Les Juifs dans les timbres
Chronique publiée dans LArche N°496 de juin 1999
Clarise Lispector, écrivain brésilien
Lorsquen 1921, les parents de Clarice Lispector quittent leur village
ukrainien de Tcheltchelnik, Clarice nest encore quun bébé
: ils ont attendu sa naissance pour émigrer avec leurs trois filles
aux Etats-Unis, pays dopportunité où les attendent de
lointains cousins. Mais en fait de terre promise, il échoueront,
au hasard dun long périple, dans lAlagoas, la région
la plus pauvre du Brésil.
Les premières années sont difficiles, marquées par
la misère et la maladie. Peu à peu, cependant, les choses
finissent par sarranger, et, en 1935, la famille part sinstaller
à Rio. Clarice y obtient un diplôme davocat, mais elle
préfère lécriture, sa passion de toujours, et
en 1944 elle publie son premier roman. Ce sera le prélude à
une uvre littéraire considérable qui embrasse tous les
genres, de la chronique journalistique à lessai expérimental
et du roman de murs au recueil de nouvelles, et qui fait delle
un des auteurs les plus populaires du Brésil. Confrontée à
limpossibilité de traduire ses sensations par le langage («
Au moment où jessaie de parler, constate-t-elle, non seulement
je nexprime pas ce que je sens, mais ce que je sens se transforme
lentement en ce que je dis »), elle forge son propre outil littéraire,
manipule les mots, les déconnecte de leur sens, et fait surgir une
langue réinventée qui a la troublante beauté des textes
obscurs.
Grande, blonde, les pommettes saillantes et les yeux en amande, elle est
souvent prise pour une étrangère, dautant quun
petit défaut de prononciation lempêche de rouler les
« r ». Pourtant, cette Juive au charme slave ne se reconnaît
que dans le folklore brésilien : « Jai passé mon
enfance à Recife, au contact de la vie du Brésil dans ce quelle
a de plus authentique, écrit-elle. Mes croyances se sont formées
à Pernambouc, la cuisine que jaime est la cuisine de Pernambouc.
» Certains spécialistes croient déceler du judaïsme
dans son étrangeté au monde, dans sa remise en question permanente,
dans sa quête de nouveaux rivages littéraires. Mais, même
pour ses amis, son enterrement au cimetière juif de Caju, à
Rio, a été une véritable surprise. « Jamais je
ne métais entré dans la tête que Clarice était
juive, écrit par exemple lécrivain Antonio Callado,
et ces obsèques israélites mont littéralement
abasourdi.. » Contrairement à sa sur Elisa, qui dépeint
dans son roman En exil latmosphère yiddish de leur enfance,
Clarice Lispector naccorde aucune importance à ses origines
: « Je suis juive, comme vous le savez. Mais je ne crois pas en cette
fable qui dit que les Juifs sont le peuple élu. Je suis brésilienne,
un point cest tout. »
Dans ces conditions, les puristes me reprocheront peut-être le choix
de ce timbre du Brésil, émis le 11 mars 1998. Mais jai
une excuse : quand, sur les conseils de lambassade du Brésil,
jai téléphoné à Gabriella Scheer, auteur
et interprète de ladaptation théâtrale de La passion
selon G.H., de Clarice Lispector, elle était en train de lire le
dernier numéro de LArche. Et qui suis-je pour désobéir
au destin ? CLAUDE WAINSTAIN
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