Chronique publiée dans L'Arche
n° 526, décembre 2001


Pour recevoir à titre gracieux un numéro d'essai de L'Arche
contenant cet article, envoyez votre adresse à
L'Arche, 39 rue Broca 75005 Paris,
ou par télécopie au 01 42 17 10 31, ou par courrier électronique
à archejud@club-internet.fr


Les Juifs dans les timbres

Majestueuse Louise Nevelson


Le 19 mai 2001 était mis aux enchères chez Christie's, à New York, un grand environnement de Louise Nevelson intitulé "Hommage au Baroque". Ce monumental panneau de bois, influencé, paraît-il, par le "concept de tension dynamique de Hans Hofmann exprimée dans le push/pull", fut adjugé 56 000 dollars, un prix décevant pour un si bel objet, d'autant qu'il avait une histoire: Louise Nevelson l'avait offert à la Ville de Paris pour l'ouverture du Centre Pompidou, en février 1977; mais, trois semaines avant l'inauguration officielle, apprenant que la France libérait le terroriste Abou Daoud, elle avait purement et simplement annulé sa donation. Le massacre de Munich lui rappelait "l'époque d'Hitler", déclara-t-elle, en femme énergique qui n'était pas du genre à garder ses idées ni son judaïsme dans la poche.

La vie s'était suffisamment chargée de lui forger le caractère: enfant, elle avait fui les pogromes de Russie avec sa famille et avait atterri à Rockland, une petite ville puritaine des États-Unis où elle s'était toujours sentie rejetée et étrangère et où, très tôt, elle s'était inventé un fabuleux destin: devenir sculpteur. Sculpteur! À l'époque, ce métier exclusivement masculin ne s'exerçait qu'en blouse noire et en béret, pas de quoi faire rêver une jeune fille de bonne famille. Isaac et Mina Berliawsky, ses parents, acceptèrent pourtant cette vocation inédite. Mais Charles Nevelson, le riche bourgeois new-yorkais qu'elle épousa en 1920, se montra beaucoup moins compréhensif, si bien qu'au bout de quelques années, lasse de jouer au mah-jong et de papoter avec ces dames à l'heure du thé, Louise finit par le quitter. Elle étudia pendant un an à l'Art Student League de New York; puis elle s'embarqua pour l'Europe, suivit des cours de sculpture à Munich, fit du cinéma, et en 1932, après un court intermède parisien, revint à New York travailler avec Diego Rivera.

Les décennies suivantes ne lui apportèrent que solitude, pauvreté et dépression. Ses œuvres d'avant-garde choquaient, se vendaient mal. Ce n'est qu'à la fin des années cinquante qu'elle rencontra un succès inespéré grâce à ses "environnements" - des débris de mobiliers de récupération, de bouts de chaises, de placards, d'escaliers ou de balustrades qu'elle assemblait en des gigantesques murs au contenu hétéroclite qui, une fois peints en noir, en blanc ou en or, acquéraient une étrange beauté antique. Promue "pionnière de l'action-painting avec des solides", elle se mua alors en icône culturelle, majestueuse dans son éternelle robe noire, avec ses bijoux voyants, son turban et ses faux cils démesurés, coqueluche du tout New York branché qui donna son nom à une place de Wall Street. Cet art environnemental, auquel la Poste américaine a rendu hommage le 6 avril 2000 par cinq timbres superbes, pourquoi ne pas l'avoir chez vous, dans votre salon? Il vous suffit de fréquenter les ventes de Christie's et de posséder un plancher - et un portefeuille - prêts à supporter de très lourdes charges.

Claude Wainstain

Retour