Leila Mourad, la Garbo du Nil
par Claude Wainstain

Les Juifs dans les timbres

Chronique publiée dans L’Arche n°519, avril 2001

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Quand le 21 novembre 1995 Leila Mourad s’éteignit dans un hôpital du Caire, aimable et discrète vieille dame de soixante-dix-sept ans, personne ne la remarqua. Mais quatre ans plus tard, en émettant ce timbre, l’Égypte prouva qu’elle n’avait pas oublié sa grande star des bords du Nil, sa chanteuse fétiche, adulée dans tout le monde arabe. ils étaient faits l’un pour l’autre.

Avant de jouer les princesses vaporeuses dans les décors extravagants des productions à grand spectacle, Leila avait grandi au sein d’une famille juive, et c’est son père, Zaki Mordekhaï, un baryton réputé, qui lui avait inculqué les bases du chant classique. À quinze ans, elle chanta pour la première fois dans un gala. L’enthousiasme du public, conquis par sa voix splendide et sa beauté, fut pour elle une révélation, et pour sa famille désargentée une aubaine. Elle débuta dans des tournées en province, se fit peu à peu un nom dans le monde lyrique et à la fin des années trente fut remarquée par Togo Misrahi, un réalisateur juif, qui lui fit tourner ses premiers longs métrages. Son charme naturel ravit les spectateurs, la radio reprit ses chansons à succès et elle devint en quelques années l’actrice la plus sollicitée et la mieux payée de son temps.

Mais sa réussite éclatante –mille deux cents chansons et vingt-huit films entre 1938 et 1951– suscita des jalousies. Les journaux à scandales rivalisèrent de scoops sur ses amours tumultueuses avec l’acteur et producteur Anouar Wagdi, dont elle divorça trois fois, de rumeurs sur sa richesse supposée fabuleuse et d’insinuations sur ses origines. Car bien qu’elle se soit convertie à l’islam en 1946 pour épouser le réalisateur Fatih Abdel Wahab, et qu’elle ait été choisie à la place d’Oum Kalsoum pour galvaniser la foule lors des célébrations officielles de la Révolution, en juillet 1953, on la surnommait «l’étrangère» et on doutait de son patriotisme.

L’agitation fut à son comble quand la Syrie, prétextant qu’elle avait fait don à Israël de 50 000 livres égyptiennes, interdit ses chansons et ses films. Leila se répandit en démentis, mais quelques mois plus tard, tandis qu’Oum Kalsoum était revenue en grâce, elle fit ses adieux définitifs au public. «Pour pleurer la mort d’Anouar Wagdi», déclara-t-elle. Elle quitta pour toujours la scène publique et vécut en recluse, refusant systématiquement photos, invitations et interviews.

COMME GRETA GARBO

On chercha une explication à cette retraite subite, en pleine gloire, à trente-sept ans. Certains évoquèrent une jalousie entre divas, d’autres imaginèrent les retombées d’une manœuvre diplomatique: Nasser était alors en pourparlers secrets avec Israël et, en la choisissant pour incarner la Révolution, il aurait voulu envoyer un message indirect prouvant que l’Égypte nouvelle ne nourrissait aucune inimitié envers les Juifs (1). Mais Joseph Assouline, le neveu de Leila Mourad, est formel. Dans le documentaire qu’il prépare sur sa tante, il nous révèle les véritables raisons de sa décision: en digne émule de Greta Garbo, elle avait voulu rester à tout jamais, pour les foules égyptiennes, le symbole de l’éternelle séduction, la femme au visage sans défaut miraculeusement épargné par les ravages du temps. Préservée du temps, peut-être – mais du dessinateur du timbre

• CLAUDE WAINSTAIN

1. Philippe Figuero, L’Égypte et le monde arabe, 1997.

© 2001 L’Arche, le mensuel du judaïsme français (39 rue Broca, 75005 Paris).


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