timbre Le timbre du mois
(L'Arche, avril 1997)

Une mosaïque singulière

C'est bien la réalité, mais sous un éclairage si singulier que notre esprit mettra du temps à l'accepter: depuis que les accords de paix entre Israël et la Jordanie ont rendu aisément franchissable la frontière entre les deux pays, la face cachée de la Terre sainte se découvre enfin à nous qui n'en connaissions jusqu'ici que la partie israélienne. Première surprise: du Nord au Sud, on retrouve les mêmes paysages de part et d'autre du Jourdain, les mêmes figues de barbarie, les mêmes réservoirs sur les toits, les mêmes sanctuaires antiques, le même désert ocre-rose. Mais bientôt, la sensation d'être en pays de connaissance cède la place à un vague sentiment d'étrangeté. Que se passe-t-il?

C'est que d'ici, tout se présente sous un angle insolite : le Golan est vu de profil, le lac de Tibériade s'aperçoit en contrebas, Jérusalem scintille plein Ouest, et le soleil se couche, improbable, sur Eilat. Une des étapes obligées des cars de tourisme est Madaba, près du mont Nébo, où l'église Saint-Georges conserve, dit le Guide Bleu, une exceptionnelle mosaïque de l'époque byzantine, la plus ancienne représentation connue de la Palestine biblique. Cette mosaïque du VIe siècle recouvre le sol de l'église et détaille toute la région, de l'Egypte à la côte phénicienne. En son centre, imposante et démesurée, trône la ville de Jérusalem, à l'abri de sa muraille.

Les philatélistes connaissent bien cette mosaïque, puisqu'Israël l'avait déjà reproduite sur un bloc-feuillet en 1978, mais aujourd'hui c'est d'Argentine qu'elle nous revient, avec ce double timbre émis le 18 mai 1996, où sont représentés, entre autres églises et monastères, l'Hôpital, le Palais des Patriarches, le Forum et la Basilique de Constantin avec la rotonde dorée du Saint-Sépulcre, le principal monument de l'époque. A noter également le logo «Jérusalem 3000», et la frise dorée, symboliquement composée d'étoiles, de croix et de croissants.

Lorsqu'on quitte l'église de Madaba, après avoir contemplé cette Jérusalem byzantine, si exclusivement chrétienne et d'où toute vie juive était depuis longtemps bannie, on se retrouve en ville, aux prises cette fois, avec les photos du Dôme du Rocher que dans sa ferveur la population jordanienne accroche partout. Après la lecture chrétienne de la Terre Sainte, sa lecture musulmane. Je vous le disais: c'est bien la réalité, mais sous un éclairage si singulier que notre esprit mettra du temps à l'accepter. ·