Extrait du dossier

« Des Chrétiens à l'écoute d'Israël »

paru dans l'Arche d'avril 1997

Tout au long de l'histoire, la fête de Pâques, commémorant la Passion du Christ, a été l'occasion des pires déchaînements de l'antijudaïsme chrétien. Aujourd'hui, cependant, des chrétiens redécouvrent les origines juives du christianisme et apprennent à relier les Pâques chrétiennes à la Pâque juive.

Le Jésus juif de Marie Vidal par Jacquot Grunewald

De son livre intitulé Un Juif nommé Jésus, Marie Vidal écrit que « les Juifs pourront [y] trouver des suggestions pour ébranler l'aplomb implacable de leurs amis chrétiens qui prient pour leur "illumination" ». Disons-le d'emblée : nombre de Juifs y trouveront une leçon de judaïsme dont ils ne soupçonnent sans doute ni la beauté ni la richesse. Les connaissances de l'auteur sont étonnantes et, la plupart du temps, elle cite l'enseignement de la Torah orale à bon escient. On a l'impression, surtout, qu'au-delà des formules et des définitions elle a compris le judaïsme. Il reste, Marie Vidal le dit explicitement, qu'elle destine son ouvrage de plus de 300 pages aux chrétiens auxquels elle reproche leur « amnésie sur leur origine ». Pourquoi, interroge-t-elle, « ont-ils négligé leur mémoire? Pourquoi certains d'entre eux ont-ils décidé que Jésus avait rejeté son peuple? Sous peine de refuser l'humanité du Christ, affirme-t-elle, le chrétien ne peut se comporter comme si (…) la foi chrétienne jaillie du tombeau ouvert du matin de Pâques [constituait] un commencement absolu. »

On peut apprécier plusieurs de ses analyses. Par exemple, ses propos sur la fameuse déclaration de Jésus selon quoi « pas un yod ou une seule couronne de la lettre de la Torah ne s'écoulera ». Pourquoi le yod, qu'a-t-il de particulier? Que viennent faire ici des couronnes? Les réponses méritent d'être retenues. On peut voir aussi dans les Béatitudes, dès lors qu'on les rattache aux « nterpellations » du 23e chapitre de Mathieu, un équivalent des «bénédictions-malédictions» du Deutéronome. Et Marie Vidal est parfaitement autorisée à reconnaître dans l'un des thèmes répétitifs de Jésus (« Vous avez appris telle chose écrite et je vous dis… ») une méthode propre aux rabbins du Talmud. Il y a ainsi une foule de réminiscences qu'elle a l'intelligence de citer, qui « font mémoire ». Mais qui trop embrasse...

Bâtir une théorie sur la concordance d'un hapax hébraïque avec un hapax de la traduction grecque des Evangiles est pour le moins risqué! Il l'est d'autant plus quand le mot en hébreu réapparaît sous une forme légèrement différente (« sueur »: yeza en Ezéchiel, 44, 18) et qu'en conséquence il cesse… d'être un hapax. Sacrifier la réalité concrète - l'emploi d'une lourde pierre qu'on roulait pour fermer l'ouverture d'une tombe - aux midrachim sur les pierres qui se sont soudées sous la tête du patriarche Jacob, va plus loin que les exercices les plus audacieux des darchanim les plus aventureux. Et il est pour le moins hasardeux d'introduire un «certainement » qui fait dire au texte le contraire de ce qu'il rapporte. Rien n'indique que Jésus ait procédé aux ablutions des mains après avoir justifié un comportement contraire. D'autant que cette instruction d'ordre rabbinique n'a pas été acceptée par tous les maîtres de l'époque.

Jésus-Yehochoua était en conflit avec ce qu'on appellerait aujourd'hui l'establishment rabbinique, et pas seulement avec le courant sadducéen. Et il ne rime à rien de le cacher. Quelle fut l'ampleur de ce conflit est sans doute difficile à déterminer. Ce que nous imaginons de Jésus se confond avec les alluvions qui ont façonné le christianisme et qui ont déformé l'image de son fondateur. Y compris dans la mémoire juive. Mais les maîtres du Talmud étaient eux-mêmes si dissemblables les uns par rapport aux autres qu'il n'est pas raisonnable de chercher à composer un modèle type du pharisien et encore moins de vouloir le faire coïncider avec Jésus-Yehochoua, sur lequel manquent trop d'éléments constitutifs.

Cela dit, l'image de Jésus que dessine Marie Vidal nous semble infiniment plus fidèle que les caricatures antijuives véhiculées depuis l'antiquité par l'imaginaire chrétien. Et le lecteur chrétien devra procéder bien souvent à une révision déchirante de ses a priori. ·