Extrait d'un dossier publié dans L'Arche n°513, novembre 2000

Israël, éternel coupable ?

L'histoire derrière la photo


Le samedi 30 septembre, le quotidien Libération faisait sa " une " sur une photo représentant un jeune homme manifestement blessé, couvert de sang ; au-dessus de lui, un homme casqué brandit une matraque d'un air menaçant. Légende : " Vendredi sur l'esplanade des Mosquées, un soldat israélien et un manifestant palestinien blessé. " La photo avait été diffusée par l'agence Associated Press (AP). Elle paraissait le même jour dans plusieurs autres journaux, dont le New York Times.
C
'est précisément en lisant le New York Times que Aaron Grossman, un médecin habitant Chicago, découvrit la photo. Le lundi 2 octobre, Aaron Grossman adressait au journal la lettre suivante : " Je vous écris au sujet de votre photo du soldat israélien et du Palestinien sur le mont du Temple. Ce Palestinien est en fait mon fils, Tuvia Grossman, un étudiant juif de Chicago. " M. Grossman ajoutait que cette photo ne pouvait avoir été prise sur le mont du Temple, parce qu'on voit à l'arrière-plan les inscriptions hébraïques d'une station-service (ce détail n'apparaît pas sur la photo de Libération, qui a été recadrée ; mais l'original de la photo se trouvait au journal, qui aurait pu faire de lui-même la remarque).
L'agence AP envoya un rectificatif à tous ses clients, et peu après Libération informait ses lecteurs de l'erreur dans la légende. Point à la ligne. Il y avait pourtant matière à réflexion sur la fiabilité des sources, sur la valeur attachée à l'image, etc. Ce sera pour une autre fois. Entre-temps, les lecteurs ont été choqués par la violence de la photo, qu'ils ont naturellement associée aux " méchants " Israéliens. Combien auront, par la suite, remarqué le rectificatif ? Cinq pour cent, tout au plus.
Entre-temps, les lecteurs ont été choqués par la violence de la photo, qu'ils ont naturellement associée aux " méchants " Israéliens. Combien auront, par la suite, remarqué le rectificatif ? Cinq pour cent, tout au plus.

TROIS JEUNES JUIFS

On dira que la photo illustrait une information selon laquelle sept Palestiniens avaient été tués, la veille, au cours d'un affrontement avec la police. Palestiniens, et pas Israéliens. Si la photo était inexacte, le message était donc juste. Voire. Car la photo avait aussi son histoire, qui ne fut rapportée ni par Libération ni par les autres médias qui la publièrent. Voici cette histoire, telle qu'elle figurait le 5 octobre sur une dépêche de l'agence… Associated Press.
Ils étaient trois jeunes Juifs américains, qui étudiaient à Jérusalem : Todd Pollock (20 ans, de Norfolk, en Virgine), Andrew Feibusch (18 ans, de Lawrence, dans l'État de New York) et Tuvia Grossman (20 ans, de Chicago). Le vendredi 29 septembre, à deux heures de l'après-midi, ils prirent un taxi pour aller prier au Mur, avant le shabbat. En chemin, des Arabes attaquèrent le taxi à coups de pierres. En quelques instants, toutes les vitres étaient brisées et les trois jeunes gens étaient tirés par la force hors de la voiture et gravement battus par la foule. Tuvia Grossman se souvient que quelqu'un lui tenait la tête, tandis qu'un autre frappait avec une pierre.
Pollock, Feibusch et Grossman parvinrent à se dégager et à s'enfuir. Tuvia Grossman tomba sur un groupe de policiers israéliens, qui tinrent en respect ses assaillants. C'est la scène qui a été immortalisée par le photographe : le jeune Tuvia est assis par terre, la tête en sang, et le policier le protège. (Le jeune homme a été hospitalisé, ainsi qu'un de ses camarades, mais leurs jours ne sont pas en danger.)

FAIRE SIMPLE
Il y a fort à parier que si Libération avait su cette histoire, il n'aurait pas publié la photo, même en page intérieure. Pourquoi ? Parce que cela aurait contraint la rédaction à raconter l'histoire des trois jeunes Juifs. Or, ce jour-là, les victimes étaient arabes, exclusivement. Même sans soupçonner un parti pris anti-israélien, l'impératif journalistique était clair : il fallait faire simple, ne pas " brouiller le message ". Raconter que les tirs israéliens répondaient à des jets de pierres qui visaient non seulement la police elle-même, mais aussi des civils désarmés, c'était compliquer inutilement les choses. Pollock, Feibusch et Grossman étaient de trop dans cette histoire. J. V.

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