L'Arche N° 480.Janvier 1998

Les Juifs dans les timbres

 

 

Doktoro Esperanto

Cu vi parolas esperanton? Parlez-vous espéranto? A l'heure où, du multimédia aux publications scientifiques, l'anglais monopolise les échanges, la question peut sembler insolite. Pourtant le moral reste au beau fixe chez ses adeptes, témoin ce timbre à l'effigie de Zamenhof, émis le 1er juin 1997 pour le premier Congrès espérantiste croate qui s'est tenu à Zagreb devant les délégués de douze pays étrangers.

Lejzer Zamenhof naît en 1859 à Byalistok, une ville de trente mille habitants : Lituaniens, Polonais, Russes, Allemands et Juifs, qui se côtoient tout en se détestant cordialement. Elevé dans un univers multi-culturel et polyglotte, et de surcroît fils d'un professeur de langues, il se lance, à quatorze ans, dans l'élaboration méthodique d'un langage universel, seul moyen, pense-t-il, de résoudre tous les conflits. Son père, alarmé par la démesure du projet, le somme de choisir: préfère-t-il être avocat, ingénieur ou médecin ? Zamenhof opte pour l'ophtalmologie. Grâce à un beau mariage, il s'installe à Varsovie, où il peut exercer tout en poursuivant ses recherches linguistiques.

En 1887, il publie un petit fascicule, Lingvo Internacia, qu'il signe du pseudonyme de "Doktoro Esperanto". L'ouvrage reçoit un accueil chaleureux, car la langue est facile, logique et harmonieuse, sa grammaire s'apprend en une demi-heure, et elle possède une réelle beauté littéraire. Un mouvement de soutien s'organise et prend de l'ampleur : en 1905, Zamenhof préside le premier Congrès international espérantiste, à Boulogne-sur-Mer.

Qu'est-ce qui fait courir Zamenhof ? "Si je n'avais pas été un Juif du ghetto, écrit-il, l'idée d'unir l'humanité ne m'aurait pas obsédé pendant toute ma vie... Personne ne peut ressentir la nécessité d'une langue neutre aussi fort qu'un Juif, qui est obligé de prier Dieu dans une langue morte depuis longtemps, qui reçoit son éducation dans la langue d'un peuple qui le rejette, et qui a des compagnons de souffrance sur toute la terre avec lesquels il ne peut se comprendre."

Ce Juif célèbre et emblématique tour à tour membre des Amants de Sion, partisan de l'émigration vers l'Amérique et finalement assimilationniste, meurt en 1917, désespéré par l'effondrement des idéaux internationalistes et humanistes. N'en déplaise au bon docteur, parler la même langue n'exclut pas l'incommunicabilité. "Izzy s'était mis à parler anglais couramment. C'était fini, écrit Romain Gary. La barrière du langage s'était soudain dressée entre eux. La barrière du langage, c'est lorsque deux types parlent la même langue: plus moyen de se comprendre." ·
Claude Wainstain