Article paru dans L'Arche n°521-522, juillet-août 2001

"La reconnaissance mutuelle est la force motrice du processus de paix"
Un entretien avec Yehouda Lancry, ambassadeur d'Israël aux Nations unies

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L'Arche: Après neuf mois d'Intifada, quel regard portez-vous sur les chances de la paix?
Yehouda Lancry: Le dialogue est toujours là, en dépit de la gravité de la situation. Le premier ministre Ariel Sharon et le ministre des affaires étrangères, Shimon Pérès, demeurent en contact direct ou indirect avec le leadership palestinien. Même si on décrète, ici ou là, la mort des accords d'Oslo, leur logique reste valable. Cela tient à la reconnaissance mutuelle, qui est la force motrice du processus de paix parce qu'elle l'enracine dans une dimension d'irréversibilité. Cependant, ce passage de la négation à la reconnaissance ne se fait pas sans contradictions douloureuses ni dérapages violents, comme c'est le cas aujourd'hui.

Depuis novembre 1999, vous représentez Israël à l'ONU. N'est-ce pas une mission impossible?
Il faut redécouvrir les relations entre Israël et l'ONU. Ce sont les Nations unies qui, par la résolution 181, ont donné naissance au statut légitime de l'État d'Israël. Mais, depuis son indépendance, Israël est terriblement isolé. L'an passé, un processus de normalisation du statut de l'État d'Israël a toutefois été engagé à l'ONU. En mai dernier, Israël a rejoint le groupe occidental des Nations unies, encouragé notamment par la France. Puis vint le retrait du Sud-Liban, en accord avec la résolution 425 du Conseil de sécurité, qui eut une résonance très positive au sein des instances onusiennes. Enfin, l'offre de "paix globale" du gouvernement Barak a très bien été accueillie par la communauté internationale. On a même vu Fidel Castro féliciter Ehoud Barak… Mais, avec la crise actuelle, les pays arabes et ceux que l'on nomme "non-alignés" risquent de provoquer un regain de solitude d'Israël.

Après Ehoud Barak, qu'est-ce qu'Ariel Sharon peut selon vous apporter à la paix?
Le choix d'Ariel Sharon reflète une large volonté de la société israélienne. Quelles en sont les motivations? Tout d'abord, l'état d'insécurité fatal à de nombreux premiers ministres (ce fut le cas de Shimon Pérès au profit de Benjamin Netanyahou). En de telles circonstances, un appel à la droite intervient presque automatiquement. Ensuite, la désillusion des Israéliens à l'égard de la paix. Ils ont réalisé que Yasser Arafat opposait aux propositions de Barak un refus à la fois idéologique, identitaire et démographique - notamment en exigeant le retour de quatre millions de réfugiés palestiniens. L'attente des Israéliens à l'égard d'Ariel Sharon consiste donc pour l'instant à restaurer la sécurité.

Selon de nombreux observateurs, Yasser Arafat est totalement dépassé par les événements. Demeure-t-il un interlocuteur valable pour les Israéliens?
Yasser Arafat tire sa légitimité du choix palestinien. Il a eu le mérite, si je puis dire, d'adhérer au principe de reconnaissance mutuelle. Il est pour l'instant difficilement remplaçable, même si une succession naturelle finira par intervenir. Néanmoins, au fil de cette tragique confrontation, Arafat est devenu source d'inspiration d'un terrorisme palestinien institutionnalisé. Cela risque d'entraîner son auto-disqualification comme partenaire du dialogue avec Israël. Sa reconversion accélérée au terrorisme, comme stratégie politique, est en totale contradiction avec les engagements signés et avec la logique de paix.

George W. Bush et Colin Powell ont d'abord esquissé un désengagement des États-Unis du Proche-Orient. Que doit attendre Israël de l'administration Bush?
Du côté américain, il n'a jamais été question d'isolationnisme. Toutefois, pendant la campagne, le candidat Bush et son entourage ont évoqué une "approche nouvelle" afin de marquer leur différence avec l'administration sortante. On constate aujourd'hui une attitude réservée - mais suffisamment engagée pour prendre le pouls de la situation. Poser la fin de la violence comme condition nécessaire à un retour aux négociations correspond à la position du premier ministre israélien. La paix israélo-palestinienne reste donc une priorité pour l'administration Bush.

PROPOS RECUEILLIS PAR KEREN LENTSCHNER

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