----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ EKEV (II) UNE TERRE DE FERVEUR "Mais le pays où tu vas entrer pour en prendre possession n'est pas comme le pays d 'Egypte dont vous êtes sortis, où tu jetais ta semence et arrosais avec le pied, comme un jardin potager. Mais le pays où vous allez passer pour en prendre possession est un pays de montagnes et de vallées, de la pluie du ciel il s 'abreuve, un pays dont le Seigneur ton Dieu prend soin, sur lui les yeux du Seigneur ton Dieu sont fixés constamment du début de l'année à la fin de l'année" (Deutéronome Xl, 10-11). Dans le passage biblique cité en exergue, l'Eternel semble considérer le fait de semer et d'arroser, ainsi que le faisaient nos ancêtres en Egypte, comme un handicap, et pourtant il semble qu'on pouvait irriguer et cultiver le plus facilement du monde cette terre égyptienne ! Par contre, Dieu abonde en louange à l'égard de la terre d'Israël qui est loin quant à elle d'être plane, et qui ne semble pas la plus appropriée pour s'y livrer à des plantations et à des récoltes - dans la mesure notamment où l'eau nécessaire à l'irrigation y fait cruellement défaut ! Comment dont interpréter ce paradoxe apparent ? Notre grand commentateur Rachi exlique ce même passage en disant: "D'une certaine manière, la terre d'Israël possède un avantage de taille . arrosée uniquement par la pluie, elle évite aux agriculteurs de se dépenser physiquement. Qui plus est, cette pluie tombe sur toute une région de manière uniforme, ce qui est un avantage non négligeable". Mais il est possible de réfuter cette interprétation en affirmant qu'en matière de pluie, le peuple d'Israël depend finalement du bon vouloir divin, tandis que l'Egypte est quant à elle indépendante: ne possédera-t-elle pas toujours les immenses réserves aquifères du Nil ? Certes, I'eau qui irrigue les cultures d'Eretz Israël est obtenue par le chemin le plus difficile, mais cette voie est paradoxalemeut la plus sûre. La Tora elle-même nous l'explique dans la suite du verset déjà cité: "Ce pays est un pays dont l'Eternel ton Dieu prend soin: sur lui, les yeux du Seigneur ton Dieu sont fixés en permanence du début de l'année à la fin de l'année". La relation entre Dieu et la terre dépend de notre comportement personnel, comme on peut le constater dans le second paragraphe de la fameuse prière "Shema Israël': "Si vous respectez Mes commandements, Je ferai tomber la pluie . . . sinon il n y aura pas de pluie". Il est vrai que cette relation intime avec le Créateur est parfois difficile à assumer, mais en tous cas, elle est préférable à l'absence totale de relation entre l'homme et Dieu. Sans le moindre contact avec le divin, I'être humain est en effet livré à lui-même. Ainsi, en Egypte par exemple, les Hébreux ne savaient pas encore avec certitude si Dieu les acceptait ou les repoussait en tant que collectivité. Ils ne possédaient pas de "baromètre" spirituel susceptible d'évaluer la nature de leurs relations avec le Créateur. En terre d'Israël la "communication" se faisait au moyen des chutes de pluie qui permettaient presque instantanément de vérifier si Dieu avait agréé leurs prières. D'une manière indirecte, on pourrait dire que la pluie nous renforce dans nos bonnes actions, tandis que la sécheresse nous pousse à nous repentir. Le Temple de Jérusalem était également le théâtre d'une situation analogue, et en même temps tout à fait miraculeuse: dans le "Saint des Saints" - où seul le grand-prêtre pénetrait le jour de Kippour - deux chérubins en or massif étaient dressés sur l'Arche sainte. Or personne ne pouvait contempler ce spectacle car, durant l'année, les portes d'accès en étaient closes. Uniquement à trois reprises chaque année, lors des fêtes de pèlerinage qui rassemblaient le peuple à Jérusalem, toutes les enceintes intérieures et extérieures du Temple étaient grand-ouvertes. De plus, ces ouvertures se trouvaient en enfilade, permettant aux fidèles d'apercevoir d'un même regard l'Arche sainte dominée par ces deux chérubins. Alors les Prêtres s'exclamaient: "Voyez votre amour devant l'Eternel !" - et il s'agissait d'un amour réciproque. En se penchant de plus près, on pouvait constater que ces deux chérubins formaient un couple, puisque l'un avait une figure masculine et l'autre un visage féminin - I'un représentant I'Eternel, et l'autre le peuple d'Israël. Lorsque l'harmonie la plus parfaite régnait entre Dieu et son peuple, les deux chérubins étaient face-à-face et se contemplaient. Par contre, en période de rupture et de crise de confiance, ils de detournaient l'un de l'autre Traité talmudique Baba Batra p. 99/a). Ainsi, chaque créature pouvait, à un instant donné, juger de l'intensité de la relation le liant avec son Créateur. Ces chérubins étaient une sorte d"'amouromètre" entre le peuple d'Israël et son Créateur. Or il est important de comprendre que cette dépendance par rapport à la volonté divine, ne doit en aucun cas être perçue comme un "handicap". Elle constitue au contraire un avantage sans pareil, et nous le remarquons aujoud'hui plus que jamais: dépendre des êtres humains ne peut-il pas souvent s'apparenter à une forme d'esclavage ? C'est pourquoi nous prononçons chaque matin au réveil cette bénédiction "Béni sois-Tu, Eternel notre Dieu ... qui ne nous a pas fait esclave [des hommes]". Par contre, être esclave de Dieu représente la plus grande des libertés ! Rabbi Yéhouda Halévi le faisait remarquer dans l'un de ses chants poétiques: "Les esclaves du temps sont esclaves d'esclaves, tandis que seul l'esclave de Dieu est véritablement libre". Reconnaissons qu'être dépendant de notre prochain est souvent brimant et frustrant. Seul un nourrisson considère la dépendance vis-à-vis de sa mère comme le plus délicieux des plaisirs. Il en est de même pour Dieu et son peuple: pour un Juif, avoir besoin de Dieu et de la présence divine est le plus grand des bonheurs ! Et ce besoin se manifeste bien sûr à travers la prière. Par contre, celui qui n'a pas de mots pour prier Dieu est plongé dans la plus grande des tristesses. David, grand roi d'Israël qui fut aussi un grand combattant, I'affirme dans l'un de ses psaumes: "Je suis devant Dieu comme un nourisson près de sa mère" (Psaumes, CXXXI, 2). Autre exemple: après avoir entraîné Eve dans la faute originelle, le serpent a été maudit (Genèse III, 14). Apparemment, la punition qui lui a été infiigée par Dieu peut paraître surprenante: elle consiste à devoir désormais se contenter de se nourrir de la seule poussière de la terre. Car on pourrait être tenté de dire qu'avec toute la poussière déposée sur la surface de la terre, il ne risque justement pas de mourir de faim ! Or c'est précisément là que réside la paradoxale malédiction dont il a été frappé: si le serpent passe son temps à se substanter de cette poussière disponible de manière infinie, il n'aura guère le temps, ni le besoin de prier Dieu et il s'en éloignera ! Or c'est là la pire des punitions que l'Eternel ait pu lui indiger. Un autre passage des Psaumes de David dit ceci: "Ceux qui sont élolgnés de Toi périront tandis que pour moi, I'approche de Dieu reste mon plus grand bien". Apparemment, la prière constitue un instrument devant permettre à l'homme de pourvoir à ses besoins et de répondre à ses problèmes de l'heure. En fait, elle est encore bien plus que cela: prier authentiquement Dieu, c'est L'approcher et Le faire pénétrer au plus profond de notre coeur - ce qu'en hébreu on appelle "Avoda she-balev", le service divin par le coeur. La prière n'est donc pas destinée à résoudre nos seuls problèmes quotidiens il s'agirait plutôt de l'inverse: les problèmes que nous rencontrons existent pour nous permettre de prier notre Dieu et de nous en rapprocher ! Bon nombre de nos Sages se sont demandés pourquoi trois des quatre "matriarches" (Sara, Rébecca et Rachel) étaient stériles. La réponse la plus courante est célèbre: c'est justement parce que Dieu aspire à la prière et aux exhortations des Justes. D'après le Midrash Tanhouma (Toledot, alinéa 9), Dieu a dit : "Elles sont riches, belles et intelligentes. Si Je leur donne des enfants tout de suite, elles ne prieront point". Le fait que la pluie dépende de manière absolue de Dieu nous conduit irrémédiablement à nous adresser à Lui dans nos pnères, et donc à nous attacher à Lui. La soif de l'eau éveille en nous la soif en un Dieu vivant (voir Psaumes XXX7I, 3). La prière constitue donc une absolue nécessité pour l'homme, au même titre que l'alimentation ou le sommeil ! Rabbi Yehouda Halévi nous explique aussi que la prière de l'homme fervent n'est pas un acte routinier dénué de tout sentiment: celui qui prie avec ferveur parvient à s'imprégner du contenu de la prière. Les Hassidim, les hommes de ferveur, ont développé cet "art" de prier Dieu avec le coeur, construisant et orientant toute leur journée et l'ensemble de leurs activités autour des moments de prière (voir traité Berakhot p. 3 5/a). Quand il prie, abandomnant l'aspect matériel et parfois animal de l'existence de tout homme, le Hassid s'élève donc dans les sphères célestes de la spintualité. De même que nous sommes obligés de manger pour satisfaire notre faim, nous devons prier dès que nous avons le sentiment intérieur d'être trop éloignés de notre Créateur - donc trois fois par jour "en moyenne". Car tout éloignement prolongé par rapport à la source divine ou toute exposition trop longue aux seules réalités matérielles de l'existence risquent fort de plonger- I'être humain dans une humeur orageuse et tourmentée (voir le Kouzari, IIIe partie, alinéa 5). La prière est en fait une nécessité naturelle pour la personne humaine: elle lui perrnet en effet d'exprimer ce que ressent son âme divine. Dieu a créé la terre d'lsraël de manière à susciter et rendre possible l'instauration d'une relation privilégiée avec Son peuple, et pour l'obliger à éveiller en permanence son attachement sans cesse renouvelé au Créateur . Le Rav Kook insiste lui aussi sur le fait que l'attachement à Dieu constitue l'un des désirs les plus naturels de l'homme (introduction à son commentaire au livre de prières Olat Reiya), et qu'en aucune manière, I'humanité ne pourra vivre sereinement sans que ne passe et ne vibre toujours en son sein ce courant naturel de passion envers Dieu, même s'il demeure caché (Orot, Zeronim, alinéa 8). Israël possède donc une terre censée assurer une liaison permanente entre l'hornme et Dieu. C'est un pays sans cesse passé au crible par l'Eternel, qui ainsi dévoile son amour pour son peuple. Pendant deux mlllénaires, Dieu était en quelque sorte "fâché" avec son peuple et, par conséquent, la terre d'lsraël n'était que ruines et désolation. Or aujourd'hui, alors que le désert a refleuri et que notre terre est redevenue un véritable jardin d'Eden, on peut affirmer que la résurrection du peuple d'lsraël a bel et bien commencé ! Malgré toutes les difficultés rencontrées sur ce chemin ardu, elle se poursuivra donc jusqu'à la délivrance complète.