Extrait d'un article paru dans
L'Arche N° 498-499
Septembre 1999

Les calendriers juifs sous l’Occupation
Par Jacquot Grunewald

« Tourne-toi vers moi, Seigneur, sauve-moi ; viens à mon secours au nom de ta grâce. […] Fuyez, fuyez, persécuteurs. […] Saisis d’épouvante, mes ennemis reculent ; un signe et ils sont couverts de honte. »
Ces versets du Psaume VI sont récités chaque jour de la semaine. Seulement, pour imprimer ces propos en France occupée, en l’année 5703 (septembre 1942 à septembre 1943), il fallait un sacré toupet. D’autant que dans ce petit carnet de moins de 90 pages, comprenant le calendrier hébraïque et l’essentiel des prières quotidiennes, c’était là le seul texte que l’éditeur avait décidé de traduire ! A la barbe des censeurs, qui n’avaient pas dû prendre la peine de lire le texte d’un Psaume et qui accordèrent au Calendrier Israélite de l’an 5703 le visa de censure n° 279.
L’éditeur, c’était Nephtali Grunewald. Déjà, avant guerre, à Strasbourg, il publiait chaque année, pour Roch Hachana, son calendrier « révisé par le rabbin Joseph Bloch » (bien connu pour son rituel Chaaré Tephila, la Hagada traduite, etc.). Quand les Allemands envahirent l’Alsace, tous les Juifs en furent chassés ; le calendrier de l’année 1939-1940, dûment préparé, n’a pas pu être édité. Mais aussitôt arrivé à Limoges – où furent évacués la plupart des Juifs de Strasbourg – Nephtali Grunewald se mit en tête de continuer l’œuvre entreprise, d’autant qu’il appartenait à ces Alsaciens de nationalité française autorisés à assumer un emploi.
Nephtali et Salli Grunewald, ainsi que leur sœur Berthe, anciennement enseignante au Talmud-Torah de la communauté de la rue Kageneck à Strasbourg, publièrent, chaque année de l’Occupation, le Calendrier Israélite. Chaque année, mon oncle se rendait à Vichy, accompagné du rabbin Kaplan, qui était alors l’auxiliaire du grand rabbin de France, pour demander l’autorisation d’imprimer ces petits livrets juifs (8 centimètres sur 12,5).
La première édition, celle du calendrier proprement dit, parut avec une préface de René Hirschler, grand rabbin de Strasbourg. « Depuis quatre ans, au rythme des jours, écrit celui qui était alors aumônier général des armées, nous avons vu se succéder bien des misères, grandes ou petites, collectives ou individuelles. L’année qui s’achève aura peut-être connu les plus cruelles et les plus sévères d’entre elles. Mais voyez ! Brisant ce rythme par une autre cadence, les sabbats et les fêtes, sans souci de nos souffrances quotidiennes, à l’instar des astres du ciel sur lesquels ils fixent leur marche, continuent quand même leur inlassable déroulement dans l'évocation des jours de gloire passés et des vérités permanentes de grandeur et de mission toujours servies. Israël continue ! Israël vit ! » Le grand rabbin Hirschler et sa femme seront arrêtés le 23 décembre 1943 et ne reviendront pas de déportation.

Les calendriers étaient illustrés par mon père et comportaient, entre autres, les heures de fin de shabbat et des fêtes. D’abord – ce qui donne une indication de la localisation des communautés – pour Limoges, Périgueux, Lyon, Marseille. Ensuite, Paris, Toulouse, Vichy-Clermont-Ferrand… Alger et Oran ! Il y avait aussi les tableaux de bar-mitsva et des « adresses à retenir », celles des restaurants cashers. Ainsi, dans le calendrier de l’année 1942-1943 : Sandler à Limoges, Ambrunn à Lyon (où il y avait aussi une « soupe populaire rituelle ») ; à Marseille, les restaurants D. Frant et Schwarc ; au Mont-Dore, le restaurant S. Posnansky, et à Nice, Posnansky également. Des mohalim (circonciseurs) se trouvaient à Grenoble, Limoges, Montgivray par La Châtre, Marseille, Nîmes, Périgueux, Saint-Julien et Vichy. Des mikvaoth (bains rituels) étaient répertoriés à Limoges, Lyon, Marseille, Nice et Vichy. Et puis, ce détail qui nous fait frissonner aujourd’hui : le calendrier publie, en pages 40 et 41, les adresses des « rabbins en zone non occupée » : malgré les dangers, ils tenaient à préciser leur domiciliation… Beaucoup seront déportés ou fusillés.
Terminons cette courte histoire du Calendrier Israélite en France, au temps de la Shoah, par la préface qui ouvrit l’édition de 5705, l’an 1944-45. Elle était écrite par celui qui allait devenir le premier grand rabbin de Strasbourg après la guerre, « Monsieur le rabbin A. Deutsch, Limoges ». Je cite : « La parution de ce calendrier, un véritable tour de force ! Sa "gestation" tombe à l’époque la plus sombre, dans une période où la violence et le crime semblent devenus loi d’Etat. […] L’éditeur lui-même n’a pas échappé à l’arrestation et aux travaux forcés. […] Une fois de plus, l’optimisme a eu raison des événements. Préparé dans l’ombre, ce calendrier, grâce à l’audacieuse ténacité de la famille de l’éditeur, voit le jour à l’orée de temps nouveaux. […] Calendrier 5705, comme la colombe de l’arche après le cataclysme qui a bouleversé le monde d’antan, sois le messager de la paix auprès de nos frères libérés ! Porte-leur le salut de la fraternité et le bonheur dans les jours à venir ! Apporte à ceux qui pleurent un déporté, la foi en son retour prochain. […] » On ne connaissait pas encore l’ampleur de la désolation. Le calendrier de l’an 1945-46 paraîtra, lui, avec, dans le coin supérieur droit, les couleurs bleu-blanc-rouge. •

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