Juifs et catholiques : le malaise qui perdure
Extrait d'un dossier paru dans
L'Arche n° 489/Novembre 1998
Au cours du mois doctobre, le pape Jean Paul II a accompli, coup
sur coup, deux gestes qui ont suscité la gêne ou lirritation
dans divers milieux.
Le premier de ces gestes est la béatification du cardinal croate
Aloysius Stepinac (1898-1960), accusé davoir couvert, au moins
en partie, les exactions commises durant la seconde guerre mondiale par
le régime oustachi contre les Tziganes, les Juifs et les Serbes.
Le second geste est la canonisation dEdith Stein (1891-1942). Née
dans une famille juive de Breslau, Edith Stein sétait convertie
au catholicisme. Elle fut, ainsi que sa sur, arrêtée
par les Allemands dans un couvent aux Pays-Bas et assassinée à
Auschwitz. Cette canonisation a ravivé la polémique en cours
sur la tentative de « christianisation de la Shoah » par une
Eglise qui na pas encore réellement achevé son examen
de conscience concernant lantisémitisme.
Par ailleurs, les Editions Fayard viennent de publier en France une «
Bible des Peuples », dont la précédente édition,
entachée dantijudaïsme, avait été sanctionnée
par lEglise.
La Shoah et le pape
par Henri Hajdenberg, président du CRIF
Après sa béatification, il y a onze ans, la canonisation
dEdith Stein pouvait navoir quun aspect théologique
nimpliquant que le libre choix de lEglise de Rome. Rares auraient
été les voix juives contestant une décision hors du
domaine du judaïsme. Mais au Vatican, lors de la cérémonie
de canonisation, le pape a tenu des propos prêtant à interprétation
et qui laissent perplexe.
Certains journalistes ont dabord annoncé une journée
de commémoration de la Shoah instituée par lEglise le
jour anniversaire de la mort dEdith Stein à Auschwitz, ce qui
aurait fait de cette Juive convertie le symbole du génocide des Juifs
dEurope. Cette information et son interprétation sont fausses.
Il faut lire attentivement la traduction littérale du texte de Jean
Paul II : « En célébrant désormais la mémoire
de la nouvelle sainte, nous ne pourrons pas, année après année,
ne pas rappeler aussi la Shoah, ce plan féroce délimination
dun peuple qui coûta la vie à des millions de frères
et surs juifs ».
Ainsi, le pape na pas institué un jour de commémoration
de la Shoah. Cest regrettable, car nous aurions salué une telle
initiative de lEglise, imprégnant la conscience catholique
de cette « tache noire indélébile de lhistoire
de lhumanité », selon lexpression de Jean Paul
II.
Mais nous aurions été outrés que cette cérémonie
commémorative adopte comme figure emblématique une Juive convertie
morte à Auschwitz. Lappropriation symbolique par lEglise
du « martyrologe » juif aurait été ressentie comme
un grave abus.
En réalité, les catholiques sont invités à se
souvenir du génocide ce qui en soi est un engagement louable
mais à loccasion de la célébration de
la mort dEdith Stein, ce qui crée une ambiguïté.
Certes, le pape a rappelé que la religieuse avait refusé dêtre
sauvée grâce à son baptême, quelle était
morte dans les chambres à gaz « en tant que Juive ».
Cependant, la qualifiant de « fille fidèle de lEglise
», il lavait considérée au moment de sa béatification
comme une « martyre chrétienne ». Ny a-t-il pas
une tentative de récupération ?
Même si le pape, en rappelant la Shoah, a su trouver les mots qui
touchent les curs et les esprits, le nouveau trouble quil a
fait naître na pas jeté véritablement «
le pont de la réconciliation entre Juifs et chrétiens »
quil appelle, sans nul doute, sincèrement de ses vux.
Sur le chemin de la mémoire et du dialogue, les communautés
juives organisées attendent autre chose, un geste concret : le retrait
de la grande croix dite « papale » et de toutes les petites
croix qui ont été plantées sauvagement sur la terre
maudite dAuschwitz. Ce lieu danéantissement doit demeurer
à létat brut, vide de tout sens religieux quel quil
soit.
Toute lautorité du pape est en cause dans ce sacrilège
que Jean Paul II ne peut davantage accepter, en considération de
la douleur de ses « frères et surs juifs ». |