----------------------------------------------------------------- ------------- ©Tout droits réservés Sifriat Hava, Beit El, Mizrah Binyamin 96031 Israël Communauté On-Line : WWW.COL.FR ------------------------------------------------------------------------------ BECHALAH SAVOIR DEVENIR UNE NATION VAILLANTE "Et Pharaon s'approcha, et les Enfants d'lsraël levèrenf les yeux, et voici que l 'Egypte marchait derrière eux; et ils furent remplis d 'effroi, et les Enfants d 'lsraël crièrent vers l 'Eternel' (Exode, XIV, 10). Constatant que l'armée égyptienne s'est lancée à leur poursuite, les Hébreux sont pris d'une peur terible: après un début prometteur de leur histoire en tant que peuple, les voici soudain confrontés à la mort ! Et d'emblée, ils se plaignent auprès de Moïse "Est-ce faute de tombeaux en Egypte que tu nous as pris pour mourir dans le désert ? Que nous as-tu fait en nous tirant d 'Egypte ? N'est-ce pas là la chose que nous t'avions dite en Egypte en disant: 'Laisse-nous, et servons les Egyptiens? Car mieux valait pour nous de servir les Egyptiens que de mourir dans le désert" (Exode, XIV, 11-12). Le célèbre commentateur de la Tora Rabbi Abraham Ibn Ezra s'etonne de la réaction des Hébreux à cet instant, face à la mer Rouge: comment pouvaient-ils avoir peur, remarque-t-il, alors qu'ils représentaient une "force de frappe" imposante totalisant environ six cents mille hommes ? Comment ce peuple, qui avait osé défier ouvertement les divinités égyptiennes, pouvait-il craindre de se mesurer aux armées du Pharaon ? Comment les Hébreux, qui avaient assisté aux miracles divins des dix plaies, pouvaient-ils douter de leur succès face à Pharaon ? De surcroît, nos ancêtres étaient bel et bien armés comme il est écrit: "Et c'est armés, que les Enfants d'lsraël partirent du pays d'Egypte" (Exode,XIII,18). D'ailleurs, dans la suite du récit biblique, nous verrons que ces armes seront effectivement utilisées lors des campagnes militaires contre les géants-rois que furent Sihon et Og, ainsi que contre Midian. D'après le Talmud de Jérusalem, les Hébreux possédaient tout un arsenal composé d'une quinzaine d'armes différentes (Talmud de Jérusalem, Traité Shabbat, VI, 7). Pourquoi n'ont-ils donc pas utilisé cet arsenal à ce moment précis ? Ils auraient eu là une occasion rêvée de se venger de leurs oppresseurs pharaoniques. Pourquoi ne pas l'avoir saisie ? Et le Rabbi Abraham Ibn Ezra de répondre: "Bien que les Enfants d'lsraël s'étaient déjà délivrés de l'emprise physique des Egyptiens, ils restaient toujours dépendants psychologiquement et moralement de leurs anciens maitres egyptiens". Il ne faut pas oublier que tous les membres de cette génération, dès leur enfance, ont appris à supporter le joug égyptien. Et c'est ensuite pendant toute leur existence que les Enfants d'Israël ont grandi avec cette marque d'infériorité. Il était tout à fait impossible d'évacuer ces traumas en un seul jour, ou même en une semaine ! Et malgré leur nombre et leur ampleur, même les plus grands prodiges de l'Etemel n'avaient pas pu faire complètement disparaître cette relation de "maître à esclave" entretenue par les tyrans égyptiens pendant plusieurs siècles. Dans ces conditions, comment les Hébreux auraient-ils pu combattre avec témérité les Egyptiens ? Le problème n'était donc pas "technique", stratégique ou militaire: c'était un problème d'ordre psychologique. Visiblement, ceux qui se sont habitués à supporter si longtemps le joug de l'oppresseur, ceux qui ont vu leur honneur personnel et national bafoué, ceux dont la bravoure a été brisée systématiquement, sont incapables de se relever comme un seul homme et de combattre avec un sang neuf ! Nous comprenons alors pourquoi les Enfants d'Israël durent faire ce long détour: "Et lorsque Pharaon renvoya le peuple, Dieu ne le dirigea point par le pays des Philistins, car il était proche; parce que Dieu disait: 'De peur que le peuple ne le regrette quand ils verront la guerre, et qu'ils retournent en Egypte"' (ibid., 17). Sur la route des Philistins, ils auraient en effet été contraints de combattre, et ce alors que le peuple d'lsraël n'était pas en mesure d'assumer ces affrontements. C'est pourquoi Dieu leur a fait faire ce "détour" par la mer Rouge. Evidemment, on peut, avec Maïmonide, se poser la question et dire: au lieu de faire un détour, peut-être aurait-il mieux valu qu'on leur donne la possibilité de se confronter avec l'univers de la guerre. Il n'aurait pas alors été nécessaire de faire ce détour guidé par "la colonne de nuée pendant le jour", et "la colonne de feu pendant la nuit" ? La réponse du Rambam est claire: si, en effet, nen n'empêche Dieu de changer la nature de la réalité, le Créateur ne modifiera pas la nature des êtres humains de façon "miraculeuse" (Guide des Egarés, vol. m, chap. 3). Evidemment, Dieu peut également modifier la nature psychologique des gens et transformer ainsi les gens peureux en personnes courageuses ! Mais sauf exception rarissime, le Maître de l'univers n'intervient pas dans un domaine censé être régenté par le libre arbitre de l'homme: c'est une "intervention" qu'Il ne souhaite justement pas faire. Quelle sera alors la solution, compte tenu de cet handicap moral et psychologique subi par Israël en Egypte ? Réponse de Maïmonide: en fin de compte, un jour ou l'autre, les Hébreux devront assumer de se confronter à des guerres lorsque leurs descendants entreront en terre d'Israël . En effet, jusqu'à la conquête de Josué, quarante années seront passées dans le désert. Or ces longues pérégrinations auront justement eu pour finalité de transformer un peuple d'esclaves apeurés en un peuple d'hommes fiers et courageux. Et Maïmonide de conclure: "Ce n'est pas de la nature de l'homme de grandir dans l'asservissement et l'esclavage. Il n'était guère aisé de passer d'une activité de fabrication de briques en glaise, de laver tout à coup ses mains sales, et de se battre contre des géants !" (Guide des Egarés, III 32). Tel fut le but ultime de ces longs et parfois pénibles déplacements dans le désert: forger un peuple courageux - comme il est écrit "Il t'a fait souffir, Il t'a affamé, Il a donné la manne que tu ne connaissais pas et que tes ancêtres ne connaissaient pas, afin de te faire du bien en fin de compte" (Deutéronome, VIII). Le but des teribles épreuves du désert - la dure marche dans ce désert infesté de scorpions et de serpents, la faim succédant à la soif (et ce, malgré la manne et le puits de Myriam) - nous ont forgés et rendus aptes à nous mesurer avec les problèmes qu'il nous faudra justement affronter en pénétrant dans notre pays ! C'est seulement ainsi qu'un peuple, non seulement esclave, mais aussi à l'esprit d'esclave, pourra se transformer en un peuple courageux A la vérité, il n'existait alors qu'un seul homme vraiment courageux dans le peuple d'Israël: c'était Moïse, lequel n'avait pas peur de se présenter devant Pharaon et d'exiger sans crainte le renvoi du peuple hors d'Egypte. Ainsi, lorsque Moïse est venu vers le peuple hébreu avec la promesse de la délivrance, " ... Iui et Aaron partirent et assemblèrent tous les anciens des Enfants d 'lsraël " (Exode, IV, 29) Mais seuls Moïse et Aaron se présentèrent devant Pharaon. Où donc les Anciens avaient-ils disparu ? Rachi nous dévoile donc ce secret: les Anciens se sont en fait dérobés à cette démarche initiée par Moïse et Aaron, laquelle se voulait collective. Et lorsque les deux leaders du peuple se présentèrent devant le maître de l'Egypte, tous les Anciens avaient disparu en raison de leur crainte envers Pharaon ! (Rachi apud Shemot V, 1). Mais Moïse n'avait pas peur. D'après Rabbi Abraham Ibn Ezra, ce courage nous éclaire sur une autre énigme étrange: on le sait, au lieu de grandir comme tous les autres Hébreux dans la détresse, Moïse a été élevé dans le somptueux palais de Pharaon: "Et ce fut dans ces jours-là, et Moïse grandit" (Exode, Il, I l). Le Midrash s'étonne: n'est-il pas tout à fait normal que les enfants grandissent... ? Réponse: cela vient nous indiquer que Moïse ne grandissait pas comme tous les autres Hébreux ( Midrash Shemot rabba, I;) En un mot: n'aurait-il pas été préférable qu'il grandisse dans des yeshivot, assis à étudier nuit et jour ? Sur ce registre, Rabbi Abraham Ibn Ezra nous explique combien sont profondes les pensées du Créateur: "Et qui pourra saisir Son secret, et c'est lui seul qui connait Ses projets ! Et peut-être Dieu a-t-Il délibérément souhaité que Moise grandisse dans un palais royal afin qu'il sache dominer et commander, et qu'il ne soit pas habitué à être rabaissé et à vivre dans une maison d'esclavage. Ainsi a-t-il pu tuer l'Egyptien qui avait fait violence [à un Hébreu], et de même, il a protégé les filles de Jétro contre les bergers" (Rabbi Abraham Ibn Ezra, Exode, II, 3). Moïse était donc un homme courageux: ceci nécessitait qu'il ne grandisse pas au milieu de personnes opprimées, mais dans un monde libre. Et c'est cet écart déjà largement pris avec l'univers de l'oppression qui rendait Moïse si différent de ses frères. Même s'il acceptait d'accomplir sa mission de leader et de libérateur, Moïse craignait que les Enfants d'lsraël ne croient pas que Dieu s'était précisément révélé à lui, Moïse: il n'était finalement pas connu comme un "grand" au sein du peuple, et il n'était guère célèbre pour sa piété. Contre toute attente donc, Moïse est celui qui sera désigné par Dieu pour guider le peuple: il avait le charisme, la stature et le courage d'un authentique leader. Et ce n'est que bien plus tard que le peuple reconnaîtra que son chef était aussi pourvu des plus hautes qualités morales et spirituelles: la pureté, la sincérité et, en même temps, I'humilité.