Extrait d'un dossier publié dans L'Arche n°513, novembre 2000

Israël, éternel coupable ?

Les médias sont-ils contre Israël ? par Michel Zlotowski

C'était au printemps dernier. Un groupe d'élèves de HEC avait demandé à des journalistes et des diplomates de plancher sur la manière dont les médias français traitent d'Israël. Ygal Palmor, conseiller auprès de l'ambassade d'Israël, était venu avec une coupure de presse dont il a lu de larges extraits. L'auteur, un diplomate, se plaignait amèrement. Son pays est un paradoxe : l'État vient de célébrer son cinquantième anniversaire, mais sa culture est multi-millénaire ; il regorge d'informaticiens de renom international, de chercheurs innovant dans toutes les disciplines scientifiques et médicales ; le niveau de vie des habitants s'élève constamment… Et quelle image donnent les médias français de sa patrie ? Une terre de désolation et de violences inter-communautaires. Le diplomate concluait en demandant une " couverture " plus équilibrée de l'actualité de son pays. Le signataire était l'ambassadeur de l'Inde à Paris…

Cela dit, il faudrait être d'une absolue mauvaise foi pour dire qu'Israël a bonne presse en France. Mais comment pourrait-il en aller autrement après les images dévastatrices, diffusées en boucle par l'ensemble des chaînes françaises (et mondiales, d'ailleurs), montrant la mort d'un enfant palestinien tué par des balles israéliennes ? Comment ne pas avoir de sympathie pour ces jeunes gens que suit la caméra et qui affrontent à coup de frondes et de lance-pierres des militaires armés occupant leur terre ?

INCOMPÉTENCE
Une journaliste, dont nous tairons le nom par charité, a dit que la vidéo de la mort du petit Mohamed effaçait l'image-symbole de ce gosse du ghetto de Varsovie, mains levées devant les fusils des SS… Derrière l'évidente malveillance du propos se profile toutefois une réalité : dans ce dernier (dans tous les sens du terme, espérons-nous) round de violence, Israël a été mis KO technique par les médias.
La presse française a-t-elle tout simplement accompli son travail, ou bien les journalistes sont-ils des pro-palestiniens acharnés, des anti-israéliens véhéments avec parfois quelques relents anti-juifs ? La presse française est-elle vendue aux ennemis d'Israël ?
La réponse est probablement beaucoup plus simple : la majorité de la presse française n'est ni pro-palestinienne, ni anti-israélienne, elle est tout simplement incompétente. C'est un constat de carence qu'il faut dresser. Une carence à informer qui tient autant aux structures qu'aux individus.

UN SPECTACLE
L'ambition auto-proclamée des médias est d'informer. Puisque nous vivons dans une économie de marché, cette information doit être vendue. Elle l'est deux fois : à vous, lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, mais aussi aux annonceurs - la publicité. Sauf l'exception notable du Canard Enchaîné, tous les organes d'information français doivent leur pain quotidien à la manne publicitaire. Les régies publicitaires paient cher pour placer leurs annonces dans les journaux qui sont beaucoup vus. Pour être vu de tous et beaucoup vendu, nul pour l'instant n'a trouvé mieux que d'offrir du sensationnel.
Du sensationnel, Israël en donne à qui en veut. Le pays est d'accès facile, la liberté d'expression y est totale, les routes sont bonnes et les théâtres d'affrontements sanglants sont tous à moins d'une heure des stations de retransmission par satellite. Ce qui n'est pas le cas en ex-Yougoslavie, pourtant plus proche de Paris, ou en Afrique, autre terre dévorant ses enfants. Résultat : l'Afrique n'existe pas dans les journaux français, et l'ex-Yougoslavie ne fait plus recette. Voici donc Israël promu source d'images-chocs à bon compte.

Il est indéniable que les faits montrés ou décrits se sont produits. Mais ce n'est là que la moitié du travail. Pour les journalistes, l'autre moitié consisterait à mettre en forme ces actions, ces réalités ; les replacer dans un contexte pour les rendre intelligibles. Impossible dans le cadre des journaux télévisés, où l'image-choc s'enliserait dans les sables d'explications controversées faisant chuter l'Audimat…
Pourtant, il aurait été capital de savoir que Talal Abou Rahmé, le cameraman de France 2, était situé juste en face du petit Mohamed et de son papa, alors que pour les soldats israéliens, placés plusieurs dizaines de mètres plus loin, ils étaient tous deux dans un angle extrêmement fermé et à proximité d'une source de tirs palestinienne. Il n'y a pas eu d'explication, et tous les téléspectateurs de cette scène horrible resteront avec l'impression erronée que les soldats voyaient parfaitement l'enfant, qu'ils l'ont sciemment tué et blessé son père. Soulignons que, même commentée, l'image télévisée provoque un choc émotionnel qui peut difficilement être équilibré par des paroles ou un texte. L'option sensationnaliste des chaînes françaises ne permet pas au journaliste le mieux intentionné de produire un travail d'information. C'est la première carence structurelle.
La seconde vient de la contrainte imposée par la proximité des heures de bouclage. Sous la pression de l'événement et du temps, le journaliste de terrain tend à perdre tout recul. Toutes les explications du monde n'effaceront pas le ressentiment que Talal Abou Rahmé peut éprouver à l'encontre des meurtriers du petit Mohamed tué sous ses yeux. C'était aux responsables de la séquence Étranger, à la rédaction en chef de la chaîne, qu'incombait l'obligation de replacer le reportage dans la succession des faits qui a mené à cette mort scandaleuse et inacceptable. Inutile de distribuer les mauvais points, il faut avoir vécu l'incroyable tohu-bohu qui règne dans les rédactions avant la diffusion du journal pour comprendre pourquoi cela n'a pas été fait. La troisième carence est due au manque de formation et de culture d'une grande partie des journalistes. Les chaînes ne veulent plus de rédactions pléthoriques, avec foule de spécialistes " pointus " . Place aux multitâches. Quelle crédibilité accorder à un journaliste qui vous parle un jour de Berlin et le lendemain du Pays basque, avec un aplomb sans réplique ? Et comment pourrait-il, dans ce constant carrousel, prendre les contacts nécessaires, acquérir les connaissances indispensables ? Pour faire court : l'information, surtout télévisée, est devenue un spectacle.
Cette fois, c'est Israël qui en a fait les frais.

Retour