L'Arche
- n° 527-528 janvier-février 2002 Société |
Les Juifs dans les timbres
Maestro Alberto Lysy Si un jour, faisant du tourisme à Buenos Aires, vous décidez dexpédier vos cartes postales rituelles, attendez-vous à avoir lembarras du choix: plus de trois cents messageries privées sy partagent en effet le marché du courrier, une situation unique au monde qui ravira dautant plus le philatéliste que certains de ces transporteurs utilisent désormais, au lieu de banales vignettes commerciales, de véritables timbres, non dentelés peut-être, mais dûment catalogués. Cest ainsi que le 11 septembre 2000 lune des plus importantes de ces entreprises, la société Correo Andreani, présentait son nouveau timbre, un portrait très convaincant du célèbre violoniste Alberto Lysy. «Les grands artistes méritent la reconnaissance de leurs contemporains, expliqua Oscar Andreani, le patron du groupe, or le courrier, qui atteint les coins les plus reculés du pays, et touche toutes les classes sociales, constitue un excellent moyen de rendre hommage à ceux qui se sont fait les ambassadeurs de notre culture.» Le maestro Lysy répondit à cet éloge par un petit concert, puis les deux cents invités passèrent à table dans le cadre merveilleux du Palacio Errázuriz. «Quel effet cela vous fait-il de vous voir sur un timbre?» Cette question est rarement posée dans nos contrées où, malgré les sollicitations du star-system, on évite de représenter les célébrités de leur vivant. Alberto Lysy, lui, nest pas impressionné: «Bien sûr, on va vendre un million dexemplaires de mon portrait, mais vous savez, je suis avant tout un artiste». Resté simple comme tous les grands hommes, il est dans lannuaire et nous répond de bonne grâce sur son téléphone portable. Dorigine slave et juive ses parents sont arrivés dUkraine en 1925 , il a dabord étudié le violon avec son père, musicien amateur; puis, après avoir raflé tous les premiers prix nationaux, il a connu à lâge de vingt ans ce quil appelle «le plus beau jour de [sa] vie»: un premier prix au concours international Reine Elizabeth, remporté en 1955 à Bruxelles, et une rencontre décisive avec Yehudi Menuhin qui devint son professeur, son mentor et son maître à penser. Près de cinquante ans plus tard, Alberto Lysy, toujours membre de la fondation Kinor à la Grande Synagogue de Buenos Aires, peut senorgueillir dune brillante carrière. Il a joué avec les plus grands ensembles symphoniques, fondé des orchestres de renommée mondiale, et sest imposé comme un pédagogue exceptionnel à la tête de lInternational Menuhin Academy, en Suisse, où il forme des jeunes virtuoses de toutes nationalités. Lâme juive et slave serait-elle un gage dexcellence au violon? Lysy en doute. «On trouve de grands violonistes dans toutes les cultures», affirme-t-il. Dailleurs, rappelez-vous, au restaurant : le violoniste vient dattaquer A yiddishé mamè quand soudain, à une table, un homme fond en larmes. Ému, son voisin lui demande: «Vous êtes juif, sans doute?». «Non, répond lhomme, je suis musicien!» Claude WainstainDroits de reproduction et de diffusion réservés © l'arche 2002 |