Les Juifs dans les timbres
L'ours de Roosevelt
par Claude Wainstain

C’est le rêve américain, un conte de fées pour enfant sages, une légende que se répètent les immigrants qui abordent à Ellis Island. Bref, c’est une histoire de nounours. La scène se passe à New York, dans une petite boutique de bonbons à six sous tenue par un couple de Juifs de Russie, Morris et Rose Michtom. Un jour de 1902, ils lisent dans le journal que le président Théodore Roosevelt, lors d’une chasse à l’ours dans le Mississipi, a refusé de tirer sur un jeune ourson qu’un de ses rabatteurs, croyant bien faire, avait attaché à un arbre. « Si je le tuais, je ne pourrais plus jamais regarder mes enfants en face », avait-il déclaré.
L’émouvante anecdote fait le tour des Etats-Unis, on en pleure dans les chaumières. S’inspirant du dessin que Berryman, le célèbre caricaturiste, publie à la une, Rose fabrique un ourson en peluche : en guise d’yeux, deux boutons de bottine. Placé dans la vitrine du magasin et étiqueté « Teddy’s Bear » – Teddy est le surnom de Théodore Roosevelt – l’ours se vend en cinq minutes ! D’autres nounours, à peine cousus, suivent le même sort. Les commandes affluent. Bientôt, les Michtom doivent se consacrer exclusivement aux ours en peluche. Un peu inquiets tout de même, ils préparent un nounours superbe, spécialement destiné à la Maison Blanche, « pour les enfants du Président ». Ils y joignent une requête : avoir le droit d’appeler leur production « Teddy’s ». Bien qu’il doute fort que « l’utilisation de son nom aide en quoi que ce soit à la vente d’un jouet », Roosevelt donne son feu vert. Le Teddy-Bear est lancé, et c’est le succès. Ce qui n’était qu’une mode confine au délire, au point qu’en 1904 l’ourson est choisi par le Parti républicain comme symbole électoral.
Certains grincheux vous raconteront que le Teddy-Bear était un ours du zoo de Londres. D’autres prétendent qu’il a été inventé par Margarete Steiff, une allemande paralytique, ou par le tsar Nicolas II. Ne les croyez pas ! Les collectionneurs d’ours en peluche, qui sont des gens sérieux, ont été jusqu’à interroger la fille de Roosevelt. Pour eux, le Teddy-Bear est bien made in USA. D’ailleurs, les Etats-Unis ont émis ce timbre le 3 février 1998, dans une série intitulée « Les grandes réalisations américaines du siècle » où il côtoie l’avion, le cornet de glace, le téléphone, les mots croisés et, bien sûr, les crayons pastel.

 

Quant aux Michtom, ils vécurent heureux, tout en restant simples et généreux envers les œuvres juives. Lorsque Morris mourut, en 1938, la Maison Blanche adressa ses condoléances à la famille et toute la presse américaine pleura le père des gentils nounours. Ceux-ci se sont bonifiés avec le temps, témoin une peluche record qui, chez Christie’s, a coté plus d’un million de francs ! Le Teddy-Bear d’origine, qui est visible au Smithsonian Museum, est, lui, tout bonnement inestimable. Nous voilà bien loin des bonbons à six sous ! Achetez plutôt ce timbre : il est mignon, il est parfaitement Judaïca, et il ne coûte que 32 cents. Bonne nuit, les petits.•