Extrait de l’article publié dans
L’Arche de juillet 1998 / N°486
Israël, super-puissance de l’Internet
par Ouri Nissan.

La nouvelle a éclaté comme une bombe dans le milieu branché de l’Internet. America On Line (AOL), l’entreprise qui domine le marché mondial des services d’accès au réseau, a racheté une petite entreprise d’informatique nommée Mirabilis. « Il s’agit là, déclare le patron d’AOL, Steven Case, de l’une des plus importantes décisions que nous ayons prises au plan stratégique. » Le coût de l’opération, pour AOL, est de 407 millions de dollars (2,4 milliards de francs) dont la majeure partie, soit 287 millions de dollars, seront payés immédiatement – le solde, 120 millions de dollars, devant être versé sur trois ans en fonction des résultats de la société. Les propriétaires de Mirabilis sont donc devenus, en peu de temps, des hommes riches.
Les propriétaires en question sont une bande de jeunes Israéliens aux cheveux longs. Car Mirabilis est une entreprise israélienne, dont le siège tient dans quelques pièces obscures au sein d’un bâtiment de la zone industrielle de Hadar Yossef, près de Tel-Aviv. Mirabilis a été créée en juillet 1996 par Sefi Vigiser (25 ans), Yaïr Goldfinger (26 ans), Arik Vardi (27 ans) et Amnon Amir (24 ans). Le ministre des finances, Yaakov Neeman, a aussitôt salué cette opération comme un exemple de la voie que doit suivre l’économie israélienne. Mais il importe de développer la formation des techniciens et des ingénieurs.
Cette effervescence qui semble gagner les politiques israéliens dès qu’il s’agit de haute technologie s’explique, par l’importance des montants en jeu. N’est-ce pas, à terme, la clé d’une indépendance économique longtemps recherchée ? Une opération comme AOL-Mirabilis représente, à elle seule, près de la moitié de l’aide économique annuelle accordée à Israël par le gouvernement des Etats-Unis ; même s’il s’agit ici de fonds publics et là d’affaires privées, on peut rêver d’une situation où les entreprises israéliennes généreraient suffisamment de rentrées de devises pour équilibrer la balance des paiements.
L’histoire de Mirabilis, cependant, mérite d’être racontée un peu plus en détail, parce qu’elle montre que la capacité d’innovation ne se trouve pas nécessairement là où on va la chercher. L’idée sur laquelle nos jeunes inventeurs ont fait fortune est simple, mais il fallait y penser. Résumons-la en quelques mots. Internet est un réseau qui relie des possesseurs d’ordinateurs partout dans le monde. Oui mais, dirent nos jeunes Israéliens, si j’écris à un ami aux Etats-Unis, il n’aura connaissance de mon message que lorsqu’il ouvrira son e-mail , et s’il me répond je ne le saurai que lorsque j’aurai ouvert ma propre « boîte aux lettres ».
Là intervient l’idée géniale. Elle se nomme ICQ, trois lettres qui se prononcent en anglais « I seek you » c’est-à-dire, dans une syntaxe approximative : « Je te cherche ». Ce petit logiciel vous informe, en temps réel, qu’une des personnes avec qui vous voulez communiquer se trouve sur le réseau ; il vous permet également de dialoguer en direct avec cette personne, de clavier à clavier. Il suffit pour cela que chacun ait installé ICQ sur son ordinateur, et se soit inscrit auprès de la société Mirabilis qui joue le rôle de standard international. Le prix ? Là est l’autre idée géniale. C’est gratuit. La connexion, naturellement, est payée à l’entreprise de télécom.
Où sont les bénéfices, alors ? Une possibilité est la vente d’espace publicitaire – c’est celle, dit-on, qui a attiré AOL dans l’affaire. Mirabilis dispose d’une phénoménale « banque de données », contenant le nom et l’adresse électronique de chaque utilisateur d’ICQ ainsi qu’un certain nombre d’autres informations que celui-ci a livrées lors de son inscription. Or un utilisateur de ICQ dialogue avec ses amis, en moyenne, 221 minutes par jour, soit près de trois heures (contre sept minutes de présence, en moyenne, sur un site normal d’Internet).
Mais la publicité n’est pas la seule manière de rentabiliser ICQ. Le nombre des adhérents s’est multiplié depuis l’introduction de ce logiciel sur Internet, en novembre 1996 : ils sont actuellement plus de 11 millions, dont 6 millions sont des utilisateurs réguliers. Attirer une partie des ICQistes vers un fournisseur de services, leur proposer un branchement sur tel ou tel réseau, cela aussi vaut beaucoup d’argent. AOL sait dans quoi il a investi.
Voilà comment Arik, Yaïr et Sefi ont fait fortune en moins de deux ans.
Au même moment, une autre entreprise israélienne spécialisée dans Internet arrive au premier plan de l’actualité. Elle se nomme Zapa, et elle produit des logiciels d’animation en trois dimensions. Il concerne tous les développeurs qui, au cours des années à venir, voudront créer sur Internet des animations réellement performantes(...)
L’on vient d’annoncer un accord entre Zapa et le géant Microsoft, aux termes duquel les logiciels de Zapa seront vendus avec le matériel d’animation de Microsoft. cet accord devrait aller au-delà de cette vente de logiciels(...)
On n’en finirait pas d’énumérer les percées israéliennes dans ce domaine qui, de l’avis de tous les experts, sera la technologie dominante de la décennie à venir. Début juin, au salon mondial d’Internet à New York, on dénombrait 37 exposants israéliens. L’Etat juif apparaît ainsi, selon les termes de l’agence américaine Associated Press, comme « une super-puissance d’Internet à l’échelle mondiale ».
C’est un nouvel Israël qui se constitue ainsi sous nos yeux. Un pays où les valeurs qui étaient à la base de l’épopée sioniste – le travail de la terre, l’autarcie, le collectivisme – ont fait place à une course vers la modernité, la mondialisation et l’individualisme. Il y a cinquante ans, les oranges de Jaffa était le principal produit d’exportation du jeune Etat. Aujourd’hui, les seules ventes de services informatiques pèsent deux fois plus lourd que la totalité des ventes d’agrumes.
Israël, super-puissance de l’Internet ? Oui, si l’on en croit les chiffres. Mais il faut se rappeler que cette puissance est fragile car elle suppose une perpétuelle course en avant. Il a suffi de six mois à Mirabilis pour imposer son produit sur le réseau Internet et conquérir 80 % du marché mondial.
Les experts estiment actuellement à 30 000 le nombre des personnes employées en Israël dans le secteur de la haute technologie. Selon un rapport qui vient d’être publié par le Conseil de l’éducation supérieure, il serait possible de doubler ce chiffre en l’espace de cinq ans(...) C’est aussi une affaire de financement : un laboratoire d’informatique coûte cher, et Israël n’est encore une « super-puissance » qu’au sens figuré du terme. P



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