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DEVARIM

COMMENT REPRIMANDER SON PROCHAIN ?

D'après la célèbre exégèse de Rachi, le
début de notre section
shabbatique - qui marque également le début du
cinquième Livre du
Pentateuque - relaterait, grâce à de très
discrètes allusions, quelques-
uns des échecs les plus cinglants de la nation hébraïque
pendant les
quarante années de tribulations dans le désert.

Le Deutéronome n'est rien d'autre qu'un long "monologue" de notre
maître Moïse, prononcé à la veille de
l'entrée du peuple hébreu en terre
d'Israël. Alors qu'il s'apprête à se séparer sous
peu du peuple qu'il a
conduit avec patience et abnégation, c'est donc là pour
Moïse la derniére
occasion de transmettre ses ultimes recommandations. Or ce récit qui
relate le périple des Enfants d'Israël dans le désert,
débute par une
réprimande pleine d'allusions.

"Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël en
de,cà du
Jourdain dans le désert, dans la steppe en face de Souf entre Paran et
Tofel, Laban, Hatserot et Dizahav, onze journées de marche depuis le
Horeb en passant par la montagne de Seir, jusqu'a Kadesh Barnéa"
(Deutéronome I, 1-2) A travers ce verset descriptif apparemment anodin,
Moïse aurait énuméré les sites sur lesquels le
peuple aurait gravement
fauté .

Penchons-nous tout d'abord sur l'énoncé du verset. Selon les
commentateurs, le terme de "Bamidbar" - "Dans le désert" - ferait
allusion
aux plaintes des Enfants d'Israël qui avaient osé
prétendre devant Moïse
qu'ils auraient pu mourir précisément dans ce désert.

"Baarava" - "dans la steppe" - fait allusion à ce qui se serait
passé à
"Baal Pehor", là où le peuple aurait cédé aux
basses séductions des
femmes madianites.

"En face de Souf " se rapporte aux plaintes des Enfants d'lsraël qui ont
violemment protesté avant le passage de la mer Rouge.

Quant a "Dizahav", ce site se réfere à l'épisode du
Veau d'or.

Chacun des lieux précités évoque donc un
évènement négatif. Il s'agit,
on en conviendra, d'une manière assez douce et délicate de
rappeler au
peuple ses égarements.

En fait, il faut comprendre la nature de la relation qui unit le peuple
d'Israël à son Dieu. Le peuple juif est un peuple intelligent,
et si l'Eternel
souhaite lui remémorer ses écarts de conduite, Il n'a pas
besoin d'insister
lourdement sur chacun des épisodes. Seule une légère
allusion suffira ! De
surcroît, Dieu aime Son peuple d'un amour profond, et lui voue, de
manière plutôt paradoxale, un sincère respect. Si le
Créateur fait ainsi
référence allusivement aux épisodes les plus noirs de
l'histoire de la
traversée du désert, c'est avant tout parce qu'Il ne tient
pas à trop contrarier
Son peuple en étalant en public ses fautes.

D'une manière générale, affirment nos Sages, celui qui
souhaite
réprimander quelqu'un qu'il aime, doit toujours le faire en prenant
soin de
respecter l'honneur de son interlocuteur. Le but de la réprimande
n'est donc
pas de laisser libre cours à des pulsions, de défouler des
frustrations ou de
céder à une agressivité de la parole, mais bien d'enclencher un processus
de "réparation" et de purification auprès de la pesonne
à laquelle on
s'adresse. C'est pourquoi il est indispensable de ne pas provoquer une
révolte intérieure qui aurait pour origine la violence
même de nos propos !

D'ailleurs, il ne faut pas croire que réprimander autrui constitue un
commandement si simple à accomplir. Cette "mitzva" est assortie en effet
de certaines conditions préalables: de la même manière
qu'il est par
exemple impossible d'accomplir la mitzva du bouquet des "quatre espèces"
honorées pendant la fète oe Souccot avec une orange et un lys,
et qu'il est
indispensable de se munir des espèces appropriées, il en est
ainsi pour le
commandement de la réprimande - la "Tohaha" - qui devra se faire avec
douceur et persuasion pour assumer sa pleine valeur. Déjà,
à l'époque de
nos Sages, Rabbi Elazar Ben Azaria avait dit: "Je serais bien
étonné s'il y
avait dans notre génération une personnalité sachant
parfaitement
réprimander ! " (Traité talmudique Erahin, p . 1 6/b).

La réprimande est donc une véritable science qui
nécessite un long
apprentissage. Elle pose tout le problème de l'influence
bénéfique qu'un
être peut avoir sur son prochain.

Mais comment est-ce possible ?

Ainsi, ne suffit-il pas pour un enseignant d'exprimer des principes purs
et élevés, il lui faut également trouver la meilleur
adéquation entre leur
expression verbale et la personnalite même de celui auquel il s'adresse.
Dans le Talmud, Rabbi Elazar, fils de Rabbi Shimon nous explique: "De
même qu'il y a mitzva de prononcer des propos qui s'entendent, il existe
une mitzva de ne pas prononcer des propos qui ne s'entendent point !"
(voir Traité Yebamot, p. 65/b).

Evidemment, il faut prendre ici le verbe "s'entendre" au sens que lui
donnait le vieux français, c'est-à-dire comme venant
désigner des propos
qui "se comprennent", qui ont donc un impact réel sur la
personnalité et
qui parviennent à se frayer un sentier vers le coeur. Sinon, les
propos de
réprimande pénètrent dans une oreille et sortent par
l'autre. Et nos Sages
de préciser que si quelqu'un en venait à tenir des propos qui ne
parviendraient pas à pénétrer dans
l'intériorité de l'interlocuteur, mieux
vaudrait alors pour cette personne se dispenser totalement de les
prononcer! Non seulement ils ne feront aucun effet, mais ils pourraient
entraîner une réaction négative.

Une question demeure cependant: comment savoir à l'avance si nos
propos auront une influence bénéfique ou non ?

Pour cela, il faut connaître l'autre et le découvrir. Et cela
passe par une
incontournable nécessité de l'écouter avant de nous
exprimer nous-mêmes
à son sujet ! Car la communication des consciences est fondée
sur la
compréhension d'autrui. S'il n'y a pas de compréhension, il
est alors
préférable de ne pas s'exprimer du tout. D'après le
Talmud, cette condition
préalable ne constitue pas seulement une mitzva, mais bien une "hova" -
une obligation impérative - qui permettra d'éviter des
dégâts.

La connaissance d'autrui a aussi une significahon historique dans la
mesure ou chaque génération possède son langage
particulier. Nous ne
nous exprimons plus aujoud'hui à l'adresse de nos enfants comme nos
parents nous parlaient ! Chaque génération a ses
problèmes et son langage.
Il est quasiment impossible, à notre époque, de parvenir
à rapprocher des
personnes du judaïsme en utilisant un langage et un système
d'explication
employés durant des siècles.

Amsi le célèbre ouvrage d'éducation morale "Reshit
Hohma", le Début
de la Sagesse - du Rabbin Eliahou de Vidas, qui vivait à Safed
voilà quatre
cents ans, est un livre d'une profondeur et d'une spiritualité sans
précédent.
Mais si vous vouliez influencer, à travers ce livre, les gens
perplexes et
égarés de notre génération, ce serait comme si
vous parliez en turc à un
Autrichien !

Entre le monde religieux qui est d'une fidélité absolue
à la tradition, et
le monde laïc, il y a parfois un style de communication transculturelle qui
provoque inévitablement une incompréhension réciproque
très accentuée !
Lorsque le Rav Kook voulait réprimander sa génération
parce qu'elle
profanait le Shabbat, il utilisait en général une
argumentation sociale et non
religieuse, ce qui surprenait de nombreux Juifs religieux de son époque.
En fait, cette démarche était logique: aurait-il
été utile de rappeler à un
Juif laïc que celui qui profane le shabbat est passible de mort? N'avait-il
pas raison de lui expliquer que le respect du shabbat était une
nécessité
sociale et morale devant permettre la poursuite de la reconstruction de la
nation hébraïque sur sa terre ?

Que l'on s'adresse à des collectivités ou à des
individus, il en résulte,
bien évidemment, que l'accomplissement sérieux de cette mitzva de
"réprimande" nécessite un certain talent et une longue
patience. C'est bien
là le sens profond du verset "Réprimander, tu
réprimanderas ton prochain
même cent fois " (Traité talmudique Baba Metzia, p . 31 ) .

A premuère vue, cette injonction peut paraître surprenante: si nos
propos restent sans effet, cela prouvera alors que nous ne sommes pas
dans la bonne voie, et qu'il vaudrait mieux cesser d'écouter l'autre.
Pourtant, on nous explique qu'il est parfois nécessaire d'accumuler les
bonnes influences.

En fait, la force et le pouvoir d'absorption physiologique du corps sont
limités: de la même manière qu'il nous est impossitle de
manger un
énorme et unique repas par mois, mais plutôt trois petits
repas par jour, il
en est ainsi pour les influences spirituelles. La réalité
n'ayant pas d'ailes, les
choses ne peuvent donc pas changer d'un seul coup. Il faut, à celui qui
exerce la réprimande, une profonde humilité, et ne pas croire
que l'on peut
déchaîner sur autrui une tempête d'éclairs qui
vont immanquablement
provoquer sur lui "I'illumination" immédiate !

S'il en est ainsi, nous avons de bonnes raisons d'être surpris par la
violence de la terminologie utilisée par le prophète
Isaïe dans ce passage
de la Haftara de la semaine: "O peuple pécheur, peuple lourd de
péchés,
génération de malfaiteurs, enfants destructeurs, peuple de
Sodome et de
Gomorrhe" (Isaïe, I) Nous aurions en effet de bonnes raisons de nous
étonner de ces qualificatifs blessants. D'autant que, quelques
versets après,
le prophète dit ceci au nom de Dieu: "Puissé-Je Me venger de Mes
ennemis!" [à savoir du peuple d'Israël]. Serions-nous
effectivement les
ennemis de Dieu ?

Mais il nous faut donc saisir les choses dans leur véritable
perspective !
Le Livre d'Isaïe est un livre d'amour, de réconfort et de
promesses qui, au
travers des générations, nous a prodigué force, espoir
et foi. C'est un livre
dans lequel le prophète témoigne d'un profond amour pour le peuple
d'Israël, un texte de consolation émaillé de flots de
douceur.

Or, au milieu de tout ce récomfort, il existe parfois une goutte
amère qui
s'avère nécessaire. Cette légère dose de
réprimande est d'autant mieux
recevable qu'elle émane justement d'une personnalité
sincèrement éprise de
ce peuple: et effectivement, juste après ces propos
sévères du prophète
Isaïe, viennent des paroles de consolation: "Sion sera racheté
par la
Justice".

On raconte l'histoire suivante: un Juif qui avait fauté toute sa vie
durant
contre l'Eternel, voulut un jour se faire pardonner. Il s'en alla donc
demander au Sage de l'époque, le Ari, d'heureuse mémoire,
quelle serait la
punition qu'il méritait compte tenu de ses péchés. Le
Sage lui répondit sans
hésiter qu'il était passible de la peine de mort par le feu;
et que, d'après la
Halakha, la Loi juive traditionnelle, on devrait lui verser dans la gorge un
métal incandescent destiné à lui brûler les
entrailles. Pris de panique, ce
Juif décida, sur les conseils du Sage, de bien
réfléchir avant de prendre une
décision aussi cruciale pour se faire "racheter" ses fautes. Deux
semaines
plus tard, il revint, fermement décidé à accepter
cette sentence tragique en
vue d'obtenir effectivement le pardon de ses fautes. Le Ari donna alors
l'ordre ;le l'attacher, de lui bander les yeux et de lui faire ouvrir la bouche.
Il s'approcha du malheureux et lui versa dans la bouche... une coupe de
miel !

Cette histoire signifie bien que dans la réprimande, tout doit
être fait
d'amour, même si parfois, au sein de cet amour, il est
peut-être nécessaire
d'ébranler l'âme humaine.

Ainsi la réprimande doit-elle commencer par l'amour et finir par
l'amour. Les versets du chapitre XIX du Lévitique (17-18) illustrent
parfaitement cet amour censé accompagner la réprimande
sincère: "Tu ne
haïras point ton frère dans ton coeur: réprimander, tu
réprimanderas
ton compagnon, tu aimeras ton prochain comme toi-même".