Extrait d’un article paru dans
L’Arche n° 484/mai 1998

Les Juifs dans les « comic books »
Superman, Batman, Spiderman, Wonder Woman : ces noms appartiennent à un genre, le « comic book », dans lequel les personnages juifs ont aujourd’hui une large place Par Lise Benkemoun

Dans les années 30 aux Etats-Unis, les « Pulp » (petits livres policiers imprimés sur du papier de mauvaise qualité) et les comic strips (vignettes de bande dessinée paraissant dans les quotidiens) faisaient un tabac. Ils sont les ancêtres des comic books, ces bandes dessinées colorées que les adolescents du monde entier s’arrachent depuis plus d’un demi-siècle.
L’un des personnages les plus célèbres du genre est sans aucun doute Superman, créé par Joe Shuster et Jerry Siegel, qui fête ce mois-ci ses soixante printemps. Ce héros de l’Amérique paraît pour la première fois en 1938 dans le n° 1 de la revue Action Comics, et il connaît un succès immédiat. Il est beau, sympathique et, tel un fabuleux boy-scout, il défend la veuve et l’orphelin grâce à ses super-pouvoirs.
Envoyé sur terre avant l’explosion de sa planète (Krypton), c’est un enfant adopté qui a vécu ses premières années à Smallville, un petit trou de l’Amérique profonde. Tels sont les seuls détails personnels concernant le personnage. Pas question en effet de le relier à un quelconque groupe ethnique. Ses deux auteurs sont juifs, mais Superman n’a ni religion ni opinions politiques ; il est universel, pour ne pas dire aseptisé.
Bientôt, la seconde guerre mondiale va changer cette façon de voir les choses. L’industrie des comic books, comme le cinéma, doit servir de propagande pour les Alliés. On retrouve « Superman en couverture tenant Hitler d’une main et Hiro-Hito de l’autre », raconte Daniel Rous, fan et spécialiste de Superman, qui travaille à la librairie Album. Le comic devant également soutenir le moral des troupes, les personnages sont tous exagérément américains et forcément victorieux. Alors apparaît Captain America, le patriote parfait, dont le costume est volontairement une adaptation grossière du drapeau américain.
De fait, les héros des comics, bien que totalement fictifs, sont toujours ancrés (d’une manière plus ou moins visible) dans l’actualité que vivent leurs pères, scénaristes et dessinateurs de la série. « Quand Superman traverse les époques, on sent les changements dans tout le comic, dans le graphisme, dans l’histoire et même dans les publicités qui y figurent », rappelle Daniel Rous. C’est vrai pour tous les personnages, quelle que soit leur maison d’édition (les deux principales sont Marvel et DC). Les comics se sont adaptés aux mentalités du vingtième siècle – et quelquefois ils ont su les anticiper.
Il faut néanmoins attendre les années 70 pour qu’apparaissent véritablement dans les comics des personnages explicitement juifs. Dans deux épisodes de Wonder Woman (n° 234-235), qui datent de l’été 1977, l’amazone recueille deux orphelins, Horst et Frieda, dont le père, juif, fut tué sous leurs yeux par un capitaine nazi, alors que leur mère était déjà morte dans un camp de concentration. Ne pouvant s’occuper elle-même des deux enfants, la super-héroïne tente alors de les mettre dans un orphelinat. Mrs Sandurst, la directrice, les refuse, prétextant qu’ils ne parlent pas bien l’anglais, que son orphelinat est catholique, et qu’« ils seraient plus heureux dans un orphelinat juif, parmi les leurs »… Les dialogues qui suivent tentent évidemment de rappeler à la directrice comme au lecteur que l’Amérique se doit d’être plus accueillante.
Chez l’éditeur DC, les années 70 avaient également vu la création de deux équipes de super-héros touchant au judaïsme. Dans la série Les envahisseurs, l’équipe dirigée par Captain America luttait contre les nazis, et notamment contre Crâne rouge et le baron Zemo, les super vilains du Reich. La seconde équipe, qui porte le nom des Hayoth, est une équipe israélienne apparue dans la série Le spectre, publiée par DC. Les personnages (Dybbuk, Golem, Judith, et Ramban le magicien) sont juifs, et il est souvent fait référence à la tradition juive, notamment à la Kabbale. A noter : les auteurs de la série, Ostrander et Yale, ne sont pas juifs ; le premier a simplement grandi à Chicago, et il affirme « que le judaïsme a toujours fait partie de [sa] vision du monde ». Malheureusement, ces épisodes n’ont jamais été publiés en France (seuls quelques-uns sont disponibles en anglais, dans les librairies spécialisées).
Toujours chez DC, un autre personnage possède une ascendance juive particulièrement intéressante : il s’agit de Ragman, alias Rory Regan, apparu dans les années 70. Ses origines n’ont cependant été précisées qu’à partir de 1991 dans une mini-série : un scénario où il rêve de lui-même dans le ghetto de Varsovie, rencontre le Golem, puis discute avec un rabbin qui lui apprend que son père, Jerry Reganiewicz, luttait effectivement contre les nazis à l’intérieur du ghetto… •


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