Extrait d’un article publié dans
L’Arche n°502, décembre 1999

Les Juifs et la Grande Guerre
De l’union sacrée au retour de l’antisémitisme

La Grande Guerre, la der des der, l’union sacrée, l’exaltation nationale face à l’ennemi, la possibilité tant attendue de reprendre enfin les provinces perdues, voilà le tournant favorable à l’intégration des Juifs de France. Au lendemain des désillusions de l’Affaire Dreyfus, comme le montre Philippe Landau dans son livre Les Juifs et la Grande Guerre, la guerre rassemble tous les Français, fait taire leurs divisions sociales ou idéologiques, suscite des élans presque inconnus de fraternité, conduit même au nationalisme au nom, cette fois, de la Révolution française.
Ainsi, dans les Archives israélites du 27 août 1914, Hyppolyte Prague écrit : « La sainte ardeur patriotique dont 1792 nous offrit la belle flambée a enflammée les Français de 1914, tous confondus, sans distinctions d’origine, de classe ou de religion. » Le sens du sacrifice pousse les jeunes Juifs au combat : le lieutenant Georges Lévy écrit à sa mère en mars 1917 : « Si cette lettre te parvient, c’est que je ne serai plus. Certes, ce n’est pas très gai de mourir à 22 ans, mais tu pourras être fière de moi comme je le serai moi-même. J’aurai fait mon devoir et, pour un israélite, c’est deux fois plus beau. » De son côté, le rabbin Zerbib, de Constantine, s’adresse à son fils envoyé aux Dardanelles dans les termes suivants : « On t’a fait l’honneur de t’envoyer à la guerre défendre notre chère patrie. L’honneur de toute la famille est maintenant entre tes mains, il faut le conserver et, pour le conserver, il faut être un bon soldat, et si tu es un bon soldat, tu seras digne de porter le nom de Français. » Aux yeux de tous, par son courage extrême, le combattant juif algérien apparaît comme un Maccabée pétri de Bible.
De leur côté également, les Juifs immigrés s’engagent en masse. Une affiche, en français et en yiddish, est placardée sur les devantures des boutiques : « Nous, Juifs immigrés, qu’allons-nous faire ? Si nous ne sommes pas encore Français de droit, nous le sommes de cœur et d’âme et notre devoir le plus sacré est de nous mettre tout de suite à la disposition de cette grande et noble nation, afin de participer à sa défense. Frères ! C’est le moment de payer notre tribut de reconnaissance au pays où nous avons trouvé l’affranchissement moral et le bien-être matériel. »

POUR L’EXEMPLE
Juifs français et allemands s’affrontent les armes à la main sur les champs de bataille. Les intellectuels juifs allemands, comme Hermann Cohen, s’en prennent, par exemple, à Bergson, au nom du Vaterland. Durkheim dénonce les prétentions allemandes, tout comme les rabbins qui entrent à leur tour dans le conflit idéologique en attaquant, dans leurs sermons, l’ennemi allemand. Les Consistoires s’organisent pour rassembler de l’aide en faveur des soldats au front.
Tout irait pour le mieux, du point de vue de l’union retrouvée, si des bruits sinistres, révélateurs de l’antisémitisme persistant, ne se faisaient jour dans la presse et même au front, au sein de l’armée. De ce point de vue, le passage probablement le plus neuf de ce livre consiste justement dans la description de la révolte, en juin 1915, d’un groupe de soldats, dont nombre de Juifs, révoltés par les brimades subies de la part de leurs supérieurs. Au sein du 2e régiment de marche du 1er étranger, des officiers de la Légion s’en prennent à des Juifs considérés comme des profiteurs venus pour « la gamelle ». Une rixe éclate entre des soldats qui souhaitent se battre dans un autre régiment non touché par l’antisémitisme, et leurs officiers qui ripostent violemment, à tel point que plusieurs soldats sont couverts de sang. Vingt-sept légionnaires passent en jugement, dont onze Juifs russes et neuf Arméniens ; neuf seront fusillés, dont quatre Juifs. • PIERRE BIRNBAUM




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