Racines : l'origine des noms juifs Chronique publiée dans L'Arche n°508, juin 2000

Des Drach à tour de bras

Que de possibilités pour un si petit patronyme ! Prenons le nom Drach (et ses dérivés Drachman, Drachtman ou Drachner, pour ne citer qu'eux). Celui-ci, d'origine allemande puisque Drache veut dire dragon dans la langue de Goethe, fut attribué à ceux, souvent établis en Pologne, dont la boutique avait comme enseigne la vilaine bête. Mais si l'on change d'origine, on change aussi d'explication. Ainsi, du côté de l'Ukraine, les Drach ou Dracz (ce dernier, plus spécifiquement polonais) doivent leur appellation au mot ukrainien signifiant moulin à bras. Dans ce cas, les ancêtres auraient été plutôt meuniers, voire marchands d'épices.

Il existe encore une autre possibilité, celle qui vient de la déformation du patronyme Grach made in Ukraine ou Biélorussie (qui a donné Grats, Grachuk, Agrachev et, bien entendu, Drach). Là, on change totalement de registre, puisque le nom renvoie à une forte tête, à un joueur ou (dans une version exclusivement ukrainienne) à un musicien.

Passons maintenant aux célébrités pour trouver deux personnalités totalement opposées. Le français Paul-Louis-Bernard Drach (1791-1865), né à Strasbourg, épousa la fille du grand rabbin de France, E. Deutz, avant d'occuper un haut poste communautaire. Mais, en 1823, le judaïsme français apprit avec stupeur sa conversion au christianisme. Ayant obtenu, suite à une longue procédure, la garde de ses trois enfants (qui finiront tous dans les ordres), il travailla de 1832 à 1842 à Rome dans la Congrégation pour la propagation de la foi et écrivit de nombreux ouvrages justifiant son apostasie, ainsi que des poèmes dédiés au pape et aux cardinaux.

C'est un tout autre chemin que devait suivre Bernard Drachman (1861-1945). Né à New York, il commença une carrière chez les libéraux qui l'envoyèrent parfaire ses connaissances dans leur séminaire de Breslau. Bernard Drachman, confronté à l'orthodoxie d'Europe de l'Est, décida de la rejoindre, devenant ainsi le premier rabbin orthodoxe américain dont la langue maternelle était l'anglais. Rabbin de plusieurs synagogues de New York, président pendant plus d'une décennie de l'Union of Orthodox Jewish Congregations, il fut aussi celui qui traduisit en anglais Les dix-neuf lettres de Ben Ouziel, ouvrage rédigé par le célèbre rabbin allemand Samson-Raphaël Hirsch. o CATHERINE GARSON