L’AFFAIRE FINKELSTEIN
Dossier publié dans L’Arche n°517, mars 2001

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De Faurisson à Finkelstein
par Meïr Waintrater

Un pamphlet, qui vient d’être publié en France,
ressuscite le mythe du «complot juif»

À la fin de l’année 1978 éclate en France ce qu’on a nommé «l’affaire Faurisson». Un universitaire lyonnais jusque-là inconnu fait scandale en affirmant que les chambres à gaz n’ont jamais existé. Faut-il en parler, donner de la publicité à ses propos? Libération, sous la plume de Serge July, déclare que même les racistes ont droit à la liberté d’expression. Le Monde publie un article de Robert Faurisson, «équilibré» par un article de Georges Wellers (1).

Ainsi admis au nombre des penseurs respectables, Faurisson recrute. Des militants venus de l’ultra-gauche (Pierre Guillaume, Serge Thion), et dont quelques-uns revendiquent des origines juives (Jean-Gabriel Cohn-Bendit, Gabor Rittersporn), se joignent à lui. Le discours niant la Shoah entre en force dans l’espace public. Rien d’antisémite là-dedans, puisque des Juifs y participent. D’ailleurs, un Juif illustre, l’universitaire américain Noam Chomsky, ne viendra-t-il pas bientôt à la rescousse de Robert Faurisson?

Il faudra des années pour faire admettre que sous ce prétendu «révisionnisme historique» se cache une passion antisémite de la pire espèce. Entre-temps, les Faurisson et les Thion – rejoints par Garaudy et d’autres sous-fifres – ont jeté le masque et s’affichent publiquement avec les néo-nazis de tout poil.

Des anciens alliés de Faurisson, comme Cohn-Bendit et Rittersporn, jurent aujourd’hui leurs grands dieux qu’on les a mal compris ou qu’ils ont mal compris, bref qu’ils n’ont rien à voir avec la secte négationniste. Noam Chomsky a donné plusieurs versions successives, aussi embrouillées l’une que l’autre, de ses relations avec Faurisson et Thion. Trop tard. Il restera, à jamais, une tache sur la personnalité de ceux qui se sont prêtés à de telles manœuvres.

Il semble que nous assistions en ce moment même au développement d’une nouvelle affaire de ce genre. Le livre de Norman Finkelstein L’industrie de l’Holocauste a suscité en France un débat dont les causes ne tiennent pas à ses qualités propres, qui sont nulles (2), mais à l’étrange passion que certains y mettent.

Nous ne reviendrons pas ici sur la critique du livre (3), qui ne mérite pas tant d’honneur. Ce qui, en revanche, mérite un examen attentif est l’accueil dont ce pamphlet bénéficie dans certains milieux. Et, là, l’analogie avec l’affaire Faurisson est flagrante.

Certes, Finkelstein ne nie pas la Shoah. Mais son discours s’emboîte parfaitement avec celui des négationnistes: il accuse les «élites juives» d’instrumentaliser la Shoah au service de leurs intérêts matériels. Les négationnistes ne s’y sont pas trompés. Tous leurs instruments de propagande, à commencer par leurs sites Internet, font activement la promotion du livre de Finkelstein. Car il leur fournit le chaînon logique manquant: l’explication du «grand mensonge d’Auschwitz» par la conspiration juive internationale. L’un des «penseurs» du négationnisme américain, Ernest Sommers, l’écrit clairement: «Finkelstein ouvre aux révisionnistes une porte pour la poursuite de leur entreprise». À ce stade, ce n’est plus de l’instrumentalisation, c’est de la complicité.

Certes, Finkelstein est juif et se dit d’extrême gauche. Mais Serge Thion et Pierre Guillaume venaient de l’ultra-gauche, et Noam Chomsky est juif. Qu’il se trouve un Finkelstein pour écrire des insanités, un Hazan et un Brauman pour l’éditer en France, cela ne change rien à la nature pernicieuse d’un discours qui repose sur la haine et est porteur de haine. Non pas seulement la haine d’Israël, comme certains le croient: la haine du peuple juif.

Un jour, qui n’est peut-être pas lointain, on fera la chronique de «l’affaire Finkelstein» à l’exemple de ce qui a été fait pour «l’affaire Faurisson». On relira des textes dont les auteurs s’efforceront d’expliquer qu’on les a mal compris ou qu’ils ont mal compris. Les Finkelsteiniens d’aujourd’hui, à l’image de certains Faurissonniens d’hier, multiplieront les excuses embarrassées. Mais, là aussi, il sera trop tard.

NOTES
1.Voir le récit de cette «affaire» dans Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France (Éditions du Seuil).
2. Lire ci-dessous: «Finkelstein vu par les Américains».
3. Voir plus loin : «Dangereux fantasmes sur la Shoah», paru dans L’Arche n°512, octobre 2000.

La presse française et Finkelstein
par Henri Pasternak

Comme l’a déclaré Pierre Vidal-Naquet, c’est le silence qui convient le mieux à ce genre d’écrit. Le Monde, cependant, lui a consacré deux pages, d’ailleurs très critiques; le quotidien du soir s’en justifie dans un éditorial (16 février) où, après avoir relevé chez Finkelstein «un état d’esprit funeste qui sera récupéré, n’en doutons pas, par des esprits encore plus funestes » et souligné qu’«une lecture attentive du livre de Finkelstein montre que la rhétorique ici à l’œuvre côtoie celle du négationnisme», il explique son choix de l’évoquer dans ses colonnes par la nécessité d’«une mise en garde contre les alibis trompeurs d’un nouvel antisémitisme». Libération, qui consacre lui aussi deux pages à ce pamphlet (15 février), est moins regardant: un compte rendu largement positif de l’ouvrage est accompagné d’une complaisante interview de l’auteur. Quant à L’Humanité (20 février), on y trouve le résumé suivant: «Selon l’auteur juif américain Norman Finkelstein, une industrie de la mémoire a été créée depuis 1967 pour "extorquer de l’argent à l’Europe" et justifier la politique "criminelle" d’Israël à l’égard des Palestiniens au nom de "l’unicité" du génocide juif.» Voilà qui s’appelle informer. Encore un effort, et les Protocoles des Sages de Sion seront en vente à la fête de L’Huma.

Finkelstein vu par les Américains
par Henri Pasternak

Contrairement à ce qui a été affirmé (Libération du 15 février), le livre de Norman Finkelstein L’industrie de l’Holocauste ne nourrit pas aux États-Unis «une vive polémique». Après avoir reçu des critiques dévastatrices dans le New York Times («à la limite de la paranoïa», 6 août 2000) et dans le Washington Post («un discours délirant et sectaire», 24 septembre 2000), le livre a simplement sombré dans l’oubli; ses rares adeptes se recrutent dans les milieux de l’ultra-gauche et chez les néo-nazis.

La description hallucinée que donne Finkelstein de la réalité politique américaine n’a suscité de «polémique» que dans les pays européens, où l’on ignore assez cette même réalité pour gober n’importe quoi (mais où l’on a, apparemment, d’autres comptes à régler). Voici donc, pour l’information des lecteurs français, en quels termes deux auteurs qui, sur la question qui fait l’objet du livre de Finkelstein, se sont signalés par leurs critiques virulentes envers l’establishment juif américain, jugent L’industrie de l’Holocauste… et son auteur.

Il apparaît ainsi que Finkelstein est totalement déconsidéré aux États-Unis. Si ses partisans en France veulent à toute force citer, de source américaine, des critiques louangeuses de L’industrie de l’Holocauste, il leur reste une ressource. Qu’ils se rendent sur les sites Internet négationnistes et néo-nazis (Irving, Codoh, IHR, Zündel, etc.). Là, Finkelstein est encensé à longueur de journée. On a les amis qu’on mérite.

Peter Novick: «mensonge délibéré»

Dans sa double page consacrée au livre de Finkelstein, le quotidien Libération (15 février) publie un compte rendu d’un autre livre américain dont la traduction française est annoncée pour cette année: The Holocaust in American Life, de Peter Novick – un livre qui a fait l’objet d’un certain nombre de critiques aux États-Unis, mais dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’à la différence du pamphlet de Finkelstein il entre dans le cadre du débat légitime sur la Shoah. Selon Libération, le livre de Novick «étaye celui de Finkelstein».

Le lien ainsi établi entre les deux livres – et les deux auteurs – vise à donner à Finkelstein un semblant de respectabilité. Mais ce qu’on oublie de nous dire, c’est ce que Peter Novick lui-même pense de Finkelstein. Et pour cause.

Le professeur Novick est, comme le montre son livre, peu suspect de sympathie envers les grandes organisations juives américaines. Norman Finkelstein lui rend d’ailleurs un hommage appuyé, et souligne que c’est la lecture de The Holocaust in American Life qui l’a incité à écrire L’industrie de l’Holocauste. On pourrait donc s’attendre à ce que Novick «renvoie l’ascenseur» à Finkelstein. Or c’est tout le contraire qui se produit. Dès la parution du livre de Finkelstein, Novick a exprimé publiquement le profond mépris que celui-ci lui inspire.

Lorsque Finkelstein a été traduit en allemand, Peter Novick est revenu sur le sujet dans un article publié début février par la Suddeutsche Zeitung. «Il est difficile, écrit Novick, de voir dans L’Industrie de l’Holocauste quelque chose qui donnerait lieu à un débat.» Concernant les assertions de Finkelstein sur la question des restitutions de biens juifs, «un bon nombre relèvent de la pure invention». Ainsi, Finkelstein affirme que le Congrès juif mondial a «amassé au moins sept milliards de dollars». Or Finkelstein «savait au moment où il a écrit son livre que le CJM n’avait reçu aucun versement [c’est Novick qui souligne - NDLR]. Il s’agit donc d’un mensonge délibéré

Et Novick ajoute: «On pourrait multiplier les exemples. Il n’est pas un seul fait avancé par Finkelstein qui puisse être supposé authentique, pas une seule citation de son livre qui puisse être supposée exacte; il faudrait prendre le temps de comparer précisément toutes ses affirmations avec les sources qu’il cite». Quant à la thèse centrale de Finkelstein sur le rôle des «élites juives» dans l’invention de la prétendue «Industrie de l’Holocauste», il s’agit, écrit Peter Novick, d’une «version du vingt-et-unième siècle des Protocoles des Sages de Sion [le texte antisémite, fabriqué par la police tsariste, qui a alimenté notamment la propagande nazie et qui est toujours diffusé dans les milieux néo-nazis ainsi que dans le monde arabe - NDLR]».

Gabriel Schoenfeld: «une thèse délirante»

Gabriel Schoenfeld, rédacteur en chef du mensuel juif américain Commentary, s’est signalé par un article d’une grande virulence contre le Congrès juif mondial et d’autres organisations juives américaines. Il leur reproche essentiellement la manière dont ils ont exercé des pressions sur les États et les entreprises en Europe pour les amener à signer des accords au sujet des restitutions de biens juifs («Holocaust Reparations – A Growing Scandal», Commentary, septembre 2000). Dans son article, Schoenfeld fait allusion au livre de Norman Finkelstein. Mais, au lieu d’y voir un soutien à ses thèses, comme on aurait pu le supposer, il s’en démarque très nettement. Pourquoi? Il l’explique dans une note publiée en octobre 2000 par le journal The Nation.

Schoenfeld rappelle d’abord que « le livre de Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste, a rencontré un certain succès en Europe, notamment en Allemagne, alors qu’il est demeuré pratiquement inaperçu aux États-Unis ». Cela pourrait s’expliquer simplement par le fait qu’«en tant que travail de recherche, le livre de Finkelstein est absolument dépourvu de valeur».

Mais, selon Schoenfeld, le problème réside dans la thèse centrale du livre: «Finkelstein voit la question des réparations dans le cadre d’une structure idéologique où les Juifs cupides opprimeraient les Noirs américains, les Palestiniens, etc. Il semble que cette thèse délirante ait rencontré un écho dans certains milieux d’extrême droite en Allemagne et en Suisse, ainsi que dans certains milieux d’extrême gauche aux États-Unis et en Angleterre. Cela explique également pourquoi son livre a été vivement rejeté par les commentateurs aux États-Unis – et pourquoi, dans mon article de

Commentary, je l’ai mis dans le même sac que les négationnistes et que d’autres individus situés aux limites extrêmes de la vie intellectuelle.»

Dangereux fantasmes sur la Shoah
par Meïr Waintrater

Article publié dans L’Arche n°512, octobre 2001


La conspiration juive selon Norman Finkelstein

Un livre, paru récemment aux États-Unis, a commencé à faire son chemin dans la presse française avant même d’avoir été traduit en France. Ce livre est intitulé L’industrie de l’Holocauste, et son auteur se nomme Norman Finkelstein. La thèse de M. Finkelstein peut se résumer en quelques phrases, tant elle est sommaire. L’attention que les Américains portent aujourd’hui à l’Holocauste (en français, comme en hébreu: la Shoah) est le résultat d’une vaste campagne d’intoxication dirigée par les organisations juives américaines. Cette campagne a commencé après la guerre des Six jours de 1967, et elle avait pour seule et unique cause – je cite M. Finkelstein – de justifier la politique pro-israélienne du gouvernement américain. Pourquoi? Comment? Peu importe. Ce qui compte dans un tel livre n’est pas d’expliquer mais de condamner. En fait, il s’agit là d’une propagande antisioniste et anti-israélienne du genre le plus simpliste, avec des arguments relevant d’un gauchisme bébête qui est passé de mode en France depuis plus d’un quart de siècle.

Donc, les grandes organisations juives, à la solde de l’impérialisme américain, ont créé de toutes pièces le mythe de l’Holocauste – qu’il faut bien distinguer du vrai Holocauste, celui auquel ont échappé les parents de M. Finkelstein. Ces organisations tentaculaires et toutes-puissantes ont donné la parole à des faux témoins, parce que les seuls vrais témoins sont le papa et la maman de M. Finkelstein. Les faux témoins, dont le plus célèbre est Elie Wiesel, ont fidèlement rempli la mission qui leur était assignée: justifier les atrocités commises par Israël contre les Palestiniens. La conspiration juive, au service de l’impérialisme américain, ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Elle a entamé une campagne internationale afin d’extorquer de l’argent aux pauvres banques suisses. Il est vrai que M. Finkelstein père et Mme Finkelstein mère ont eux aussi reçu de l’argent, il y a des années, au titre des réparations allemandes. Mais c’était du bon argent, qui leur revenait de droit, tandis que l’argent d’aujourd’hui est du mauvais argent dont profitent les organisations juives, l’État d’Israël et le sionisme international. Car l’industrie de l’Holocauste génère des bénéfices phénoménaux sur le dos des Palestiniens, des Suisses et de la famille Finkelstein.

Ne croyez pas que je caricature. Je résume, et j’élague à peine. Ne me demandez pas pourquoi M. Finkelstein a éprouvé le besoin de se lancer dans un tel discours, soutenu de bout en bout par un délire paranoïaque de la pire espèce. Peut-être quelques new-yorkais qui le connaissent bien ont-ils des réponses, mais elles relèvent de l’analyse de la personnalité et pas de l’histoire des idées.

Ne me demandez pas non plus pourquoi les officines d’extrême droite aiment tant M. Finkelstein. Son livre est passé à peu près inaperçu aux États-Unis – sauf un éreintement dans le New York Times –, mais il fait un tabac sur les sites Internet négationnistes et néo-nazis. Pour une fois qu’un Juif défend leurs thèses sur le complot judéo-sioniste et sur les mensonges de l’Holocauste, ils en redemandent et on les comprend. Ce que je ne comprend pas, en revanche, c’est le plaisir pervers que des personnes, juives ou pas, éprouvent à citer une pareille littérature. Car le délire de Norman Finkelstein n’est pas plus respectable que n’importe quel autre délire antisémite, et il est peut-être plus dangereux parce qu’il se réclame d’une origine juive et d’une idéologie de gauche – bien que celle-ci soit aussi problématique que celle-là.

Au cours du XXe siècle, les nazis et les staliniens ont, tour à tour, justifié leur hostilité envers les Juifs par des conspirations dont ceux-ci seraient les auteurs. Norman Finkelstein s’inscrit dans cette glorieuse tradition. L’évoquer ou le paraphraser, comme si ses thèses méritaient un quelconque examen, c’est entrer dans une logique folle qui mène aux pires dévoiements.

© 2001 L’Arche, le mensuel du judaïsme français (39 rue Broca, 75005 Paris).

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