Israéliens et Palestiniens : l'heure du choix
Extrait du dossier publié dans
L’Arche n° 489/Novembre 1998

Le face à face décisif
par Meïr Waintrater

Tout, à première vue, oppose Binyamin Netanyahou et Yasser Arafat : les origines, l’éducation, la langue, le mode de pensée. C’est pourtant de la difficile rencontre de ces deux hommes que dépend, pour l’heure, la paix au Proche-Orient.
Netanyahou, avant d’être élu premier ministre d’Israël, avait juré de ne jamais rencontrer Arafat ; lors de la cérémonie du 23 octobre à la Maison Blanche, les journalistes ont remarqué que leur poignée de main – qui n’était pas la première – fut particulièrement appuyée. Arafat, lui, n’a cessé de dénoncer Netanyahou comme un fauteur de guerre ; le 22 octobre il lui envoyait des fleurs pour son anniversaire, et le lendemain il le saluait comme « [son] nouveau partenaire dans le processus de paix ». Seuls les naïfs s’en étonneront: les hommes politiques, à défaut de s’aimer ou de s’estimer, doivent entretenir des rapports corrects. L’essentiel, cela dit, est qu’ils se comprennent.
Car la pire chose qui puisse arriver à un peuple est que ses dirigeants analysent mal le comportement de leurs partenaires, dans la guerre comme dans la paix. Les erreurs d’appréciation se paient parfois très cher. La guerre de Kippour, qui s’est produite il y a vingt-cinq ans mais dont le souvenir est toujours présent en Israël, en fournit une preuve éclatante. Quant aux Palestiniens, il leur a fallu un demi-siècle pour rectifier la faute commise en 1947, lorsqu’ils mésestimèrent la détermination des sionistes.
Depuis trois ans au moins, la diplomatie semblait dans une mauvaise passe. Le « donnant-donnant » que fut la reconnaissance mutuelle de septembre 1993 suscita dans les deux camps un réel enthousiasme et, tout aussitôt, des dénonciations virulentes : « On vous trompe, on fait semblant de vous accepter pour mieux vous annihiler ».
Du côté israélien, ces dénonciations s’appuyaient (et s’appuient toujours) sur une analyse du « double langage » de l’OLP. De fait, les échos de Gaza, tels qu’ils sont perçus à Jérusalem, sont pour le moins ambigus. Le discours lénifiant à l’usage de l’opinion mondiale contraste fortement avec les appels à la revanche destinés au public palestinien. D’une part on affirme son désir de paix, d’autre part on entretient une tolérance voilée envers les auteurs d’attentats. D’une part on déclare « caduque » la célèbre Charte d’où il ressort que l’Etat d’Israël est foncièrement illégitime et doit être extirpé de la région, d’autre part on multiplie les acrobaties verbales afin de repousser aux calendes grecques l’abrogation pure et simple des articles incriminés. La bonne foi, voire la naïveté, que Yasser Arafat affiche volontiers dans ses relations avec la presse internationale vont de pair avec une savante rouerie dans la violation des articles sécuritaires (effectifs policiers, quantités des armements, etc.) indissociables des accords d’Oslo. Il y a là de quoi alimenter l’inquiétude de bien des Israéliens.
L’inquiétude, cependant, existe tout aussi fort dans l’autre camp. L’opposition aux accords d’Oslo, chez les Palestiniens, n’est pas seulement le fait de la vieille garde idéologique du « Front du refus ». Des jeunes, qui s’étaient ralliés à un processus où ils voyaient la promesse d’un Etat souverain, se disent aujourd’hui floués. Israël est accusé de vouloir conserver le maximum de territoires, et de réduire l’autonomie palestinienne à un protectorat sous étroite surveillance. Ces accusations, il faut le souligner, ne datent pas de la venue au pouvoir de Binyamin Netanyahou ; elles ont été formulées haut et fort du vivant d’Itzhak Rabin. Cependant, le fait que le Likoud considère toujours qu’Eretz Israël appartient, dans sa totalité, au peuple juif (même s’il a accepté, dans les faits, le principe du partage territorial), ainsi que le soutien du gouvernement au développement des implantations, sont perçus à Gaza et à Hébron comme indiquant une évidente mauvaise volonté des Israéliens dans l’application des accords. Des oppositions virulentes se font entendre au sein de la diaspora palestinienne – comme celle de l’universitaire américain Edward Saïd qui, dans un récent article pour le quotidien égyptien Al Ahram, décrit Yasser Arafat comme « prisonnier à la fois des Israéliens et des Américains » et, rejetant le projet d’un Etat palestinien sur les seuls territoires autonomes où il voit une forme d’« apartheid », relève l’étendard de « l’Etat bi-national et laïque en Palestine », ce qui signifie en clair la disparition de l’Etat d’Israël.
Le choix que devront faire les Israéliens et les Palestiniens, au cours des semaines à venir, est un choix stratégique portant sur la coexistence entre un Etat juif en perpétuelle transformation et un Etat palestinien encore dans les limbes. La question centrale se résume ainsi: coopérer ou pas ? On ne peut éternellement gérer le processus de paix sur le mode qui a été défini dans le Mémorandum de Wye : un pas à la fois, sous l’œil attentif des Américains, en surveillant à chaque instant ce que fait la partie adverse. Le moment viendra bientôt, s’il n’est déjà venu, où il faudra se découvrir et prendre des risques, en incluant dans la prise de décision le maximum d’impondérables (y compris les chances de survie politique, voire de survie tout court, du partenaire principal).
Israéliens et Palestiniens n’ont d’autre choix, en fait, que de parier les uns sur les autres. Dans un climat tendu, avec le danger toujours présent d’une reprise du terrorisme, ils devront prendre des décisions qui engageront les générations futures. Il n’est pas d’autre issue, et le temps presse. Car ne pas décider, nous le savons au moins depuis Pascal, c’est décider aussi ; et cette décision-là, celle de l’attentisme, n’est pas a priori moins risquée qu’une autre.•

Le face à face décisif
par Meïr Waintrater

Tout, à première vue, oppose Binyamin Netanyahou et Yasser Arafat : les origines, l’éducation, la langue, le mode de pensée. C’est pourtant de la difficile rencontre de ces deux hommes que dépend, pour l’heure, la paix au Proche-Orient.
Netanyahou, avant d’être élu premier ministre d’Israël, avait juré de ne jamais rencontrer Arafat ; lors de la cérémonie du 23 octobre à la Maison Blanche, les journalistes ont remarqué que leur poignée de main – qui n’était pas la première – fut particulièrement appuyée. Arafat, lui, n’a cessé de dénoncer Netanyahou comme un fauteur de guerre ; le 22 octobre il lui envoyait des fleurs pour son anniversaire, et le lendemain il le saluait comme « [son] nouveau partenaire dans le processus de paix ». Seuls les naïfs s’en étonneront: les hommes politiques, à défaut de s’aimer ou de s’estimer, doivent entretenir des rapports corrects. L’essentiel, cela dit, est qu’ils se comprennent.
Car la pire chose qui puisse arriver à un peuple est que ses dirigeants analysent mal le comportement de leurs partenaires, dans la guerre comme dans la paix. Les erreurs d’appréciation se paient parfois très cher. La guerre de Kippour, qui s’est produite il y a vingt-cinq ans mais dont le souvenir est toujours présent en Israël, en fournit une preuve éclatante. Quant aux Palestiniens, il leur a fallu un demi-siècle pour rectifier la faute commise en 1947, lorsqu’ils mésestimèrent la détermination des sionistes.
Depuis trois ans au moins, la diplomatie semblait dans une mauvaise passe. Le « donnant-donnant » que fut la reconnaissance mutuelle de septembre 1993 suscita dans les deux camps un réel enthousiasme et, tout aussitôt, des dénonciations virulentes : « On vous trompe, on fait semblant de vous accepter pour mieux vous annihiler ».
Du côté israélien, ces dénonciations s’appuyaient (et s’appuient toujours) sur une analyse du « double langage » de l’OLP. De fait, les échos de Gaza, tels qu’ils sont perçus à Jérusalem, sont pour le moins ambigus. Le discours lénifiant à l’usage de l’opinion mondiale contraste fortement avec les appels à la revanche destinés au public palestinien. D’une part on affirme son désir de paix, d’autre part on entretient une tolérance voilée envers les auteurs d’attentats. D’une part on déclare « caduque » la célèbre Charte d’où il ressort que l’Etat d’Israël est foncièrement illégitime et doit être extirpé de la région, d’autre part on multiplie les acrobaties verbales afin de repousser aux calendes grecques l’abrogation pure et simple des articles incriminés. La bonne foi, voire la naïveté, que Yasser Arafat affiche volontiers dans ses relations avec la presse internationale vont de pair avec une savante rouerie dans la violation des articles sécuritaires (effectifs policiers, quantités des armements, etc.) indissociables des accords d’Oslo. Il y a là de quoi alimenter l’inquiétude de bien des Israéliens.
L’inquiétude, cependant, existe tout aussi fort dans l’autre camp. L’opposition aux accords d’Oslo, chez les Palestiniens, n’est pas seulement le fait de la vieille garde idéologique du « Front du refus ». Des jeunes, qui s’étaient ralliés à un processus où ils voyaient la promesse d’un Etat souverain, se disent aujourd’hui floués. Israël est accusé de vouloir conserver le maximum de territoires, et de réduire l’autonomie palestinienne à un protectorat sous étroite surveillance. Ces accusations, il faut le souligner, ne datent pas de la venue au pouvoir de Binyamin Netanyahou ; elles ont été formulées haut et fort du vivant d’Itzhak Rabin. Cependant, le fait que le Likoud considère toujours qu’Eretz Israël appartient, dans sa totalité, au peuple juif (même s’il a accepté, dans les faits, le principe du partage territorial), ainsi que le soutien du gouvernement au développement des implantations, sont perçus à Gaza et à Hébron comme indiquant une évidente mauvaise volonté des Israéliens dans l’application des accords. Des oppositions virulentes se font entendre au sein de la diaspora palestinienne – comme celle de l’universitaire américain Edward Saïd qui, dans un récent article pour le quotidien égyptien Al Ahram, décrit Yasser Arafat comme « prisonnier à la fois des Israéliens et des Américains » et, rejetant le projet d’un Etat palestinien sur les seuls territoires autonomes où il voit une forme d’« apartheid », relève l’étendard de « l’Etat bi-national et laïque en Palestine », ce qui signifie en clair la disparition de l’Etat d’Israël.
Le choix que devront faire les Israéliens et les Palestiniens, au cours des semaines à venir, est un choix stratégique portant sur la coexistence entre un Etat juif en perpétuelle transformation et un Etat palestinien encore dans les limbes. La question centrale se résume ainsi: coopérer ou pas ? On ne peut éternellement gérer le processus de paix sur le mode qui a été défini dans le Mémorandum de Wye : un pas à la fois, sous l’œil attentif des Américains, en surveillant à chaque instant ce que fait la partie adverse. Le moment viendra bientôt, s’il n’est déjà venu, où il faudra se découvrir et prendre des risques, en incluant dans la prise de décision le maximum d’impondérables (y compris les chances de survie politique, voire de survie tout court, du partenaire principal).
Israéliens et Palestiniens n’ont d’autre choix, en fait, que de parier les uns sur les autres. Dans un climat tendu, avec le danger toujours présent d’une reprise du terrorisme, ils devront prendre des décisions qui engageront les générations futures. Il n’est pas d’autre issue, et le temps presse. Car ne pas décider, nous le savons au moins depuis Pascal, c’est décider aussi ; et cette décision-là, celle de l’attentisme, n’est pas a priori moins risquée qu’une autre.•



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