Russie : nouvelle flambée de violence en septembre

publié le dimanche 1er octobre 2006
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Un imam assassiné à Kislovodsk, un étudiant indien assassiné et un Soudanais victime de vol avec violences à Saint-Pétersbourg, des mosquées et des synagogues victimes d’actes de vandalisme dans plusieurs villes russes à la veille de grandes fêtes musulmanes et juives... Faut-il y voir les maillons d’une même chaîne, une énième flambée de xénophobie ou une provocation préméditée ?

Disons tout de suite que ces affaires font l’objet d’enquêtes ouvertes par le Parquet en vertu d’articles différents. Ainsi, pour le meurtre de l’imam de la mosquée de Kislovodsk, trois articles du Code pénal sont invoqués : homicide, port et détention d’arme prohibés, résistance aux forces de l’ordre. La principale version privilégie le mobile personnel. Mais l’instruction vient seulement de commencer et il est encore impossible d’affirmer quoi que ce soit. Le Conseil des muftis de Russie évoque toutefois une provocation antimusulmane.

"Ce qui s’est passé le 25 septembre au soir à Kislovodsk, peut-on lire dans une déclaration du Conseil des muftis, le meurtre sauvage d’un imam sur le pas de sa porte, est à mettre sur le même plan que des événements tragiques récents : tentatives de meurtre et assassinat de religieux musulmans au Daghestan et en Tchétchénie, attaques contre des mosquées et des serviteurs du culte à Serguiev Possad, Yakhroma, Yaroslavl."

La xénophobie n’est pas le problème des seuls musulmans, c’est aussi celui des gens d’une autre confession, d’une autre couleur de peau, d’une autre ethnie.

Ainsi, les défenseurs des droits de l’homme qualifient unanimement les agressions qui ont eu lieu à Saint-Pétersbourg contre des ressortissants indien et soudanais de crimes racistes. Galina Kojevnikova, directrice adjointe du centre d’information et d’analyse Sova, établit un lien entre ces deux agressions et la recrudescence de l’activité des groupes ultra nationalistes. "Il n’y a rien de surprenant, dit-elle, on observe toujours un accroissement des agressions à caractère raciste en Russie, à la fin du mois de septembre." Est-ce que c’est une consolation ? Non, bien entendu.

Quant aux autorités, elles parlent, à propos des événements de Saint-Pétersbourg, d’homicide par acte de malveillance et de vol avec violence. Dans le cas de l’agression contre la mosquée de Yaroslavl, c’est d’ailleurs l’acte de malveillance qui a été retenu. De l’avis des défenseurs des droits de l’homme, cette qualification permet aux criminels de se sentir impunis, désoriente la société qui peut en conclure que le problème de la xénophobie n’est pas si grave que cela. C’est bien vrai. Mais on observe aussi d’autres tendances.

Il est difficile aujourd’hui de tromper l’opinion publique, qui cite de plus en plus la xénophobie comme mobile des crimes commis en Russie. Ce problème, loin d’être passé sous silence, est débattu dans tous les médias, de nombreux hommes politiques et personnalités estiment de leur devoir de s’exprimer à ce sujet, divers programmes visant à éradiquer la xénophobie sont élaborés. Les résultats sont-ils visibles ?

La situation est d’autant plus complexe que la xénophobie peut masquer autre chose. On ne peut qu’être d’accord avec les organes judiciaires : une agression contre une personne d’une autre couleur de peau n’est pas forcément l’expression d’une haine raciale. On peut tout supposer. Les victimes ne sont pas toujours innocentes. Il faut reconnaître que les ONG qui suivent attentivement ces dossiers essaient de ne pas inclure dans leurs statistiques les affaires de règlements de compte, par exemple. Même si, bien entendu, les incidents liés directement ou non à des mobiles ethniques ne contribuent pas à détendre l’atmosphère et si on ne fait pas toujours la distinction entre les victimes et les coupables.

"Les agressions et les meurtres d’étudiants étrangers causent un préjudice aussi bien au prestige international de la Russie qu’à ses traditions nationales", estime Vladimir Sloutsker, vice-président de la Commission unifiée pour la politique des nationalités et les relations entre l’Etat et les associations religieuses auprès du Conseil de la Fédération.

La société russe est contaminée par la xénophobie, un ensemble de mesures doivent être prises pour régler ce problème, concernant aussi bien les programmes scolaires que le perfectionnement des lois sur l’immigration et, plus généralement, l’amélioration de la situation en matière de criminalité, la solution de nombreux problèmes sociaux.

Seule a changé, pour l’instant, l’attitude des officiels et des organes judiciaires. Commentant l’assassinat d’un étudiant indien, le parquet de Saint-Pétersbourg faisait remarquer : "Pour l’instant, les mobiles de ce crime ne sont pas clairs et aucune hypothèse n’est écartée. Il n’est pas exclu que l’affaire puisse être requalifiée lorsque le mobile sera établi". Tout permet de le croire. Un précédent a eu lieu à la mi-septembre : un nouveau verdict a été prononcé dans l’affaire Alexandre Koptsev, condamné pour l’agression perpétrée en janvier 2006 contre les fidèles d’une synagogue de Moscou.

Rappelons qu’Alexandre Koptsev avait été condamné, en mars dernier, à 13 années de détention. "La Cour estime qu’Alexandre Koptsev a attenté à la vie d’autrui mû par la haine ethnique et religieuse, mais qu’il n’a pas tenté de semer la discorde", énonçait le tribunal de Moscou. La décision de justice mentionnait également l’absence, dans la société russe, de phénomènes tels que la haine ethnique. Les avocats des victimes faisaient alors appel, demandant l’annulation du verdict par la Cour suprême. Le verdict a été cassé et, le 15 septembre, le tribunal de Moscou reconnaissait Alexandre Koptsev coupable d’avoir semé la discorde interethnique et de tentative de meurtre.

Nous voudrions que la condamnation, dans l’affaire de l’agression contre des fidèles d’une synagogue, empêche d’autres crimes ayant pour mobile la haine ethnique et religieuse, déclarait le grand rabbin Berl Lazar à l’énoncé du nouveau verdict. Espérons que ce précédent jouera un rôle dans le durcissement de la législation russe relative à la xénophobie.

Pratiquement au moment où l’on apprenait les agressions contre des synagogues à Astrakhan et Khabarovsk, le procureur général Youri Tchaïka annonçait la création, au sein du Parquet, d’un département de surveillance des rapports interethniques.

La Fédération des Communautés juives de Russie (FEOR) met en relief les tentatives des autorités pour améliorer la situation. "La création d’un département spécial de lutte contre la xénophobie prouve que les autorités russes prévoient une évolution des événements et qu’elles attachent en conséquence une grande importance au maintien de la paix interethnique en Russie. La FEOR exprime l’espoir que les enquêteurs accorderont leur attention non seulement à l’activité des exécutants directs, mais aussi à leurs instigateurs, à ceux qui propagent la haine envers les représentants d’autres religions et les personnes ayant une couleur de peau différente", peut-on lire dans la déclaration publiée par le service de presse de la FEOR.

Souhaitons que les initiatives venues d’en haut produiront un effet qui se répercutera sur les masses populaires. Fait paradoxal : ni les autorités, ni les Russes dans leur majorité n’approuvent les crimes xénophobes, qui se répètent pourtant avec une constance enviable. Un rôle immense revient, ici, aux communautés religieuses et ethniques qui ne doivent pas céder aux provocations mais doivent laisser les pouvoirs publics faire leur travail.



Marianna Belenkaïa
Observatrice politique de l’agence RIA Novosti




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