Extrait du dossier Paix et sécurité: En quoi les conceptions diffèrent réellement |
«Paix et sécurité». Durant cette campagne électorale, les dirigeants des grands partis, à commencer par le Likoud et les travaillistes, nont eu que ces mots à la bouche. Si lon sen tient à leurs slogans électoraux, ils paraissaient interchangeables, tant ils étaient similaires sur ces points essentiels. Et pourtant, si on y regarde de plus près, on constate quil existe entre MM. Pérès et Netanyahou des divergences fondamentales dans ce domaine. Car, pour les travaillistes, «la paix est un élément essentiel de la sécurité» alors que pour le Likoud «seule la sécurité nous mènera à la paix».
Il ne sagit pas là, comme on pourrait le croire, dune différence de formulation. En fait, il sagit dune différence de conception qui a des conséquences fort concrètes sur la ligne politique que ces deux grands partis voudraient voir suivre durant les années critiques qui vont mener Israël au seuil du XXIème siècle. La position des travaillistes est, comme on le verra, relativement simple et claire; celle du Likoud est plus subtile mais nen est pas moins fort défendable.
Que disent donc les travaillistes? Pour quIsraël se sente en sécurité, il lui faut, estiment-ils, conclure la paix avec tous ses voisins. Il ne sagit pas dune paix à tout prix, et Israël doit auparavant obtenir des garanties de tous ordres lui permettant de tenir tête à des attaques surprises sur quelque front que ce soit. Mais si ces garanties, essentiellement dordre militaire, sont obtenues, Israël peut prendre les risques quimplique lévacuation de tel ou tel territoire. Car ces risques seront compensés, et au-delà, par la conclusion de la paix et les nouvelles relations qui en résulteront entre Israël et ses voisins. Cest là le sens de la formule «la paix est un élément de la sécurité», formule acceptée par les travaillistes et par beaucoup dautres en Israël comme à létranger à commencer par les dirigeants américains et la plupart des dirigeants européens.
Telle nest pas la position du Likoud qui se réfère lui aussi à des autorités internationales, comme Henry Kissinger. Celui-ci vient en effet décrire, en parlant il est vrai de lEurope, que «ce sont ceux qui cherchent à tout prix à atteindre la paix qui sont les moins susceptibles dy arriver et de parvenir à la tranquillité à laquelle ils aspirent». Le principal conseiller de Netanyahou en matière de politique étrangère, Dore Gold, de lInstitut détudes stratégiques de luniversité de Tel-Aviv, a longuement développé ce thème: «La paix nest pas un élément de la sécurité. Elle en est une conséquence.» Il faut donc quIsraël, dans ses rapports avec ses voisins et avant tout avec les Syriens et les Palestiniens , cherche à atteindre le maximum de sécurité. Sil y réussit, la paix viendra en plus; sil ny réussit pas, tout traité de paix, aussi satisfaisant quil paraisse sur le papier, naboutira pas à une paix réelle.
Prenant lexemple de la Syrie, Dore Gold souligne que ce pays est en paix avec la Turquie et a même signé avec elle, en 1993, un accord contre le terrorisme. Ce qui nempêche pas Damas de donner asile aux guerilleros kurdes du PKK afin de faire pression sur la Turquie, en particulier dans le domaine de leau. «Qui nous dit quaprès avoir signé la paix avec Israël, au prix de concessions sur le Golan qui, inévitablement, affaibliront la sécurité dIsraël, Damas nencouragera pas le terrorisme du Hezbollah au Sud-Liban, ou le terrorisme des organisations palestiniennes du Front du Refus basées en Syrie, pour obtenir plus deau du Banyas ou du lac de Tibériade?» Tant que la politique syrienne sera ce quelle sera, et utilisera le terrorisme comme moyen de pression, tout traité formel avec la Syrie sera loin de compenser les risques que comporterait pour Israël labandon du Golan.
A quoi les travaillistes, tout comme les diplomates américains qui jouent un si grand rôle dans les négociations entre Israël et ses voisins, répondent: «Cette thèse ne tient pas compte des motivations des voisins dIsraël, ainsi que de leurs propres besoins de sécurité. Un traité de paix durable doit mettre fin aux appréhensions de toutes les parties concernées et, par suite, réduire sensiblement leurs motivations pour une reprise des hostilités, sous une forme ou une autre. Chercher à obtenir la sécurité absolue pour une des parties au conflit, en ignorant les besoins des autres, ne saurait contribuer à la paix. Contrairement à ce que disent les slogans du Likoud, la recherche dune telle sécurité ne mènera pas à la paix, bien au contraire.»
Il y a également, estiment les travaillistes, un danger extrêmement grave dont le Likoud ne tient pas suffisamment compte dans ses calculs : la possibilité très réelle que lIran se dote dici à quelques années darmes nucléaires. Il faut donc faire le possible pour mettre fin à lalliance stratégique entre lIran et la Syrie et éliminer les bases que lIran sest pratiquement acquises au Liban. Un Iran viscéralement hostile à Israël et doté darmes nucléaires constitue, à lheure actuelle, le seul danger existentiel pour lEtat hébreu. Ce dernier, en arrivant à une paix totale, englobant donc la Syrie et le Liban, empêchera lIran de simplanter encore plus dans notre région et contribuera, dans une large mesure, à lisolement du régime des ayatollahs.
Chimère, répond le Likoud. On narrivera pas à rompre lalliance stratégique de la Syrie et de lIran et à éliminer son influence au sein de la population chiite du Liban. En évacuant le Golan, même avec toutes les garanties dordre militaire nécessaires, on ne fera quexposer encore plus Israël à ce qui, dans quelques années, pourrait devenir la plus dangereuse forme du terrorisme: le terrorisme nucléaire. Ceux qui recherchent la paix à tout prix accroîtront donc les dangers qui menacent lEtat juif.
Le débat en est là et il continuera dans les années qui viennent, quels que soient les partis au pouvoir.
ALAIN GUINEY