Extraits d'un article paru dans L'Arche n°508, juin 2000

Juifs au pays du "pouvoir noir": Les Juifs dans la nouvelle Afrique du Sud

par Henri Pasternak

Lorsqu'en 1994 l'Afrique du Sud a tourné la page du régime de l'apartheid et s'est dotée d'un régime où le pouvoir est aux mains de la majorité noire, divers commentateurs ont annoncé que la cohabitation entre noirs et blancs ne durerait pas longtemps. Il apparaît aujourd'hui que cette prédiction était pour le moins prématurée. Les blancs se plaignent du climat d'insécurité, un certain nombre d'entre eux quittent le pays, mais la plupart demeurent. Ce phénomène se retrouve au sein de la minorité juive, où la tendance à l'émigration - qui était née, d'ailleurs, sous le régime de l'apartheid - ne s'est pas accélérée dans la période récente.

Faut-il donc se rallier inconditionnellement aux discours optimistes sur les vertus de la coexistence ? Là aussi, l'expérience montre qu'il ne faut pas aller trop vite en besogne. Parmi les blancs qui restent - juifs ou pas -, le désir de bâtir une république multiraciale va souvent de pair avec un certain scepticisme sur les chances qu'a l'opération de réussir, du moins à moyen terme.

Une forte majorité de Juifs (72 %) déclarent vouloir continuer à vivre en Afrique du Sud. Cependant, lorsqu'on leur demande comment ils voient l'avenir non pas pour eux-mêmes mais pour la communauté dans son ensemble, leurs réponses trahissent une inquiétude plus profonde : seuls 22 % pensent que dans vingt ans il y aura toujours une importante communauté juive en Afrique du Sud, et 61 % sont persuadés du contraire. Qui plus est, 87 % des Juifs interrogés sont d'accord avec l'affirmation suivante : " Il est probable que la plupart des Juifs âgés de moins de trente ans ne croient pas avoir un avenir en Afrique du Sud ". Cette donnée-là, à elle seule, est plus éloquente qu'un long discours.