Les Juifs dans les timbres

par ClaudeWainstain

L'Arche N°483/Avril 1998

Henri Heine et les barbares

Pauvres Allemands, pauvres Allemands qui, en détachant machinalement leurs timbres Henri Heine à 1,10 DM pour en affranchir leur courrier, n'ont pas vu qu'ils passaient à côté de la fortune ! Pauvres Allemands, ils pourront dire cette fois : "Nous ne savions pas ! ".

Nul à vrai dire ne savait rien, avant le soir fatal du 18 novembre 1997, quand tomba soudain l'incroyable nouvelle : le ministre fédéral des Postes, Herr Bötsch, venait d'ordonner à tous les bureaux de poste, par fax et par téléphone, de stopper immédiatement la vente du timbre Henri Heine.

Tous les stocks existants, soit environ vingt-huit millions de timbres, devaient être retournés sur-le-champ pour être détruits, en attendant líimpression d'un nouveau tirage.

Que s'était-il passé ? Le timbre était-il mal dessiné, avait-il déplu aux ayants droit, une erreur de date, une faute d'orthographe s'y était-elle glissée ? Rien de tout cela. L'erreur, cette fois, n'était pas sur le timbre, mais au coin des planches, sur les insignifiants bords de feuilles que personne ne remarque, et qui s'ornaient, allez savoir pourquoi, de signes runiques. "Pour éviter d'utiliser des symboles chrétiens sur le timbre de Heine, expliqua le créateur responsable, j'ai cherché une illustration qui pourrait les remplacer, et j'ai pensé aux signes runiques." Un choix calamiteux, et qui n'est pas passé inaperçu, car les signes runiques, ces caractères tirés de l'ancienne écriture des peuples germaniques, avaient été exhumés par les nazis pour les besoins de leur propagande, et restent fortement imprégnés d'idéologie d'extrême droite.

Pour couper court à la polémique, le ministre a donc préféré le retrait pur et simple du timbre, et sa réimpression sur de nouvelles planches exemptes cette fois de toute critique. Une mesure précipitée et coûteuse, déplore la presse philatélique d'outre-Rhin, et qui a déjà provoqué une forte spéculation, car, même si plus de deux millions de planches ont été vendues, personne n'a eu l'idée díen conserver les marges.

Et Heine, dans tout cela ? Le grand poète juif, qui fut aussi l'auteur de la Lorelei, le chantre des princesses du Rhin et le barde de la mer du Nord, souffrirait sans doute de se voir dénier, cette fois au nom du "politiquement correct", la filiation authentiquement germanique qu'il avait tenté, en vain d'illeurs, de légitimer par sa conversion. Ce rejet et l'antisémitisme des milieux littéraires allemands l'avaient conduit à l'exil. " [Pour eux], en fait, je ne suis pas allemand, comme tu le sais bien, écrivait-il en 1824. Je ne me vanterai d'ailleurs pas d'être allemand. Ce sont des barbares. Il n'existe que trois peuples cultivés et civilisés : les Français, les Chinois et les Persans : je suis fier d'être persan."

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