Gibraltar, tout le monde connaît. Cest la position stratégique,
avec la forteresse qui surveille le détroit, cest le célèbre
Rocher et ses singes, cest la cohue des touristes venus faire leurs
achats en duty-free.
Cest aussi une page méconnue de lhistoire juive. «
Djebel al-Tarik », la « montagne de Tarik », qui deviendra
« Gibraltar », porte le nom du chef de guerre qui, en 711, entra
le premier en Espagne à la tête des armées musulmanes.
Tarik avait promis aux Juifs persécutés par les Wisigoths
quil leur apporterait la liberté et quil leur rendrait
leurs synagogues. Il trouva donc un appui, au Maghreb, auprès des
tribus berbères judaïsées, dont les guerriers et les
officiers formèrent le quart de son armée et participèrent
à la conquête de lEspagne. Tarik lui-même, selon
certains, venait dune famille juive convertie à lIslam.
Les siècles passèrent, et les Juifs de Gibraltar vécurent
le destin de Sefarad, avec ses périodes fastes et ses heures sombres,
jusquà lexpulsion de 1492.
Mais ils furent les premiers exilés à retourner en Espagne.
Gibraltar fut en effet cédée aux Anglais en 1713 par le traité
dUtrecht, et un accord conclu en 1729 autorisa les sujets juifs du
Sultan du Maroc à sy réinstaller. Très vite se
constitua dans lenclave une communauté séfarade nombreuse
et prospère, régnant sur le commerce local. Pendant les guerres
napoléoniennes, on installa même la mairie dans le palais du
riche négociant Aaron Nunez Cardoso. A deux reprises, lors du siège
de la ville, de 1779 à 1783, et pendant la deuxième guerre
mondiale, les Juifs de Gibraltar furent évacués à Londres,
où beaucoup se fixèrent.
Le plus illustre fils de cette communauté, Sir Joshua Hassan, est représenté sur ce timbre du 10 décembre 1997. Avocat, issu dune famille originaire de Majorque et neveu du grand rabbin séfarade de Londres, cétait un Juif pieux qui navait jamais manqué un office à sa synagogue. Avocat, élu maire de la ville en 1945 puis premier ministre, il conserva pendant quarante-deux ans la charge de ce minuscule bout dAngleterre fiché dans le talon de lEspagne. Grâce à des réformes constitutionnelles, il émancipa le Rocher, abolit la loi martiale, et défendit, malgré le blocus imposé par Franco, le droit de ses concitoyens à demeurer britanniques. Il était respecté et aimé, et lorsquil mourut à lâge de 81 ans, en juillet 1997, tout Gibraltar suivit son cercueil. Dans la foule, on se répétait ses bons mots il avait un humour très british et certains se souvenaient lavoir aperçu, tout premier ministre quil était, allant de maison en maison recueillir le contenu des petites boîtes bleues du KKL. |