Extrait du dossier
«Israël, le jour d’après»
(L’Arche, juin 1996)

Paix et sécurité:
le débat entre la gauche et la droite

En quoi les conceptions diffèrent réellement

«Paix et sécurité». Durant cette campagne électorale, les dirigeants des grands partis, à commencer par le Likoud et les travaillistes, n’ont eu que ces mots à la bouche. Si l’on s’en tient à leurs slogans électoraux, ils paraissaient interchangeables, tant ils étaient similaires sur ces points essentiels. Et pourtant, si on y regarde de plus près, on constate qu’il existe entre MM. Pérès et Netanyahou des divergences fondamentales dans ce domaine. Car, pour les travaillistes, «la paix est un élément essentiel de la sécurité» alors que pour le Likoud «seule la sécurité nous mènera à la paix».

Il ne s’agit pas là, comme on pourrait le croire, d’une différence de formulation. En fait, il s’agit d’une différence de conception qui a des conséquences fort concrètes sur la ligne politique que ces deux grands partis voudraient voir suivre durant les années critiques qui vont mener Israël au seuil du XXIème siècle. La position des travaillistes est, comme on le verra, relativement simple et claire; celle du Likoud est plus subtile mais n’en est pas moins fort défendable.

Que disent donc les travaillistes? Pour qu’Israël se sente en sécurité, il lui faut, estiment-ils, conclure la paix avec tous ses voisins. Il ne s’agit pas d’une paix à tout prix, et Israël doit auparavant obtenir des garanties de tous ordres lui permettant de tenir tête à des attaques surprises sur quelque front que ce soit. Mais si ces garanties, essentiellement d’ordre militaire, sont obtenues, Israël peut prendre les risques qu’implique l’évacuation de tel ou tel territoire. Car ces risques seront compensés, et au-delà, par la conclusion de la paix et les nouvelles relations qui en résulteront entre Israël et ses voisins. C’est là le sens de la formule «la paix est un élément de la sécurité», formule acceptée par les travaillistes et par beaucoup d’autres en Israël comme à l’étranger – à commencer par les dirigeants américains et la plupart des dirigeants européens.

Telle n’est pas la position du Likoud qui se réfère lui aussi à des autorités internationales, comme Henry Kissinger. Celui-ci vient en effet d’écrire, en parlant il est vrai de l’Europe, que «ce sont ceux qui cherchent à tout prix à atteindre la paix qui sont les moins susceptibles d’y arriver et de parvenir à la tranquillité à laquelle ils aspirent». Le principal conseiller de Netanyahou en matière de politique étrangère, Dore Gold, de l’Institut d’études stratégiques de l’université de Tel-Aviv, a longuement développé ce thème: «La paix n’est pas un élément de la sécurité. Elle en est une conséquence.» Il faut donc qu’Israël, dans ses rapports avec ses voisins – et avant tout avec les Syriens et les Palestiniens –, cherche à atteindre le maximum de sécurité. S’il y réussit, la paix viendra en plus; s’il n’y réussit pas, tout traité de paix, aussi satisfaisant qu’il paraisse sur le papier, n’aboutira pas à une paix réelle.

Prenant l’exemple de la Syrie, Dore Gold souligne que ce pays est en paix avec la Turquie et a même signé avec elle, en 1993, un accord contre le terrorisme. Ce qui n’empêche pas Damas de donner asile aux guerilleros kurdes du PKK afin de faire pression sur la Turquie, en particulier dans le domaine de l’eau. «Qui nous dit qu’après avoir signé la paix avec Israël, au prix de concessions sur le Golan qui, inévitablement, affaibliront la sécurité d’Israël, Damas n’encouragera pas le terrorisme du Hezbollah au Sud-Liban, ou le terrorisme des organisations palestiniennes du Front du Refus basées en Syrie, pour obtenir plus d’eau du Banyas ou du lac de Tibériade?» Tant que la politique syrienne sera ce qu’elle sera, et utilisera le terrorisme comme moyen de pression, tout traité formel avec la Syrie sera loin de compenser les risques que comporterait pour Israël l’abandon du Golan.

A quoi les travaillistes, tout comme les diplomates américains qui jouent un si grand rôle dans les négociations entre Israël et ses voisins, répondent: «Cette thèse ne tient pas compte des motivations des voisins d’Israël, ainsi que de leurs propres besoins de sécurité. Un traité de paix durable doit mettre fin aux appréhensions de toutes les parties concernées et, par suite, réduire sensiblement leurs motivations pour une reprise des hostilités, sous une forme ou une autre. Chercher à obtenir la sécurité absolue pour une des parties au conflit, en ignorant les besoins des autres, ne saurait contribuer à la paix. Contrairement à ce que disent les slogans du Likoud, la recherche d’une telle sécurité ne mènera pas à la paix, bien au contraire.»

Il y a également, estiment les travaillistes, un danger extrêmement grave dont le Likoud ne tient pas suffisamment compte dans ses calculs : la possibilité très réelle que l’Iran se dote d’ici à quelques années d’armes nucléaires. Il faut donc faire le possible pour mettre fin à l’alliance stratégique entre l’Iran et la Syrie et éliminer les bases que l’Iran s’est pratiquement acquises au Liban. Un Iran viscéralement hostile à Israël et doté d’armes nucléaires constitue, à l’heure actuelle, le seul danger existentiel pour l’Etat hébreu. Ce dernier, en arrivant à une paix totale, englobant donc la Syrie et le Liban, empêchera l’Iran de s’implanter encore plus dans notre région et contribuera, dans une large mesure, à l’isolement du régime des ayatollahs.

Chimère, répond le Likoud. On n’arrivera pas à rompre l’alliance stratégique de la Syrie et de l’Iran et à éliminer son influence au sein de la population chiite du Liban. En évacuant le Golan, même avec toutes les garanties d’ordre militaire nécessaires, on ne fera qu’exposer encore plus Israël à ce qui, dans quelques années, pourrait devenir la plus dangereuse forme du terrorisme: le terrorisme nucléaire. Ceux qui recherchent la paix à tout prix accroîtront donc les dangers qui menacent l’Etat juif.

Le débat en est là et il continuera dans les années qui viennent, quels que soient les partis au pouvoir.

ALAIN GUINEY



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