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--HOUKAT (I)

LE PROCES DE LA VIOLENCE

Voici que notre Maître Moïse recut une critique sans pareille de
l'Eternel: "... 'Et l'Eternel dit à Moïse et à Aaron:
Puisque vous n 'avez
pas assez cru en moi pour me sanctifier aux yeux des Enfants d'Israël,
aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que Je leur ai
donné"' (Nombres, XX, 12).

Quel était en fin de compte le degré de gravité de la
faute commise par
Moïse et Aaron ? La réponse est obscure. Comme le constate
Rabbi Itzhak
Arama er citant l'image du Traité talmudique Kidoushin (p. 46/a): "Nous
avons une table, nous avons de la viande, nous avons un couteau, mais il
nous manque juste la bouche pour manger" Autrement dit: on peut
comprendre le commandement de Dieu et l'acte de Moïse suivi de sa
punition, mais il reste à élucider la nature de la faute.

Au fil des siècles, cette incertitude a poussé les
commentateurs à
attribuer à Moïse de nombreuses transgressions qui, en fait, ne
furent
jamais siennes. A tel point qu'un érudit comne Shmouel David Luzzato
s'est tout d'abord refusé, en ce qui le concernait, à
interpréter cet épisode
célèbre, de crainte justement de commettre une nouvelle
injustice envers
Moïse ! Plus tard, il firnira par céder et nous fournira son propre
commentaire.

Le plus célèbre des commentateurs bibliques, Rachi de Troyes,
préfère,
lui, se fonder sur la lecture explicite des versets suivants: "Et l'Eternel
parla ainsi à Moise: 'Prend la verge, et rassemble la
communauté, toi
ainsi qu'Aaron ton frère, et dites au rocher, en leur
présence, de donner
ses eaux. Tu feras couler pour eux de l'eau de ce rocher et tu
désaltéreras
la communauté et son bétail '. Moïse prit la verge de
devant I'Eternel,
comme Il le lui avait demandé. Puis Moise et Aaron réunirent
l'assemblée
devant ce rocher et leur dit: 'Or, écoutez, ô rebelles. Est-ce
que de
devant ce rocher nous pourrions faire sortir de l'eau pour vous ' Et
Moïse leva la main et il frappa le rocher de son baton par deux fois; il
en sortit de l'eau en abondance et la communauté et ses bêtes
en burent"
(Nombres, XX, 7-11).

Rachi précise donc que Dieu avait donné l'ordre de parler au
rocher et
non de le frapper: "Si vous aviez parlé au rocher pour en faire sortir de
l'eau, J'aurais été sanctifié aux yeux de toute
l'assemblée d'Israël:
puisque ce rocher qui ne parle, ni entend et qui n'a pas besoin de
subsistance, accomplit la parole de l'Eternel, à plus forte raison
devons-
nous le faire ! (Rachi, XX, 8 et 12).

Mais Nahmanide objecte: "Pourquoi, dans ce cas, Dieu leur a-t-il
ordonné de prendre la verge ?" Et est-ce que le miracle de faire
sortir de
l'eau par la parole est plus grand que celui d'en extraire du rocher ? En fin
de compte, répond-il, les deux attitudes constituent des miracles. Et
pourtant la parole devrait avoir, par définition, plus d'impact que
la "force
de frappe" de Moïse. Nos philosophes n'ont-ils pas défini
l'homme comme
un "Haï Medaber", un être vivant et parlant ?

Pour agir profondément sur le coeur de l'homme, il faut donc toujours
utiliser la parole. Ainsi nos Sages citent-ils, versets à l'appui, de
nombreuses caractéristiques employées pour définir le
coeur: celui-ci peut
être tour à tour "dur", comme avec Pharaon, ou bien " tendre",
comme il
est écrit: "Et que votre coeur ne s'adoucisse pas".

Or il existe une voie spécifique susceptible d'influencer chaque coeur en
particulier: parfois il faut savoir parler au coeur des hommes avec
dureté,
et parfois avec douceur. Tout dépend toujours de la personne qui parle et
qui tente d'exercer son influence sur le coeur de l'autre. Dans tout dialogue,
pour parvenir à convaincre, il faut que celui qui s'exprime sache
utiliser
avec justesse la parole. Ensuite, il est évidemment indispensable que le
coeur et l'esprit de celui qui écoute soient pleinement
réceptifs. Si, par
contre, la parole est dure et le coeur de pierre, les chances de parvenir
à un
resultat seront bien maigres !

Dans le Livre du Deutéronome (IX, 13), Dieu dit que le peuple
d'Israël
a la "nuque raide", et Moïse poursuit ensuite: "Vous avez
été des rebelles
envers le Seigneur" (ibid, IX, 24). Dans notre section shabbatique, Moïse
lui-même apostrophe durement le peuple: "Ecoutez donc, rebelles !"
(Nombres, XX, 10). Tous ces termes expriment avec force la colère de
Dieu et de son fidèle serviteur, et c'est donc à ce moment
précis que Moïse
frappe le rocher.

Et voilà que, pour donner plus d'amplitude à sa colère,
il le martèle à
deux reprises ! C'est là l'origine de la faute de Moïse et la
source de sa
gravité ayant entrainé sa punition.
En tant que chef incontesté du peuple d'Israël, Moïse se
doit d'être le
modèle même de tous les hauts responsables de ce peuple
à travers toutes
les générations. Et à ce titre, il aurait dû
apprendre à parler avec tendresse,
même avec ceux qui ont un coeur dur comme de la pierre. Moïse a cru
comprendre qu'en s'adressant durement à ce peuple "à la nuque
raide", il
se mettrait à leur niveau pour pouvoir dialoguer directement avec
eux afin
de tenter de les persuader: "Vous êtes des rebelles, a-t-il dû
penser, et
votre coeur est semblable à des pierres. Et il me faut parler au
rocher aussi
durement que je vous parle, c'est-à-dire en le frappant pour
établir un
contact d'amour". Or le prophète Zacharie (IV, 6), ne dit-il pas: "Ce
n'est
ni par la puissance ni par la force mais avec mon esprit" ?

L'erreur de Moïse est de ne pas avoir compris que même face
à un
peuple aussi "dur" que le peuple d'Israël, il faut apprendre à
parler avec
tendresse, grâce notamment à l'esprit divin et s'adresser
à lui avec douceur,

Dans son commentaire de la Tora ("Mecheh Hohma"), Rabbi Méir
Simha de Dvinsk donne une explicabon qui va aussi dans ce sens: on sait,
dit-il, que lors du don de la Tora, les Enfants d'Israël
s'étaient hissés à un
tel niveau que tout le peuple 'voyait les sons' (Exode, XX, 15). Ils
saisissaient la parole divine comme une réalité
concrète et visuelle. Or,
dans l'épisode qui nous concerne, Dieu voulait que les Enfants
d'Israël
contemplent la Parole Divine et que Moïse, en qui cette
présence divine
rayonnait, sache utiliser cette parole pour agir sur le rocher. Cette
médiation aurait constitué le moyen parfait d'un renforcement
de la foi du
peuple en Dieu. Tous auraient alors constaté que le rocher
répondait à la
parole divine et qu'il était en quelque sorte "influencé" par
elle. N'auraient-
ils pas compris alors qu'eux aussi ne pouvaient se rebeller ou rester
indifferents à cette Parole.

On le sait, la principale force chez l'homme, c'est la parole, et cette
puissance est évidemment amplifiée lorsqu'il s'agit des
leaders de la nation.
Quand Moïse reçut de Dieu l'ordre de conduire le peuple et de
le faire
sortir d'Egypte, il refusa en disant: "Je suis lourd de bouche et lourd de
parole" (Exode, IV, 14-16). En d'autres termes: je ne possède pas le
langage adapté aux besoins de cette nation. Et de fait, Dieu tint
compte de
cette réponse et lul dit: "Aaron ton frère ... c'est lui qui
parlera et te
servira de bouche" (ibid).

On a pu constater par la suite que Moïse devint l"'orateur par
excellence" puisque la Tora utilise sans cesse l'expression: "Et Moïse
parla". Le Livre du Deutéronome lui-même est composé
d'un long
discours de Moïse, comme il est écrit: "Et Moïse exprima
tous ces
propos" (Voir Devarim Rabba, au début du livre du Deutéronome).

La conduite de l'homme est donc dictée par la transmission de la
connaissance et de la sagesse, depuis le ou les chefs spirituels reconnus de
tous vers le peuple lui-même.

Evidemment, parfois, les structures de l'ordre social appellent
l'utilisation d'instruments de pression et de coercition: face à un
voleur, il
n'est pas suffisant d'utiliser la persuasion pour l'obliger à
restituer l'objet de
son délit; il faut aussi le traîner devant un tribunal afin
que ce dernier
prononce une sentence à son égard. De même, nous
concevons aisément
que la société ait besoin de juges et de policiers pour
veiller au respect de
la loi.

Toutefois, ce n'est pas uniquement d'eux que dépend la conduite de
cette société. Car l'essence de la stabilité de toute
communauté humaine, et
donc d'une nation, repose avant tout sur la parole.

Le Rav Kook écrit à ce propos qu'il ne faut pas utiliser la
violence
même envers un "rocher muet". En fait, le profond secret de
l'épisode de la
frappe du rocher nous révèle selon lui que Moïse - le
cerveau le plus géant
de l'humanité, I'âme la plus limpide qui ait jamais
existé - a cependant
fléchi, I'espace d'un instant, en voulant mettre en valeur une tendance
quelque peu "individualiste". Et cette pulsion, si infime fut-elle, au coeur
de la personnalité du plus grand des prophètes, I'a
amené à frapper le
rocher au lieu de lui parler. Cette apparition de l'individualisme a en
même
temps neutralisé sa parole et entraîné un acte de
violence muet (manuscrit
non publié).

L'analyse de Maimonide est proche de l'explication précédente
et en
conserve les traits les plus importants: aucun indice, nous dit le Rambam,
ne nous permet de considérer la demande insistante d'eau de la part du
peuple comme une faute. Lorsque Moïse a apostrophé Israël
en disant:
"Ecoutez bien rebelles", les yeux de toute la nation étaient
rivés vers lui, et
le peuple en avait fait déjà son modèle. En le voyant
se mettre ainsi en
colère, les Enfants d'Israël risquaient d'arriver à la
conclusion erronée que
cette colère était légitime (Traité des Huit
Chapitres, IV et VII).

Dans son commentaire sur la Tora (Gour Aryé), le Maharal de Prague
affirme que la transmission des commandements divins par la colère en
lieu et place de la parole, témoigne d'un manque de foi. Selon lui,
la colère
est une tentative de s'ingérer directement dans le coeur d'autrui en
utilisant
la violence, tandis que la parole sage est le fruit d'une réflexion
posée et de
I'intelligence .

Le prophète Isaïe nous enseigne quant à lui, que Dieu,
réalisant la
parole de son serviteur, peut, s'il le désire, exhaucer sa
prière, comme dans
le célèbre épisode de Josué qui, uniquement
grâce à la parole, parvint à
freiner la course du soleil: ''Soleil, arrête-toi sur Gabaon ! Lune, fais
halte dans la vallée d'Ayalon" (Josué, X, 12). Ainsi,
Moïse, par la force de
sa seule parole, a-t-il pu scinder la terre qui a englouti Korah et son
assemblée (Nombres, XVI, 30), et, identiquement, le prophete Elie a-t-il
arrêté la pluie pendant quelques années uniquement par
sa parole (I Rois,
XV 1).

L'épisode du rocher vient donc nous expliquer que l'éducation
doit se
faire par la parole, et non par la colère. C'est
précisément ce que nous
enseigne Maïmonide qui insiste sur l'aspect de la profanation du monde
divin a deux reprises: "Parce gue vous ne M'avez pas cru en Me
sanctifant aux yeux des Enfants d'Israël (Nombres, XX, 12) et "Parce
que vous ne M'avez pas sanctifié au sein des Enfants d'lsraël'
(Deutéronome, XXXII, 51). Si Dieu s'est montré d'une grande
sévérité
envers Moïse, c'est qu'un homme de sa haute dimension s'était mis en
colère devant l'assemblée d'Israël dans une situation
où la colère n'avait
nullement sa place ! Lorsqu'une personne telle que Moïse se conduit de la
sorte, cela constitue um "Hiloul ha-Shem", une profanation du Nom Divin:
le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles n'étaient-ils pas
observés méticuleusement par chaque membre du peuple ?

C'est pourquoi Dieu leur a dit: "Vous vous êtes rebellés
contre moi".
Moïse s'adressait à des personmes de grande valeur, nous dit encore
Maïmonide: il ne parlait pas à des imbéciles, ni
à des rustres, mais à des
personnes dont le Midrash nous dit que la plus humble de toutes les
servantes parmi elles, était l'égale du prophète
Ezéchiel ! C'est pourquoi le
peuple observait attentivement Moïse: "Etant persuadés que
Moïse ne
pouvait avoir de défauts, lorsqu'ils l'ont vu se mettre en
colère, tous en
ont conclu qu'il n'était là que l'instrument de la
colère divine et qu'ils
avaient donc commis eux-même une faute en demandant de l'eau - ce qui
n'était absolument pas le cas cette fois, car nous n'avons
trouvé nulle part
que Dieu se soit mis en colère contre eux pour cette demande '
(Traité des
Huit Chapitres, IV).

Bien au contraire, I'homme doit toujours exercer son influence par la
réflexion, la douceur et l'intelligence.