Depuis que jai reçu ce timbre, émis par le Mexique
le 28 juin 1997 en « Hommage et reconnaissance de la science au Docteur
Sigmund Freud », son regard pénétrant me hante, et jai
limpression quen un clin dil, ce diable dhomme
ma deviné. On nest pas impunément philatéliste,
et de surcroît spécialisé dans le thème juif
: la chose finit pas se savoir, et cette double névrose vous fait
vite cataloguer parmi les timbrés. Freud, donc, la philatélie
et le problème juif.
Freud adorait les histoires juives. Il en avait rassemblé des recueils
entiers, tout un univers de rabbins et de marieurs, de schnorrers et de
schlemazels, croqués entre synagogue et bain rituel, entre shtetl
et compartiment de train. Ses observations sur lhumour juif et le
« trait desprit », le witz, sont au cur même
du freudisme, car il existe un lien entre létude du rire et
la théorie de linterprétation des rêves. A son
époque, la neurophysiologie était encore balbutiante, et Freud
pouvait nous asséner, imperturbable, que « le rire naît
quand une certaine quantité [Betrag] dénergie psychique,
auparavant employée à linvestissement [Besetzung] de
certains chemins psychiques, est devenue inutilisable, de telle sorte quelle
peut éprouver une libre éconduction [freie Abfuhr] ».
Freud expliquait ainsi le rire. Mais il savouait impuissant à
percer un autre mystère, à analyser doù lui venait
cette indéracinable judéité qui, comme lont montré
ses successeurs, Lacan en tête, sous-tend toute son uvre. Freud
était athée et antireligieux, détaché de toute
tradition et non-sioniste, et cependant, à la question « Quest-ce
qui est encore juif chez toi ? », il répondait : « Encore
beaucoup de choses, et probablement lessentiel, [un essentiel] impossible
à formuler aujourdhui en termes clairs, mais qui, un jour sans
doute, deviendra accessible à la compréhension humaine ».
Cette prédiction optimiste vient de trouver un écho dans la
sensationnelle observation publiée par Nature, le 12 février
1998 : en stimulant électriquement le cerveau dune jeune fille,
dans une zone minuscule située en plein centre du langage, des chercheurs
ont eu la surprise de déclencher à volonté son rire
un simple petit sourire pour des courants faibles, une hilarité
irrépressible pour des intensités plus fortes.
Maintenant que laire du rire est découverte, il ne reste plus
quà trouver, comme Freud lavait prévu, laire
de la judéité. « Il est juif, lui ? Cest curieux,
il nen a pas du tout laire ! » Claude Wainstain