Extrait dun article paru dans
LArche N°487/septembre 1998
Le cahier trouvé à Bayonne
Par Moshé Bar Asher
Comment le commandant Pereyre transcrivait, à lusage
de sa femme, les rituels juifs en caractères français
et ce que cela nous révèle sur les traditions des Juifs portugais
Peu de gens savent que deux villes du Sud-Ouest de la France, Bordeaux et
Bayonne, ont abrité durant ces derniers siècles les descendants
des Marranes venus dEspagne et du Portugal par vagues successives
à partir de la moitié du XVIe siècle. Pendant les premiers
siècles, ils étaient appelés « marchands portugais
» ou « nouveaux chrétiens ». Ce nest quà
la fin du XVIIe siècle quils revinrent au judaïsme sans
plus se cacher ; et cest au commencement du XVIIIe siècle que
ce retour fut officiellement entériné après quen
1723 le royaume de France octroya aux « nouveaux chrétiens
» le droit de pratiquer publiquement leur judaïsme. Des renseignements
importants sur ces deux communautés et sur de petites communautés
des environs de Bayonne parvinrent à la connaissance du monde juif
grâce aux voyages que le Hida (cest-à-dire le rabbin
Hayyim Yosef David Azulaï) effectua dans les années 1750 et
1770 (des descriptions de ses voyages sont contenues dans son livre intitulé
Maagal Tov ha-Shalem).
Après la Révolution française, des transformations
de grande ampleur touchèrent ces communautés : tantôt
les Juifs quittèrent leurs villes dorigine pour sinstaller
dans dautres villes de France et tantôt ils sassimilèrent
à la société non juive. Entre les deux guerres, et
plus encore après la Seconde guerre mondiale, ces communautés
séteignirent presque complètement. Elles connurent néanmoins
un regain de vitalité dans les années soixante avec larrivée
des Juifs dAfrique du nord en France, y compris à Bordeaux
et à Bayonne.
Pourtant, la plupart des caractéristiques de ces deux communautés
disparurent (à Bordeaux, toutefois, les Juifs dAfrique du nord
sengagèrent à maintenir le rite des Juifs bordelais
en préservant surtout des mélodies attachées aux prières).
Les historiens ont consacré aux communautés portugaises plusieurs
travaux importants. Les plus significatifs au cours de la dernière
génération sont ceux de Gérard Nahon et Simon Schwarzfuchs.
Gérard Nahon a publié le texte de documents officiels et de
stèles funéraires et on lui doit des recherches sur les communautés
de Bayonne et sur celles des petites villes avoisinantes. Quant à
Simon Schwarzfuchs, il a édité le registre de la communauté
de Bordeaux au XVIIIe siècle. Ces deux chercheurs ont montré
les liens qui unissaient ces communautés à dautres communautés
de descendants de Marranes, notamment Amsterdam, à la communauté
de Livourne en Italie et aux quatre villes saintes de la Terre Sainte (Jérusalem,
Hébron, Tibériade et Safed). Pourtant, aucune recherche na
jamais été effectuée sur les traditions liturgiques
et les rites des Juifs de ces communautés non plus que sur la façon
dont la langue hébraïque sest transmise dans ces milieux.
Au cours de ces deux dernières années, de nouvelles pistes
de recherche ont été tracées dans ces directions. Dans
le cadre du présent article, nous voudrions retracer lhistoire
de quelques rituels bayonnais qui apportent un éclairage inédit
sur lhistoire des communautés du Sud-Ouest.
En août 1994, mon épouse Nehama et moi-même eûmes
loccasion deffectuer une première visite à Bordeaux
et à Bayonne. A Bordeaux, nous ne trouvâmes personne en raison
des vacances : il fallut attendre les visites suivantes. Mais à Bayonne,
nous visitâmes la synagogue et le cimetière juif et nous rencontrâmes
cinq personnes dorigine juive portugaise.
Deux heures avant notre départ, nous voulûmes visiter une nouvelle
fois la synagogue pour jeter un coup dil sur les caisses de
livres entreposés dans le débarras du grenier de lédifice.
Le rabbin de cette communauté, qui était alors M. Albert Haroch,
et le secrétaire, M. Benmergui, nous dirent que nous pouvions nous
servir à notre guise dans la réserve des livres hors dusage.
Mais les caisses que nous ouvrions lune après lautre
furent assez décevantes : elles ne contenaient rien dautres
que de vieux Pentateuques inutilisables et des livres de prières
déchirés. Rien dintéressant, donc. Or au moment
même où nous nous dirigions vers la sortie, mon épouse
trouva dans lune des caisses quatre petits cahiers quelle me
tendit. Aussitôt je remarquai quils étaient numérotés
de façon suivie : 1, 2, 3, 4. Lensemble constituait une centaine
de pages où étaient consignée la transcription latine
en graphie française du livre de prières du Nouvel an juif.
Bien entendu, les indications destinées au fidèle étaient
en français. A la page 1, le titre est reproduit en hébreu
: Rosh ha-Shana (ce sont dailleurs les seuls mots hébreux de
tout le texte). Suit le titre français : Prières du Nouvel
an. Enfin, on lit une dédicace de trois lignes dont voici le contenu
: A ma femme chérie, Chaudoc le 15 mai 1905 [signé] I. Pereyre)...
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