----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ DEVARIM COMMENT REPRIMANDER SON PROCHAIN ? D'après la célèbre exégèse de Rachi, le début de notre section shabbatique - qui marque également le début du cinquième Livre du Pentateuque - relaterait, grâce à de très discrètes allusions, quelques- uns des échecs les plus cinglants de la nation hébraïque pendant les quarante années de tribulations dans le désert. Le Deutéronome n'est rien d'autre qu'un long "monologue" de notre maître Moïse, prononcé à la veille de l'entrée du peuple hébreu en terre d'Israël. Alors qu'il s'apprête à se séparer sous peu du peuple qu'il a conduit avec patience et abnégation, c'est donc là pour Moïse la derniére occasion de transmettre ses ultimes recommandations. Or ce récit qui relate le périple des Enfants d'Israël dans le désert, débute par une réprimande pleine d'allusions. "Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël en de,cà du Jourdain dans le désert, dans la steppe en face de Souf entre Paran et Tofel, Laban, Hatserot et Dizahav, onze journées de marche depuis le Horeb en passant par la montagne de Seir, jusqu'a Kadesh Barnéa" (Deutéronome I, 1-2) A travers ce verset descriptif apparemment anodin, Moïse aurait énuméré les sites sur lesquels le peuple aurait gravement fauté . Penchons-nous tout d'abord sur l'énoncé du verset. Selon les commentateurs, le terme de "Bamidbar" - "Dans le désert" - ferait allusion aux plaintes des Enfants d'Israël qui avaient osé prétendre devant Moïse qu'ils auraient pu mourir précisément dans ce désert. "Baarava" - "dans la steppe" - fait allusion à ce qui se serait passé à "Baal Pehor", là où le peuple aurait cédé aux basses séductions des femmes madianites. "En face de Souf " se rapporte aux plaintes des Enfants d'lsraël qui ont violemment protesté avant le passage de la mer Rouge. Quant a "Dizahav", ce site se réfere à l'épisode du Veau d'or. Chacun des lieux précités évoque donc un évènement négatif. Il s'agit, on en conviendra, d'une manière assez douce et délicate de rappeler au peuple ses égarements. En fait, il faut comprendre la nature de la relation qui unit le peuple d'Israël à son Dieu. Le peuple juif est un peuple intelligent, et si l'Eternel souhaite lui remémorer ses écarts de conduite, Il n'a pas besoin d'insister lourdement sur chacun des épisodes. Seule une légère allusion suffira ! De surcroît, Dieu aime Son peuple d'un amour profond, et lui voue, de manière plutôt paradoxale, un sincère respect. Si le Créateur fait ainsi référence allusivement aux épisodes les plus noirs de l'histoire de la traversée du désert, c'est avant tout parce qu'Il ne tient pas à trop contrarier Son peuple en étalant en public ses fautes. D'une manière générale, affirment nos Sages, celui qui souhaite réprimander quelqu'un qu'il aime, doit toujours le faire en prenant soin de respecter l'honneur de son interlocuteur. Le but de la réprimande n'est donc pas de laisser libre cours à des pulsions, de défouler des frustrations ou de céder à une agressivité de la parole, mais bien d'enclencher un processus de "réparation" et de purification auprès de la pesonne à laquelle on s'adresse. C'est pourquoi il est indispensable de ne pas provoquer une révolte intérieure qui aurait pour origine la violence même de nos propos ! D'ailleurs, il ne faut pas croire que réprimander autrui constitue un commandement si simple à accomplir. Cette "mitzva" est assortie en effet de certaines conditions préalables: de la même manière qu'il est par exemple impossible d'accomplir la mitzva du bouquet des "quatre espèces" honorées pendant la fète oe Souccot avec une orange et un lys, et qu'il est indispensable de se munir des espèces appropriées, il en est ainsi pour le commandement de la réprimande - la "Tohaha" - qui devra se faire avec douceur et persuasion pour assumer sa pleine valeur. Déjà, à l'époque de nos Sages, Rabbi Elazar Ben Azaria avait dit: "Je serais bien étonné s'il y avait dans notre génération une personnalité sachant parfaitement réprimander ! " (Traité talmudique Erahin, p . 1 6/b). La réprimande est donc une véritable science qui nécessite un long apprentissage. Elle pose tout le problème de l'influence bénéfique qu'un être peut avoir sur son prochain. Mais comment est-ce possible ? Ainsi, ne suffit-il pas pour un enseignant d'exprimer des principes purs et élevés, il lui faut également trouver la meilleur adéquation entre leur expression verbale et la personnalite même de celui auquel il s'adresse. Dans le Talmud, Rabbi Elazar, fils de Rabbi Shimon nous explique: "De même qu'il y a mitzva de prononcer des propos qui s'entendent, il existe une mitzva de ne pas prononcer des propos qui ne s'entendent point !" (voir Traité Yebamot, p. 65/b). Evidemment, il faut prendre ici le verbe "s'entendre" au sens que lui donnait le vieux français, c'est-à-dire comme venant désigner des propos qui "se comprennent", qui ont donc un impact réel sur la personnalité et qui parviennent à se frayer un sentier vers le coeur. Sinon, les propos de réprimande pénètrent dans une oreille et sortent par l'autre. Et nos Sages de préciser que si quelqu'un en venait à tenir des propos qui ne parviendraient pas à pénétrer dans l'intériorité de l'interlocuteur, mieux vaudrait alors pour cette personne se dispenser totalement de les prononcer! Non seulement ils ne feront aucun effet, mais ils pourraient entraîner une réaction négative. Une question demeure cependant: comment savoir à l'avance si nos propos auront une influence bénéfique ou non ? Pour cela, il faut connaître l'autre et le découvrir. Et cela passe par une incontournable nécessité de l'écouter avant de nous exprimer nous-mêmes à son sujet ! Car la communication des consciences est fondée sur la compréhension d'autrui. S'il n'y a pas de compréhension, il est alors préférable de ne pas s'exprimer du tout. D'après le Talmud, cette condition préalable ne constitue pas seulement une mitzva, mais bien une "hova" - une obligation impérative - qui permettra d'éviter des dégâts. La connaissance d'autrui a aussi une significahon historique dans la mesure ou chaque génération possède son langage particulier. Nous ne nous exprimons plus aujoud'hui à l'adresse de nos enfants comme nos parents nous parlaient ! Chaque génération a ses problèmes et son langage. Il est quasiment impossible, à notre époque, de parvenir à rapprocher des personnes du judaïsme en utilisant un langage et un système d'explication employés durant des siècles. Amsi le célèbre ouvrage d'éducation morale "Reshit Hohma", le Début de la Sagesse - du Rabbin Eliahou de Vidas, qui vivait à Safed voilà quatre cents ans, est un livre d'une profondeur et d'une spiritualité sans précédent. Mais si vous vouliez influencer, à travers ce livre, les gens perplexes et égarés de notre génération, ce serait comme si vous parliez en turc à un Autrichien ! Entre le monde religieux qui est d'une fidélité absolue à la tradition, et le monde laïc, il y a parfois un style de communication transculturelle qui provoque inévitablement une incompréhension réciproque très accentuée ! Lorsque le Rav Kook voulait réprimander sa génération parce qu'elle profanait le Shabbat, il utilisait en général une argumentation sociale et non religieuse, ce qui surprenait de nombreux Juifs religieux de son époque. En fait, cette démarche était logique: aurait-il été utile de rappeler à un Juif laïc que celui qui profane le shabbat est passible de mort? N'avait-il pas raison de lui expliquer que le respect du shabbat était une nécessité sociale et morale devant permettre la poursuite de la reconstruction de la nation hébraïque sur sa terre ? Que l'on s'adresse à des collectivités ou à des individus, il en résulte, bien évidemment, que l'accomplissement sérieux de cette mitzva de "réprimande" nécessite un certain talent et une longue patience. C'est bien là le sens profond du verset "Réprimander, tu réprimanderas ton prochain même cent fois " (Traité talmudique Baba Metzia, p . 31 ) . A premuère vue, cette injonction peut paraître surprenante: si nos propos restent sans effet, cela prouvera alors que nous ne sommes pas dans la bonne voie, et qu'il vaudrait mieux cesser d'écouter l'autre. Pourtant, on nous explique qu'il est parfois nécessaire d'accumuler les bonnes influences. En fait, la force et le pouvoir d'absorption physiologique du corps sont limités: de la même manière qu'il nous est impossitle de manger un énorme et unique repas par mois, mais plutôt trois petits repas par jour, il en est ainsi pour les influences spirituelles. La réalité n'ayant pas d'ailes, les choses ne peuvent donc pas changer d'un seul coup. Il faut, à celui qui exerce la réprimande, une profonde humilité, et ne pas croire que l'on peut déchaîner sur autrui une tempête d'éclairs qui vont immanquablement provoquer sur lui "I'illumination" immédiate ! S'il en est ainsi, nous avons de bonnes raisons d'être surpris par la violence de la terminologie utilisée par le prophète Isaïe dans ce passage de la Haftara de la semaine: "O peuple pécheur, peuple lourd de péchés, génération de malfaiteurs, enfants destructeurs, peuple de Sodome et de Gomorrhe" (Isaïe, I) Nous aurions en effet de bonnes raisons de nous étonner de ces qualificatifs blessants. D'autant que, quelques versets après, le prophète dit ceci au nom de Dieu: "Puissé-Je Me venger de Mes ennemis!" [à savoir du peuple d'Israël]. Serions-nous effectivement les ennemis de Dieu ? Mais il nous faut donc saisir les choses dans leur véritable perspective ! Le Livre d'Isaïe est un livre d'amour, de réconfort et de promesses qui, au travers des générations, nous a prodigué force, espoir et foi. C'est un livre dans lequel le prophète témoigne d'un profond amour pour le peuple d'Israël, un texte de consolation émaillé de flots de douceur. Or, au milieu de tout ce récomfort, il existe parfois une goutte amère qui s'avère nécessaire. Cette légère dose de réprimande est d'autant mieux recevable qu'elle émane justement d'une personnalité sincèrement éprise de ce peuple: et effectivement, juste après ces propos sévères du prophète Isaïe, viennent des paroles de consolation: "Sion sera racheté par la Justice". On raconte l'histoire suivante: un Juif qui avait fauté toute sa vie durant contre l'Eternel, voulut un jour se faire pardonner. Il s'en alla donc demander au Sage de l'époque, le Ari, d'heureuse mémoire, quelle serait la punition qu'il méritait compte tenu de ses péchés. Le Sage lui répondit sans hésiter qu'il était passible de la peine de mort par le feu; et que, d'après la Halakha, la Loi juive traditionnelle, on devrait lui verser dans la gorge un métal incandescent destiné à lui brûler les entrailles. Pris de panique, ce Juif décida, sur les conseils du Sage, de bien réfléchir avant de prendre une décision aussi cruciale pour se faire "racheter" ses fautes. Deux semaines plus tard, il revint, fermement décidé à accepter cette sentence tragique en vue d'obtenir effectivement le pardon de ses fautes. Le Ari donna alors l'ordre ;le l'attacher, de lui bander les yeux et de lui faire ouvrir la bouche. Il s'approcha du malheureux et lui versa dans la bouche... une coupe de miel ! Cette histoire signifie bien que dans la réprimande, tout doit être fait d'amour, même si parfois, au sein de cet amour, il est peut-être nécessaire d'ébranler l'âme humaine. Ainsi la réprimande doit-elle commencer par l'amour et finir par l'amour. Les versets du chapitre XIX du Lévitique (17-18) illustrent parfaitement cet amour censé accompagner la réprimande sincère: "Tu ne haïras point ton frère dans ton coeur: réprimander, tu réprimanderas ton compagnon, tu aimeras ton prochain comme toi-même".