Chronique publiée dans
L’Arche n°502, décembre 1999

LES JUIFS DANS LES TIMBRES
« La fiancée juive » a la cote

« Het joodse bruidje », La fiancée juive, au Rijksmuseum d’Amsterdam : deux personnages massifs, parés de vêtements luxueux, aux couleurs brillantes. L’émotion dans le geste de l’homme, la tendresse des amoureux, et une lumière qui illumine l’entrelacs des regards et des mains. Rembrandt atteint là le sommet de son art. De ce tableau, qui a inspiré à Bruno Bernier son poème « Le cœur sous la main », Van Gogh disait : « C’est l’infini surhumain entrouvert », et Delacroix : « Il est peint d’une main de feu ». Soutine, pour le contempler, fit le voyage d’Amsterdam et repartit le soir même, sans rien voir d’autre de la Hollande.

MARRANE
Ce petit timbre auto-adhésif et à peine dentelé, émis par les Pays-Bas le 8 juin 1999, est bien incapable de nous procurer l’émotion du siècle. Pour cela, il faudra faire comme tout le monde et aller admirer l’original. Mais on peut toujours s’intéresser aux personnages. Qui sont-ils ? L’identité du couple a longtemps été discutée, car à l’origine le tableau n’avait pas de titre : il n’a été surnommé La fiancée juive qu’en 1825. Certains spécialistes y ont vu un portrait du fils de Rembrandt avec Magdalena van Loo, d’autres une allégorie biblique, généralement Ruth et Booz, jusqu’à ce qu’un chercheur, Moïse Gans, démontre récemment que La fiancée juive représente en fait le poète Daniel de Barrios et sa femme, deux amis de Rembrandt qui faisaient partie d’une troupe de théâtre amateur dont les représentations se donnaient près de la maison du peintre, dans le quartier juif portugais d’Amsterdam. Leurs vêtements superbes et anachroniques, qui ont tant intrigué les historiens, n’étaient donc que leurs costumes de scène.
Figure connue de la littérature espagnole, Daniel de Barrios, né en 1625 près de Cordoue, dans une famille marrane, dut fuir l’Inquisition en 1657. Après un séjour à Livourne, puis sur l’île de Tobago, il s’installa finalement à Amsterdam, où il épousa Abigail de Pina, la richissime héritière d’un gros raffineur de sucre. Personnage haut en couleur, ancien capitaine de l’armée espagnole, Barrios fut un adepte de Sabbatai Zevi, et ses visions messianiques le conduisirent au bord de la folie. Dans ses poèmes et ses écrits, il exalte en de grandes envolées lyriques la gloire du judaïsme et des patriarches, et chante les louanges des marranes en général et des Juifs portugais d’Amsterdam en particulier. Voici donc l’énigme des personnages résolue.

BONSAI
Mais La fiancée juive nous réserve encore une surprise. En effet, parmi les visiteurs qui se pressent pour l’admirer, certains n’ont d’yeux que pour un arbuste obscur, à peine visible dans l’arrière-plan, dont la taille réduite et le double tronc malingre planté dans un pot de céramique tripode révèlent que, deux siècles avant le reste de l’Europe, nos marchands d’Amsterdam, grands amateurs de bulbes exotiques, hébergeaient déjà un bonsaï.
Du coup, ce timbre devient un « must », et la ruée conjointe des millions de philatélistes collectionneurs des thèmes « Judaïca » et « Botanique » chez leurs marchands habituels va certainement en faire flamber la cote. En ayant moi-même acheté six exemplaires, que j’ai précieusement rangés dans un coffre, je dors tranquille, sans plus m’en faire pour mes vieux jours.

• CLAUDE WAINSTAIN



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