Chronique publiée dans L'Arche n° 507 de mai 2000

LES JUIFS DANS LES TIMBRES

La Hevra kadicha de Senica Du XVIIe au XVIIIe siècle, la petite ville de Senica connut un véritable âge d'or grâce à sa position centrale sur la grand-route entre Brno et Budapest. Cette situation privilégiée ne manqua pas de lui attirer artisans et marchands, qui la dotèrent d'une brasserie, d'une fonderie de cloches, d'ateliers textiles et de distilleries d'alcool. Les Juifs y vécurent longtemps prospères et heureux. Leur communauté, l'une des plus importantes de Slovaquie occidentale, possédait un cimetière renommé dont les tombes étaient curieusement disposées en cercle autour d'une butte centrale réservée aux mausolées des rabbins. C'est de Senica, justement, que viennent les deux céramiques anciennes illustrant l'émission philatélique conjointe organisée le 23 novembre 1999 par la Slovaquie et Israël. Il s'agit de deux cruches rituelles de la Hevra kadicha au décor slovaque Haban typique du XVIIIe siècle, d'une valeur historique et ethnographique immense. Cachées pendant la deuxième guerre mondiale par un habitant de Senica, le Dr Pavel Braxatorls, elles sont aujourd'hui exposées au Musée national de Bratislava, dans la section " Culture et Héritage Juif " créée en 1991, mais on en trouve des copies dans les musées de Jérusalem et de New York. La première cruche représente une scène d'enterrement, l'autre une visite à un malade alité, sous une légende en hébreu qui dit : " Cette cruche appartient à la Hevra kadicha, qui visite les malades et qui s'occupe des morts ". De toutes les institutions charitables communautaires, la Hevra kadicha jouissait en Europe centrale du plus grand prestige. Celle de Senica était l'une des plus anciennes et des plus respectées de Slovaquie et en faire partie était un très grand honneur. En effet, rendre visite aux malades, tout comme bénir les mariés et enterrer les morts, est une mitsva qui sanctifie son auteur : " Celui qui rend visite aux malades est comme un ange qui apporte le bien ", dit la tradition. Un jour, lit-on dans le Talmud, Rav Aha bar Hanina déclara : " Qui visite un malade lui enlève un soixantième de sa souffrance. " " Si tel est le cas, lui rétorqua Abaye, il n'y aurait qu'à le faire visiter par soixante personnes pour le remettre sur pied ! " Aha bar Hanina corrigea alors son propos. D'abord, les visiteurs devaient tous être nés sous le même signe que le malade. Ensuite, la part de maladie ôtée par chacun ne portait que sur la quantité restante : le premier visiteur enlève bien un soixantième du mal, mais le second n'enlève que le soixantième de ce qui reste et ainsi de suite, de sorte que la maladie, quel que soit le nombre de visiteurs, n'est jamais totalement guérie. Désemparé par ce problème qui me dépasse, je l'ai soumis à mes fils qui m'ont rendu leur verdict en deux formules pleines de logarithmes : il suffit de cent soixante-dix-huit visiteurs virgule vingt-cinq pour être guéri à quatre-vingt-quinze pour cent. Un détail : la sécurité sociale a-t-elle prévu d'inscrire les signes astrologiques sur la carte Vitale ?
o CLAUDE WAINSTAIN