Article paru dans L’Arche n°516, février 2001
Les journalistes et l’Autorité palestinienne : un nouveau « syndrome de Stockholm » ?



On connaît le « syndrome de Stockholm », ce phénomène par lequel les victimes de prises d’otages s’identifient à leurs ravisseurs. Il semble que les journalistes en poste au Proche-Orient soient victimes d’un phénomène semblable dans leurs rapports avec les Palestiniens. Voici, à ce propos, un témoignage particulièrement éloquent.

Stephanie Gutmann est une journaliste américaine spécialisée dans les questions de défense. Elle a couvert les événements de ces derniers mois dans les territoires palestiniens. Dans un article intitulé « Lights, Camera, Intifada », publié par The Weekly Standard (1er janvier au 8 janvier 2001), elle explique que la presse internationale rend compte de ces événements d’une manière biaisée, en raison du chantage permanent que les Palestiniens font subir aux journalistes. « Prenez les photos que les miliciens désirent et tout va généralement bien pour vous, vous êtes même aimablement introduit là où il faut ; mais si vous prenez des photos qui montrent les Palestiniens dans un autre rôle que celui de victimes, la situation peut très vite devenir pénible pour vous. »

En fin de compte, dit Stephanie Gutmann, les journalistes étrangers collaborent avec les Palestiniens et n’ont même plus conscience d’être manipulés. Elle donne comme exemple l’aventure survenue à Jean-Pierre Martin, un journaliste belge travaillant pour RTL-TV1.

Au début du mois d’octobre, Martin et son équipe étaient sur la route de Ramallah. « Ils se trouvaient en un lieu d’affrontement entre Palestiniens et Israéliens, lorsque quatre jeunes gens apparurent dans "une camionnette Chrysler de couleur bleue" et commencèrent à donner des ordres aux enfants qui jetaient des pierres. Puis les hommes sortirent de leur voiture des cocktails Molotov [bouteilles explosives] et se mirent à les distribuer. (Des enfants qui étaient sur place dirent plus tard à Martin que les hommes appartenaient au Fatah, la faction de l’OLP dirigée par Yasser Arafat.) D’autres équipes de journalistes qui étaient sur place ne remarquèrent apparemment pas ce manège, ou ne jugèrent pas qu’il méritait d’être pris en compte, car Martin fut le seul réalisateur à dire à son équipe de commencer à filmer. Au bout de quelques secondes, un des jeunes gens remarqua qu’on le filmait et s’approcha. Quelques secondes plus tard, tous les participants, y compris les enfants qui jetaient des pierres, entourèrent l’équipe de télévision. Ils prirent la caméra des mains de l’opérateur, et disparurent en l’emportant. Entre-temps, la foule se concentrait autour d’eux, tentant de les frapper. Un jeune homme saisit Martin à la gorge et commença à l’étrangler. Un caméraman palestinien qui était sur place, et qui travaillait pour une société américaine, "vint à notre secours", dit Martin, et le caméraman parvint à calmer "cette situation extrêmement tendue". Martin et ses hommes furent emmenés chez le chef de la police de l’Autorité palestinienne. Leur caméra était déjà chez lui. À nouveau, le caméraman palestinien se fit leur avocat. En fin de compte, après qu’ils eurent donné l’assurance que le film relatif à "l’incident des cocktails [Molotov]" avait été effacé, le policier accepta de leur restituer la caméra. Ce soir-là, Martin ouvrit son reportage par les mots :"Voici ce que vous auriez vu si nous avions conservé l’enregistrement." Martin continua à se rendre en cet endroit. Mais quelque deux semaines plus tard, lorsqu’avec son équipe il passa devant le poste de garde israélien qui contrôlait la ligne de démarcation [israélo-palestinienne] sur la route de Ramallah, ils remarquèrent qu’ils étaient suivis par une Jeep blanche ne portant aucun signe distinctif. Le véhicule les suivit jusqu’au lieu du tournage. Les occupants de la Jeep s’arrêtèrent, et ils donnèrent des ordres aux policiers palestiniens présents sur place (ce qui conduisit Martin à penser qu’ils appartenaient aux services secrets palestiniens). Cette fois, ils n’attendirent pas qu’il ait commencé à filmer. Ils fouillèrent sa voiture, effacèrent à nouveau ses films, et détruisirent l’un des appareils photos appartenant à l’équipe. Au moment où Martin et ses hommes revenaient au poste de garde israélien, une balle tirée depuis le côté palestinien siffla à leurs oreilles. Toute cette histoire est parvenue aux autorités israéliennes, qui en ont fait le récit à l’un de leurs points de presse. Martin déclare qu’il en veut à Israël d’avoir "exploité" l’affaire. Il se plaint de passer maintenant pour un allié des Israéliens. "À cause d’eux, il me sera très difficile de revenir", dit-il. »

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