Le judaïsme diasporique est-il condamné
?
Oui, mais seulement sil le veut bien
par Meïr Waintrater
Extraits dun article paru dans LArche n°488, octobre
1998
LInstitut du Congrès juif mondial, dont le siège
est à Jérusalem, vient de publier un rapport alarmant, pour
ne pas dire alarmiste.
Ce rapport, consacré à la situation actuelle du judaïsme
dans le monde, contient dabord des données de base : il y a
actuellement 8,6 millions de Juifs hors de lEtat dIsraël,
dont 5,6 millions aux Etats-Unis (la France vient au second rang, avec 600
000 Juifs environ). Mais, disent les auteurs du rapport, l«
assimilation », cest-à-dire la disparition des Juifs
diasporiques au sein des sociétés ambiantes, prend des proportions
catastrophiques. Le taux d« assimilation » serait en moyenne
de 50%, avec des pointes à 80% dans certaines villes des Etats-Unis
et dEurope. De ce fait, nous explique-t-on, la population juive en
Diaspora va décroître à un rythme accéléré,
diminuant de moitié en lespace dune génération
: ainsi, dans 30 ans, il ny aura plus hors dIsraël que
4,4 millions de Juifs.
La « fin du peuple juif », jadis annoncée (avec un point
dinterrogation) par Georges Friedmann, serait donc à nos portes.
Les communautés diasporiques se réduiraient sous peu à
un faible résidu dominé par lultra-orthodoxie, et la
population juive de lEtat dIsraël aurait, seule, la tâche
de maintenir lhéritage millénaire du judaïsme.
Victoire du sionisme, diront certains ; mais pareille victoire serait bien
amère, car le réservoir humain dont dépend lévolution
future de lEtat juif se trouverait à jamais tari.
Le pire, pourtant, nest pas toujours sûr. Les démographes
qui ont établi ce rapport vont, me semble-t-il, un peu vite en besogne.
Avant de dresser un tableau aussi apocalyptique, avant de passer quelques
millions de personnes par le compte « pertes et profits » de
lhistoire juive, il faut se poser une ou deux questions.
Il faut dabord se demander ce quest un Juif aujourdhui.
Les auteurs du rapport soulignent, à juste titre, que la part dIsraël
dans la population juive mondiale est en augmentation constante ; dici
dix ans, il y aura davantage de Juifs en Israël quaux Etats-Unis.
Mais on trouve aujourdhui en Israël plusieurs centaines de milliers
de personnes, en provenance de lex-URSS, que les mêmes experts,
jugeant selon les mêmes critères, nauraient pas pris
en compte il y a quelques années à peine dans leur dénombrement
de la population juive mondiale.
Il faudrait aussi se demander ce que sera un Juif demain, ou après-demain.
Cherche-t-on dans le futur une répétition mécanique
du passé ? Si oui, la recherche est vaine et les prophètes
de malheur ont raison. Mais peut-être est-ce la manière de
poser la question qui est fautive. Juger inéluctable le déclin
du judaïsme, cest accepter demblée lhypothèse
selon laquelle lidentité juive ne saurait survivre que sous
les formes quelle a connues au cours des derniers siècles.
Tout dépend des perspectives que lon offrira aux Juifs en proie
aux affres de l« assimilation ». Si le judaïsme ne
se présente à leurs yeux que comme un choix entre le renfermement,
lagitation et la commémoration, alors le pire est effectivement
à craindre. Si, en revanche, on propose à ces hommes et à
ces femmes dappartenir à une collectivité vivante, à
une communauté dont le patrimoine historique contient à la
fois une identité singulière et des valeurs universelles
alors, dans ce cas, bien des espoirs sont permis.
|