Extrait d’un article paru
dans le dossier de
L’Arche 487 de septembre 1998

La culture d’Israël
Théâtre

Le théâtre apparaît très tôt dans la Palestine juive de la fin du siècle dernier. L’art dramatique est en effet en faveur dans les communautés d’Europe de l’Est dont sont issus les pionniers sionistes. Il n’y a pas de vie culturelle sans théâtre. En 1894, un groupe d’amateurs fait grande impression avec une représentation de la Shoulamit du dramaturge yiddish Abraham Goldfaden. En 1905, un autre groupe d’amateurs est fondé à Jaffa par des membres de la deuxième alyah, et tous les Juifs se pressent à ses représentations.
La première guerre mondiale met fin à ces activités artistiques. Mais en 1920 apparaît la première troupe professionnelle, le Théâtre hébraïque de Palestine, créé à Tel-Aviv par David Davidov. Un second ensemble, le Théâtre d’Eretz Israël, est créé à Tel-Aviv en 1925 ; il est composé pour partie de membres du Théâtre hébraïque de Palestine qui sont allés prendre des cours à Berlin où ils ont été gagnés par l’école expressionniste. La même année, le syndicat Histadrout crée le Théâtre Ohel (« la tente »), qui associe un engagement socialiste et un travail dramatique novateur. Ohel connaîtra de belles années ; mais avec la naissance de l’Etat d’Israël et l’abandon de la référence à l’épopée sioniste-socialiste il lui faudra survivre sans le soutien de la Histadrout, et il fermera ses portes en 1969.
En 1932, le Théâtre Habimah s’établit définitivement en Israël. Cette compagnie, dont le nom signifie en hébreu « la scène », a été fondée à Moscou en 1917. Elle doit son inspiration au metteur en scène russe Stanislavsky. Elle joue en hébreu, dans le style propre à l’avant-garde russe, des pièces dont certaines sont déjà des classiques, comme le Dibbouk de An-Ski traduit en hébreu par Haïm-Nahman Bialik et créé par la grande comédienne Hanna Rovina (1892-1980).
La Habimah sera durant des années le théâtre de référence dans le yishouv puis dans l’Etat d’Israël. Mais son style, très marqué par ses origines moscovites, suscite une certaine opposition parmi les jeunes comédiens, nés souvent dans le pays ; il en résulte, dès 1944, la création du Théâtre Caméri (« le théâtre de chambre »), plus moderniste dans son inspiration et qui bientôt lui disputera les faveurs du public.
Les thématiques en faveur dans le théâtre israélien varient au cours des années. A l’origine, le répertoire repose essentiellement sur les classiques du théâtre européen et sur les traductions du théâtre yiddish d’avant-guerre. Après la naissance de l’Etat, les sujets proprement « israéliens » font leur apparition. La pièce de Igal Mossinsohn Dans les steppes du Neguev, qui met en scène des personnages et des situations de la guerre d’Indépendance, connaît un grand succès malgré le jugement sévère de la critique. La pièce de Nissim Aloni Le roi est le plus cruel de tous, qui au travers de la querelle de succession des fils de Salomon met en cause le pouvoir et la justice, suscite de vives polémiques – chacun des partis politiques de l’époque lui donnant une interprétation différente. Moshé Shamir, dans La guerre des fils de la lumière, a lui aussi recours à un modèle biblique, en l’occurence le roi David, pour poser la question du pouvoir.
Le théâtre israélien s’émancipant peu à peu de ses origines militantes, la qualité des textes et de la mise en scène devient un élément prédominant. Quelques grands comédiens dominent cette époque : Orna Porat, Hanna Maron, Raphaël Klatchkin… Une comédie musicale de Igal Mossinsohn intitulée Casablan, dont le héros est un Juif marocain, est le premier grand succès de ce genre (elle sera adaptée ensuite au cinéma par Menahem Golan).
Les débats sur l’avenir des territoires après la guerre des Six jours, gagnent progressivement les salles de théâtre. Les représentations de La reine de la baignoire, une violente satire de Hanokh Levin, sont interrompues devant les protestations des spectateurs. Mais le théâtre contestataire prend son essor au théâtre municipal de Haïfa (le premier théâtre subventionné en Israël, fondé en 1961) qui accueille, sous l’impulsion d’Oded Kotler, des jeunes dramaturges nommés Hanokh Levin, Yehoshoua Sobol et Hillel Mittelpunkt. Cette forme de contestation, qui vise non seulement les politiques des gouvernements de l’époque (de gauche comme de droite) mais aussi et surtout les comportements et les modes de pensée à l’honneur dans la société israélienne, devient peu à peu partie intégrante de la culture nationale.
Récemment l’immigration « russe » a amené à la fois un public grand amateur de théâtre et des talents formés dans l’ex-URSS. La manifestation la plus éclatante de ce renouveau russe est le théâtre Gesher («le pont ») animé par Yevgueny Aryé. A l’origine de Gesher il y a l’immigration en 1990 de quatre comédiens et d’un metteur en scène. Ils jouent d’abord en russe, pour un public de nouveaux immigrants. Puis ils décident de se mettre à l’hébreu, en apprenant phonétiquement leurs rôles. Ils jouent ainsi le Dreyfus de Grumberg ; c’est un triomphe. Faisant systématiquement alterner le russe et l’hébreu, Gesher se produit en Israël et à l’étranger, avec un succès sans cesse grandissant. On les verra cet automne à Paris dans une adaptation des Contes d’Odessa de Babel. •




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