Chronique publiée dans L'Arche n°506, d'avril 2000

LES JUIFS DANS LES TIMBRES

Le séder du ghetto de Varsovie Le 14 avril 1997, un panneau mural dédié aux victimes de l'antisémitisme fut installé en plein cœur de la cathédrale métropolitaine de Buenos Aires. Quand on l'inaugura, l'événement fut salué comme un geste sans précédent et, d'Élie Wiesel à Shimon Pérès, de Lech Walesa au cardinal O'Connor et de Raúl Alfonsín à Ezer Weizman, chacun célébra la décision courageuse d'implanter des textes religieux juifs dans un haut-lieu du culte catholique. Le contexte argentin de l'époque, en effet, ne s'y prêtait guère. Entre deux panneaux de verre, dans un cadre en agate, le panneau rassemblait d'émouvants documents : pages de Talmud et fables en yiddish trouvées dans les décombres de l'ambassade d'Israël et de l'immeuble de l'AMIA après les attentats qui ensanglantèrent Buenos Aires en 1992 et en 1994, fragments de prières trouvés à Auschwitz et à Treblinka, partition de Kaddish provenant du ghetto de Varsovie, reliure d'une Haggadah portant la mention : " Pour les soldats polonais du camp de Cayleus ". Cette Haggadah, reproduite sur le timbre argentin émis le 12 décembre 1998, avait été offerte en 1942 à Szlama Dawidowicz quand il était interné dans un camp de la région toulousaine, peu avant sa déportation à Maïdanek. C'est sa fille Myriam, dépositaire du précieux fascicule, qui en a fait don au mémorial. La lecture de la Haggadah peut se faire poignante lorsque le récitant énumère, en martelant les mots, les signes terribles venus du Ciel.

LE SANG ET LE FEU

Pour le soir de Pâque 1943, dans le ghetto de Varsovie, les dirigeants communautaires et les chefs de l'organisation combattante avait prévu un grand séder commun. Ils avaient obtenu des rations supplémentaires de farine pour la fabrication des matsot, du vin pour le kiddoush, et avaient déniché quelques vivres. Beaucoup de clandestins cachés du côté aryen étaient revenus dans le ghetto pour la circonstance. On avait même invité les quelques intellectuels et artistes juifs encore vivants. Mais plus le soir de Pâque approchait, plus les Juifs étaient inquiets car les Allemands profitaient souvent des fêtes pour perpétrer leurs mauvais coups. L'aube du 19 avril arriva, et par cette belle matinée printanière se répandit soudain la nouvelle : " Les Allemands sont là ! ". La liquidation du ghetto avait commencé. Le soir venu, à la place du grand séder programmé dans les cantines de l'entreprise Többlens, les Juifs de Varsovie récitèrent une Haggadah à leur manière, avec des grenades et des revolvers. Comme en 1943, le soir de Pâque va cette année tomber un 19 avril --- pour la deuxième fois en cinquante ans -, et l'anniversaire de l'insurrection du ghetto rendra plus poignante encore la lecture de la Haggadah, lorsque le récitant énumérera, en martelant les mot, les signes terribles venus du Ciel : Dam, du sang, Va-èch, et du feu, Ve-timrot achan, et des colonnes de fumée.

o CLAUDE WAINSTAIN

 

 


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