Les Juifs dans les timbres
Le rire de Freud
Chronique paru dans L’Arche n°484/mai 1998

Depuis que j’ai reçu ce timbre, émis par le Mexique le 28 juin 1997 en « Hommage et reconnaissance de la science au Docteur Sigmund Freud », son regard pénétrant me hante, et j’ai l’impression qu’en un clin d’œil, ce diable d’homme m’a deviné. On n’est pas impunément philatéliste, et de surcroît spécialisé dans le thème juif : la chose finit pas se savoir, et cette double névrose vous fait vite cataloguer parmi les timbrés. Freud, donc, la philatélie et le problème juif.
Freud adorait les histoires juives. Il en avait rassemblé des recueils entiers, tout un univers de rabbins et de marieurs, de schnorrers et de schlemazels, croqués entre synagogue et bain rituel, entre shtetl et compartiment de train. Ses observations sur l’humour juif et le « trait d’esprit », le witz, sont au cœur même du freudisme, car il existe un lien entre l’étude du rire et la théorie de l’interprétation des rêves. A son époque, la neurophysiologie était encore balbutiante, et Freud pouvait nous asséner, imperturbable, que « le rire naît quand une certaine quantité [Betrag] d’énergie psychique, auparavant employée à l’investissement [Besetzung] de certains chemins psychiques, est devenue inutilisable, de telle sorte qu’elle peut éprouver une libre éconduction [freie Abfuhr] ».
Freud expliquait ainsi le rire. Mais il s’avouait impuissant à percer un autre mystère, à analyser d’où lui venait cette indéracinable judéité qui, comme l’ont montré ses successeurs, Lacan en tête, sous-tend toute son œuvre. Freud était athée et antireligieux, détaché de toute tradition et non-sioniste, et cependant, à la question « Qu’est-ce qui est encore juif chez toi ? », il répondait : « Encore beaucoup de choses, et probablement l’essentiel, [un essentiel] impossible à formuler aujourd’hui en termes clairs, mais qui, un jour sans doute, deviendra accessible à la compréhension humaine ».
Cette prédiction optimiste vient de trouver un écho dans la sensationnelle observation publiée par Nature, le 12 février 1998 : en stimulant électriquement le cerveau d’une jeune fille, dans une zone minuscule située en plein centre du langage, des chercheurs ont eu la surprise de déclencher à volonté son rire – un simple petit sourire pour des courants faibles, une hilarité irrépressible pour des intensités plus fortes.
Maintenant que l’aire du rire est découverte, il ne reste plus qu’à trouver, comme Freud l’avait prévu, l’aire de la judéité. « Il est juif, lui ? C’est curieux, il n’en a pas du tout l’aire ! » • Claude Wainstain

 


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