Stefan Meller : "On parle enfin de la place du judaïsme dans l'histoire de la Pologne"

 

L'ambassadeur de Pologne à Paris s'exprime sur son lien personnel au judaïsme, sur l'antisémitisme, et sur certaines choses qu'il est difficile d'expliquer aux Français. (Propos recueillis par Karolina Wolfzahn.)

Stefan Meller est né à Lyon en 1942, de parents arrivés de Pologne à la veille de la guerre. Son père entre dans la résistance. Son grand-père, qui habite Lyon, est déporté en 1943. "Sa première carte postale de Drancy était assez optimiste. Dans la deuxième - qui m'était consacrée, à moi, son petit-fils - il nous faisait ses adieux." Le grand-père ne reviendra jamais. En 1946, la famille rentre en Pologne.
Le lien avec la France, que Stefan Meller a quittée à l'âge de quatre ans, ne sera pas rompu. Plus tard, devenu historien, il continuera de s'intéresser de près à ce pays. À partir de 1970, il séjournera chaque année en France, publiant, entre autres, un livre sur l'histoire révolutionnaire en Touraine. Il parle un français parfait, sans une trace d'accent. Et l'on sait qu'il porte un intérêt particulier à la présence de la langue française hors de nos frontières ainsi qu'à la coopération franco-polonaise.
L'épuration "antisioniste", menée par le gouvernement communiste polonais en 1968, a frappé le jeune homme. "J'ai été limogé, et j'ai vécu pendant six ans de petits boulots - leçons de français, traductions - tout en continuant mes recherches." De cet épisode il ne conserve pas un sentiment d'isolement au sein de son pays, car "l'action antisémite de 1968 recouvrait aussi une répression contre tous les intellectuels libres".
En 1974, il est nommé à l'Université de Bialystok. Après son doctorat (sur les relations entre la Pologne et les Pays-Bas au XVIIIe siècle) il aurait voulu être nommé à Varsovie où il habite. Mais il est déjà fiché comme partisan de Solidarnosc, et les autorités considèrent qu'il y a dans la capitale trop d'historiens liés à l'opposition. Il se retrouvera même sans poste durant deux années lors de la période de durcissement du régime, peu avant la chute du communisme.
En 1989, tout change en Pologne comme dans le reste de l'Europe orientale. Stefan Meller reprend avec des amis la direction d'un mensuel d'histoire. Il passe ensuite un an comme professeur aux États-Unis, rédige un livre sur la révolution française, et entre aux Affaires étrangères. Il est nommé ambassadeur à Paris en septembre 1996.
Stefan Meller, "Polonais d'identité et de culture, avec des grands-parents juifs qui ont été assassinés", est conscient de la persistance de l'antisémitisme dans son pays. Mais, souligne-t-il, les choses ont vraiment changé au cours des dix dernières années. Une manifestation d'antisémitisme suscite aujourd'hui des protestations immédiates. Et l'on a mis fin au tabou qui interdisait d'évoquer l'antisémitisme d'autrefois. "Beaucoup d'intellectuels et d'hommes d'État tiennent des discours de repentance, comme l'ancien président Lech Walesa ou l'actuel président Aleksander Kwasniewski. On parle enfin de la place du judaïsme dans l'histoire de la Pologne. On écrit sur ce sujet, ce qui était interdit sous l'ancien régime."
Thème délicat, pourtant. "Les Occidentaux, dit Stefan Meller, ne comprennent pas le sentiment d'étrangeté qui existait avant la guerre entre les Polonais et les Juifs non assimilés. C'était compliqué. Il y avait environ 10 % de Juifs en Pologne, mais dans certaines villes ils constituaient 90 % de la population. Parmi les Juifs, 10 % étaient assimilés, 20 % parlaient le polonais, et les autres formaient une sorte de nation juive à l'intérieur de la Pologne." Or pour un Polonais, s'adressant à des Français, il est parfois difficile d'expliquer "la différence entre le concept républicain de nation et le concept de nation en Europe centrale".
Dans ces conditions, Stefan Meller comprend pourquoi certains personnages connus d'origine juive refusent de s'exprimer davantage là-dessus. "Ils ont écrit sur leur judaïsme, il n'y a pas de raison d'en parler constamment. En général, la prise de conscience de ces différences a été difficile. Par exemple, il y a deux ans, lorsque je me suis adressé aux Juifs polonais de France dans un discours pour le 80e anniversaire du retour de l'indépendance en Pologne, certaines personnes n'ont pas compris ma démarche ; elles considéraient que je devais parler uniquement aux Polonais, sans distinguer les Juifs des autres."



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