Les Juifs dans les timbres Chronique publiée dans
L'Arche n°509/510 de juillet/août 2000

Kasparov ou Weinstein ?

Dans la famille Weinstein, les enfants surdoués, on connaissait, surtout côté musique : le grand-père Moïse avait dirigé la Société philharmonique d'Azerbaïdjan, la grand-mère était professeur de solfège, l'oncle Leonid composait des opéras, des ballets, et des symphonies qui étaient régulièrement jouées à Moscou, et Kim Weinstein, le père, avait lui-même suivi des études musicales avant de bifurquer dans les pétroles. Bref, tout le monde attendait le petit Gari au piano familial. Surprise ! c'est sur l'échiquier qu'à cinq ans le bambin va stupéfier son entourage.

Sa mémoire prodigieuse, son intuition géniale et sa passion dévorante pour les échecs font sensation au club des Pionniers de Bakou et son ascension est météorique : candidat-maître à dix ans, champion d'URSS cadet à douze ans, grand-maître international à dix-sept ans, à l'issue d'un tournoi international où on l'a inscrit par erreur, c'est en gagneur pugnace et imaginatif qu'il se hisse aux sommets de la compétition. En 1984, il affronte Anatoly Karpov, le champion du monde en titre. Premiers timbres - du Surinam - à son effigie, première brouille avec les arbitres de la FIDE, qui annulent la partie, interminable et indécise. L'année suivante, le jeune Weinstein, devenu entre-temps Kasparov, balaie son adversaire. À vingt-deux ans le plus jeune champion du monde de tous les temps, et invaincu depuis cette date - Kortschnoï prétend que celui qui le battra n'est pas encore né -, il règne sur l'univers échiquéen et sur la philatélie thématique, avec plus d'une trentaine de timbres chantant sa gloire. Omniprésent et infatigable, il incarne le combat de l'homme contre la machine dans ses matches contre Deep Blue, l'ordinateur d'IBM, organise des tournois ultra-rapides pour la télévision et des simultanées mondiales sur son site Internet, crée un parti politique en Russie, tient une chronique au Wall Street Journal et dirige même une compagnie d'aviation de luxe. En 1997, il ouvre une Académie internationale d'échecs dans un immeuble ultra-moderne de Tel-Aviv. C'est là qu'en mai 1999, quelques jours avant les élections, le ministre Nathan Sharansky écrase le leader de l'opposition Ehoud Barak d'un mat en huit coups sans appel…

Quand Gari avait onze ans, au plus fort de l'ère brejnévienne et de l'antisémitisme d'État, sa mère l'avait inscrit à un tournoi sous son nouveau nom : " Kasparov, Arménien ". Pour la première fois, il ne signait pas " Weinstein ", comme vous et moi. " On dit que c'était pour dissimuler mes origines juives, explique-t-il, mais c'est faux. J'étais allé vivre dans la famille de ma mère quand mon père est tombé malade, et il semblait plus naturel de porter leur nom. […] Je suis à moitié juif et à moitié arménien, je ne suis pas croyant. Quand je voyage, je suis conscient de l'existence d'une famille juive mondiale à laquelle je suis relié par mon père. C'est tout. " Est-ce vraiment tout ? Ce passionné d'histoire pense que la place exceptionnelle tenue par les Juifs dans les échecs de haut niveau, de même que dans la physique moderne et dans l'exécution musicale, n'est pas le fait du hasard. Ses ancêtres lui auraient-ils légué la " bosse des échecs " ? C'est bien possible : " J'ai lu quelque part, observe-t-il, qu'on voyait déjà des joueurs d'échecs itinérants en Russie, il y a plusieurs siècles. Peut-être y avait-il un Weinstein parmi eux ! " o

 

 



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