors qu'ils sont de toute
évidence
fondés au plan divin ?
Ou bien encore, peut-être Dieu entend-ll ainsi nous éprouver
en nous
astreignant à ces décrets hermétiques afin de
déceler la profondeur de
notre engagement et de notre foi en Lui ? Car, finalement, "croire en
Dieu", ne serait-ce pas Lui prouver totalement notre confiance ?

Dans ce cas, la signification de cet étrange commandement de "la vache
rousse" transcenderait une tout autre interprétation que celle
d'accomplir la
volonté divine.

Pourtant, dans son Guide des Egarés, Maïmonide s'insurge presque
violemment contre cette dernière suggestion. Pour lui en effet, les
commandements de la Tora ont tous une signification profonde, comme le
texte de la Bible hébraïque le mentionne clairement: "Tu feras les
commandements... pour ton bien". L'accomplissement de chaque précepte
aurait donc un impact soit sur le comportement de l'être humain, soit sur
ses qualités, soit sur ses opinions et ses pensées. En effet,
n'est-il pas écrit
ailleurs dans la Tora: "C'est là un peuple sage et avisé ... ?"

Si les préceptes n'avaiert pas de signification profonde, en quoi le
peuple censé les respecter, serait-il plus sage et avisé ? Il
ne constituerait
alors rien de plus qu'une nation disciplinée et dévouée.

Tous les commandements ont donc leur signification, n'a de cesse de
répéter Maïmonide. Et de citer un Midrash de nos Sages selon lequel le roi
Salomon, le plus sage de tous les hommes, connaissait le sens profond de
tous les préceptes à l'exception de "la vache rousse".
Pourquoi ? Eh bien
tout simplement parce que le sens caché de cette mitzva est trop profond
pour être appréhendé par l'esprit humain - et
même par celui
particulièrement développé de Salomon, roi
d'Israël et sage parmi les
sages.

Il est donc hors de question pour Maïmonide d'envisager que l'Eternel
ait pu nous transmetre des commandements inexplicables. Mais d'autres
commentateurs érudits, comme Rabbi Yéhouda Halévi,
nous ont pourtant
mis en garde contre les dangereux glissements qui pourraient résulter
d'une recherche trop tenace et trop poussée de la signification des
commandements divins. En effet, I'être humain trop soucieux de
découvrir
le sens de tous les préceptes de la Tora n'en viendrait à ne
pouvoir les
respecter qu'après en avoir totalement assimilé le sens dans
son esprit ! Or
cela transformerait le service divin en une sorte de culte de la raison,
semblable à celui instauré par les libres penseurs du
siècle des lumières au
lendemain de la Révolution française.

Nous sommes donc confrontés à deux opinions opposées:
celle, très
rationnelle, de Maïmonide qui prône la recherche d'une
signification à tous
les commandements, et celle de Rabbi Yéhouda Halévi qui nous
met en
garde contre les risques de dégénérescence pour notre
intégrité morale et
notre foi, au cas où, justement, nous ne parviendrions pas à
trouver un sens
suffisamment clair pour nous, à tel ou tel précepte.

Pour Maïmonide, il faut donc s'appliquer à la recherche
rationnelle de la
compréhension du sens des commandements divins et, par
là-même, nous
hisser à un niveau qui nous permette de saisir la valeur authentique
de ces
préceptes, en évitant surtout de les réduire à
des sortes de "décrets divins"
dénués de toute signification !

Au contraire, I'opinion de Rabbi Yéhouda Halévi nous met en garde
contre la perte d'intégrité et de pureté qui
résulterait d'une adhésion trop
entière à la "foi du philosophe", par certains aspects
préconisés par le
Rambam. Or Rabbi Yéhouda Halévi serait-il alors partisan
d'une sorte de
"foi du charbonnier" face aux merveilles de la raison ?

En se penchant de plus près sur ces deux avis, on constate qu'il n'existe
en fait aucune contradiciton sérieuse entre eux. Rabbi Yehouda
Halévi lui-
même accepte le principe que les commandements ont bel et bien une
signification - et d'ailleurs, dans son livre du Kouzari, il s'applique
longuement à nous éclairer sur le sens de certains d'entre
eux. Mais il émet
une réserve de taille: le respect des mitzvot fondé sur leur
seule rationalité
ne saurait remplacer le véritable service divin !

Or Maïmonide, qui, nous l'avons vu, insiste davantage sur la
rationalité
des commandements, ne nie point quant à lui que la motivation profonde
de la personne humaine ne doit pas être cette recherche absolue de la
raison, mais bel et bien le service divin. Il I'afirme très
précisément dans
son introducion éthique au "Traité des Principes",
appelée "Shmoné
Prakim" ("Les Huit chapitres", ch. VI).

Selon lui, le raisonnement et l'expression employés dans ce domaine
sont essentiels. Ainsi, il ne faut pas dire 'Je ne mange pas de porc, car
cela me dégoûte", mais plutôt "parce que l'Eternel me
l'a interdit
formellement" (Sifra XX, alinéa 26). Maïmonide cite d'autres exemples de
ce genre, comme les interdits de la consommaion du lait en même temps
ou après la viande, et le port de vêtements faits de lin et de laine
(Shaatnez) .

Il apparaît donc bien que le Rambam conçoit lui-même
parfaitement
qu'on doive respecter les mitzvot pour le simple fait qu'elles consituent des
ordres divins, et qu'elles permettent de hisser l'homme à un niveau de
sainteté beaucoup plus élevé (Guide des Egarés,
volume 3, chap. VI).
Maïmonide résume magistralement cette thèse à la
fin de son traité, dans
ces lignes consacrées au service du Temple: "Bien que tous les
préceptes
de la Tora soient des décrets divins, il est souhaitable de tenter de les
expliquer. Et chaque commandement auquel tu peux apporter un sens,
donne-lui un sens. En effet, nos Sages nous ont dit que le roi Salomon
avait percé le secret de la connaissance concernant la plupart des
significations des lois de la Tora".

A la fin de son traité sur le service du Temple, Maïmonide explique
également :"Il est recommandé d 'approfondir les lois de la
Sainte Tora et
d'essayer de comprendre leur signification. Mais il ne faudra pas
considérer les choses incomprises comme étant de moindre
importance,
et il ne faudra pas déconsidérer l'ininterprétable !
Car celui qui tente de
se mesurer avec l'esprit divin risque d'en être puni. Il ne faut pas
considérer ces choses-là comme des données profanes
... : 'Je t'ai donné
des préceptes, et tu n'as pas le droit de les remettre en question'
... Car,
en respectant les commandements et les lois, les gens saints parviennent
au monde futur".