Les Juifs dans les « comic books »
Superman, Batman, Spiderman, Wonder Woman : ces noms appartiennent à
un genre, le « comic book », dans lequel les personnages juifs
ont aujourdhui une large place Par Lise Benkemoun
Dans les années 30 aux Etats-Unis, les « Pulp » (petits
livres policiers imprimés sur du papier de mauvaise qualité)
et les comic strips (vignettes de bande dessinée paraissant dans
les quotidiens) faisaient un tabac. Ils sont les ancêtres des comic
books, ces bandes dessinées colorées que les adolescents du
monde entier sarrachent depuis plus dun demi-siècle.
Lun des personnages les plus célèbres du genre est sans
aucun doute Superman, créé par Joe Shuster et Jerry Siegel,
qui fête ce mois-ci ses soixante printemps. Ce héros de lAmérique
paraît pour la première fois en 1938 dans le n° 1 de la
revue Action Comics, et il connaît un succès immédiat.
Il est beau, sympathique et, tel un fabuleux boy-scout, il défend
la veuve et lorphelin grâce à ses super-pouvoirs.
Envoyé sur terre avant lexplosion de sa planète (Krypton),
cest un enfant adopté qui a vécu ses premières
années à Smallville, un petit trou de lAmérique
profonde. Tels sont les seuls détails personnels concernant le personnage.
Pas question en effet de le relier à un quelconque groupe ethnique.
Ses deux auteurs sont juifs, mais Superman na ni religion ni opinions
politiques ; il est universel, pour ne pas dire aseptisé.
Bientôt, la seconde guerre mondiale va changer cette façon
de voir les choses. Lindustrie des comic books, comme le cinéma,
doit servir de propagande pour les Alliés. On retrouve « Superman
en couverture tenant Hitler dune main et Hiro-Hito de lautre
», raconte Daniel Rous, fan et spécialiste de Superman, qui
travaille à la librairie Album. Le comic devant également
soutenir le moral des troupes, les personnages sont tous exagérément
américains et forcément victorieux. Alors apparaît Captain
America, le patriote parfait, dont le costume est volontairement une adaptation
grossière du drapeau américain.
De fait, les héros des comics, bien que totalement fictifs, sont
toujours ancrés (dune manière plus ou moins visible)
dans lactualité que vivent leurs pères, scénaristes
et dessinateurs de la série. « Quand Superman traverse les
époques, on sent les changements dans tout le comic, dans le graphisme,
dans lhistoire et même dans les publicités qui y figurent
», rappelle Daniel Rous. Cest vrai pour tous les personnages,
quelle que soit leur maison dédition (les deux principales
sont Marvel et DC). Les comics se sont adaptés aux mentalités
du vingtième siècle et quelquefois ils ont su les anticiper.
Il faut néanmoins attendre les années 70 pour quapparaissent
véritablement dans les comics des personnages explicitement juifs.
Dans deux épisodes de Wonder Woman (n° 234-235), qui datent de
lété 1977, lamazone recueille deux orphelins,
Horst et Frieda, dont le père, juif, fut tué sous leurs yeux
par un capitaine nazi, alors que leur mère était déjà
morte dans un camp de concentration. Ne pouvant soccuper elle-même
des deux enfants, la super-héroïne tente alors de les mettre
dans un orphelinat. Mrs Sandurst, la directrice, les refuse, prétextant
quils ne parlent pas bien langlais, que son orphelinat est catholique,
et qu« ils seraient plus heureux dans un orphelinat juif, parmi
les leurs »
Les dialogues qui suivent tentent évidemment
de rappeler à la directrice comme au lecteur que lAmérique
se doit dêtre plus accueillante.
Chez léditeur DC, les années 70 avaient également
vu la création de deux équipes de super-héros touchant
au judaïsme. Dans la série Les envahisseurs, léquipe
dirigée par Captain America luttait contre les nazis, et notamment
contre Crâne rouge et le baron Zemo, les super vilains du Reich. La
seconde équipe, qui porte le nom des Hayoth, est une équipe
israélienne apparue dans la série Le spectre, publiée
par DC. Les personnages (Dybbuk, Golem, Judith, et Ramban le magicien) sont
juifs, et il est souvent fait référence à la tradition
juive, notamment à la Kabbale. A noter : les auteurs de la série,
Ostrander et Yale, ne sont pas juifs ; le premier a simplement grandi à
Chicago, et il affirme « que le judaïsme a toujours fait partie
de [sa] vision du monde ». Malheureusement, ces épisodes nont
jamais été publiés en France (seuls quelques-uns sont
disponibles en anglais, dans les librairies spécialisées).
Toujours chez DC, un autre personnage possède une ascendance juive
particulièrement intéressante : il sagit de Ragman,
alias Rory Regan, apparu dans les années 70. Ses origines nont
cependant été précisées quà partir
de 1991 dans une mini-série : un scénario où il rêve
de lui-même dans le ghetto de Varsovie, rencontre le Golem, puis discute
avec un rabbin qui lui apprend que son père, Jerry Reganiewicz, luttait
effectivement contre les nazis à lintérieur du ghetto