Article paru dans L'Arche n°521-522, juillet-août 2001

Élisabeth Schemla:
"Les Israéliens ont le sentiment d'avoir été trompés par Arafat"


Élisabeth Schemla vient de publier aux Éditions Flammarion Ton rêve est mon cauchemar, un livre qui relate et analyse les relations israélo-palestiniennes depuis l'échec du sommet de Camp David. Elle répond aux questions de Paule-Henriette Lévy.

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L'Arche: Pourquoi Yasser Arafat a-t-il dit non à la paix que lui proposait Ehoud Barak?
Élisabeth Schemla: Pour conduire les négociations de Camp David, Yasser Arafat avait une faible marge de manœuvre. Il était conscient de la forte opposition au sein de son propre parti, le Fatah. Il ne perdait pas de vue, également, l'opposition des islamistes, en particulier du Hamas qui représente environ 30% de la population. Ces islamistes lui ont fait savoir que s'il signait un statut définitif à Camp David, s'il montrait quelque faiblesse que ce soit sur les deux sujets fondamentaux que sont Jérusalem et le droit au retour des réfugiés, il serait ensuite la victime d'une sorte de guerre civile à l'intérieur même des territoires. Autre raison sans doute: le soutien apporté à Yasser Arafat par Abdallah d'Arabie saoudite. La stratégie était là tout autre, puisqu'elle consistait à faire barrage aux Américains dont le prince héritier souhaite affranchir son pays. Deux phrases prononcées par Arafat résument assez bien l'ensemble de la situation. À Bill Clinton, qui lui demande de faire des concessions alors que les Israéliens en font, il dit textuellement, et cela m'a été confirmé des deux côtés: "Voulez-vous ma mort, Monsieur le Président?"
Le deuxième temps fort intervient lorsqu'il est question des négociations sur Jérusalem. Arafat explique: "Je ne peux pas discuter de quoi que ce soit sur Jérusalem sans en rendre compte d'abord à mon peuple, puis à l'ensemble du monde arabe, puis du monde musulman". Il cite alors un éventail de pays musulmans concernés par Jérusalem. Il ne négocie donc pas sur Jérusalem au nom de son peuple; il négocie, ou plus exactement refuse de négocier, Jérusalem au nom du monde musulman, ce qui n'est plus tout à fait la même chose. Yasser Arafat, dès lors, fait de Jérusalem un problème religieux.

Arafat ne s'est-il pas discrédité aux yeux des Israéliens?
Sans aucun doute. D'où le désarroi très profond de la gauche israélienne. Les Israéliens accusent notamment le chef de l'Autorité palestinienne de n'être pas assez dur avec les islamistes. Mais, à partir du moment où il a refusé toutes les propositions, tout le monde a eu le sentiment, non seulement qu'il n'était pas le bon partenaire, mais d'avoir été trompé par celui qu'on avait pris pour un partenaire.

Quelle est l'influence du Hamas et du Hezbollah sur la jeunesse des territoires?
Elle est considérable. Dans beaucoup de villages de Cisjordanie, le Hamas est devenu extrêmement puissant. Le Hamas donne une mission qui est celle de la reconquête religieuse. Il apparaît également comme "pur", notamment à l'égard de la corruption qui empoisonne tant la vie des Palestiniens dans les territoires. Le Hamas a toutefois des difficultés. Même si la plupart de ses "artificiers" ont été relâchés par l'Autorité palestinienne, c'est Arafat et le Fatah qui détiennent les armes et l'argent, et Arafat n'est prêt à concéder celui-ci ni celles-là car l'argent et les armes se retourneraient contre lui.

La société palestinienne peut-elle se gérer aujourd'hui sur le mode démocratique?
Absolument pas. Le concept de démocratie est totalement vide pour les Palestiniens et surtout pour la jeunesse palestinienne. Les jeunes Palestiniens, dont une grande partie vivent dans une vraie misère, avec une explosion démographique phénoménale, n'ont aucune perspective devant eux. C'est pour cela qu'ils se sont engouffrés dans ce conflit armé avec une telle ardeur. Certains ont des parents qui leur donnent un certain nombre de valeurs, et qui surtout font de l'éducation l'un des fondements de l'accession sociale. Pour les autres, il n'y a aucune autre perspective que de se mobiliser et de se battre pour obtenir l'indépendance et un État. C'est, pour l'instant, le seul avenir que l'Autorité palestinienne ait pu apporter à sa jeunesse.

Peut-on dire que Jérusalem est l'enjeu d'une guerre de religion, où tous les coups sont permis?
Sur le Mont du Temple, l'archéologie permet de combler les manques de deux mille ans d'exil. Chaque fois qu'on procède à des fouilles, les Juifs peuvent montrer les traces de leur présence. C'est la preuve que cette terre est bien depuis des temps immémoriaux celle du peuple juif. Du côté palestinien, plus les preuves s'accumulent, moins la revendication palestinienne sur l'histoire se fait sentir. La tentative des Palestiniens est d'éradiquer, de détruire toutes les preuves de l'existence juive millénaire et d'installer à la place des lieux de prières pour l'avenir musulman. Sur le Mont du Temple, ils ont progressivement détruit les vestiges des "Écuries de Salomon" pour y construire une mosquée souterraine qu'ils relient à Al-Aksa, ce qui permet de réunir 20 à 25 000 fidèles musulmans pour prier juste au dessus du mur occidental. Les islamistes qui ont pris en charge ce mouvement à l'intérieur d'Israël ont décidé de répertorier tous les lieux de prière - c'est-à-dire les mosquée et les cimetières qui ont été détruits en 1948 et dans l'après-48 - pour réclamer aux autorités israéliennes de les reconstruire, de les réhabiliter et de les remettre en activité. L'archéologie est aujourd'hui un instrument politique.

 

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