Chronique publiée dans
L'Arche n° 515, Janvier 2001
Les Juifs dans les timbres

Les « divers » de Macédoine

Écartelée entre la Serbie, la Bulgarie, la Grèce et l’Albanie, la Macédoine est située, aux dires des géographes, dans une zone à haut risque sismique. Mais si ce petit pays est souvent en proie aux secousses et aux éruptions, toutes ne sont pas d’origine tellurique, tant cette terre aux frontières mouvantes a longtemps été divisée, convoitée et contestée. Aujourd’hui encore, le choix de son nom et de son drapeau pose problème. Non seulement sa population est issue d’un complexe brassage d’ethnies, de religions, de langues et de cultures qui a valu à la Macédoine de devenir un nom commun, mais son riche passé historique est un prétexte de plus aux revendications de ses puissants voisins.

C’est en effet depuis la Macédoine qu’Alexandre le Grand conquit la Grèce et le monde antique, que les Bulgares Cyrille et Méthode diffusèrent l’alphabet slave et que Kemal Ataturk fomenta sa révolution laïque. Ici donc cohabitent avec plus ou moins de bonheur Macédoniens, Albanais, Turcs, Tziganes, Serbes, Valaques et Bosniaques, chacun priant Dieu dans sa langue. Les orthodoxes, les plus nombreux, se rassemblent au sein d’une Église locale, autoproclamée et autocéphale, non reconnue par les autres Patriarcats. Ensuite viennent les musulmans, puis les catholiques et les autres chapelles diverses qui se répartissent les âmes pieuses restantes.

Quant aux Juifs, ils incarnent la mémoire du pays. Présents dans cette région depuis la plus haute antiquité, comme l’attestent les correspondances de Philon d’Alexandrie et de Saül de Tarse, ils ont traversé les siècles sans encombre, vivant de négoce entre Salonique, Constantinople et Livourne, en quelque sorte fondus dans le paysage, si bien que leurs maîtres successifs, qu’ils soient grecs, bulgares, serbes ou turcs, les ont toujours laissés en paix. En 1943, ils étaient environ huit mille, pour la plupart des séfarades, quand les Bulgares qui occupaient le pays cédèrent aux injonctions des nazis et les transférèrent tous en Pologne. Ainsi disparut tragiquement cette très ancienne et très vénérable communauté.

Les Juifs ne sont plus aujourd’hui que quelques centaines, rangés dans les statistiques sous la rubrique « divers » et « sans opinioenn », et pourtant c’est de Macédoine que nous est parvenue cette superbe Maguen David cosmique et mordorée qui resplendit sur le timbre du 16 février dernier, émis en l’honneur du nouveau millénaire. D’après Sinisa Pavleski, philatéliste à Skopje, « ce timbre est le reflet de notre société plurielle. Il exprime notre espoir en des jours meilleurs et notre détermination à vivre ensemble. Synagogues, mosquées ou églises, nous avons de tout ici, mais il nous faudra oublier nos différences si nous voulons mériter le prochain millénaire ».

Certes, il ne s’agit que d’un timbre, d’un simple bout de papier. Mais à considérer ces quatre symboles religieux, étroitement accolés sur leur fond céleste comme pour une prière commune, on se prend à croire qu’en Macédoine, n’en déplaise aux tenants des guerres saintes, le cachet de la Poste peut encore faire Foi.

CLAUDE WAINSTAIN

 


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